Victor Roger n’a vécu que 50 ans et sa carrière effective ne s’étale que sur une bonne quinzaine d’années. Il ne débute réellement qu’en 1883, donc après Lecocq, Varney et Audran et en même temps que Messager, laissant au total une trentaine d’opérettes ce qui n’est quand même pas mal. Il est malheureusement devenu, bien plus tôt que ses confrères du genre lyrique léger, le musicien de deux, puis d’un titre seulement : Les 28 jours de Clairette. Du coup, on a eu tendance à ne plus voir en lui qu’un musicien d’opérettes militaires.
Musicien habile et de bon goût, Roger est un autre de ces Méridionaux dont les opérettes ont fait régner la joie et briller le soleil dans les cœurs.
Né à Montpellier le 22 juillet 1853, élève de l’Ecole Niedermeyer, il débute avec des chansons et de petites saynètes pour l’Eldorado.
Passons sur ses activités de critique musical, d’administrateur des bals de l’Opéra, de compositeur d’œuvres pour piano, de mélodies ou de ballets et divertissements, tels que par exemple Chez le couturier (1876), et sautons ce qu’il a fait avant son premier grand succès, un triomphe qui a « tenu » assez longtemps et qui s’appelle Joséphine vendue pas ses sœurs (1886). Mille fois mérité, ce triomphe, bien qu’Albert Carré ait affirmé plus tard dans ses Souvenirs de théâtre, que le véritable auteur fut Raoul Pugno, virtuose et compositeur, auquel le livret est dédié, d’ailleurs. Je ne sais sur quoi Carré se basait.
Oscarine (Nuitter et Guinon, 15 octobre 1888) n’est jouée que 45 fois aux Bouffes Parisiens. Roger obtient une revanche avec Cendrillonnette (Bouffes-Parisiens, Ferrier, 14 janvier 1890), composée avec Serpette, avec Mme Mily-Meyer dans le rôle principal : 124 représentations.
L’ouvrage suivant, Le Fétiche est créé aux Menus Plaisirs le 13 mars 1890. 37 représentations seulement.
Changement de style avec Samsonnet (Nouveautés, Ferrier, 26 novembre 1890) : 29 petites représentations.
Le 16 décembre de la même année, première à la Renaissance des Douze femmes de Japhet paroles de Mars et Desvallières) : 31 représentations et une reprise pendant un mois à l’Eldorado en 1897. Dommage !
Le Coq (Menus-Plaisirs, Ferrier et Depré, 31 octobre 1891), une histoire de vengeance, sur un sujet des plus salés. La pièce fait 43 représentations.
Mademoiselle Asmodée (Renaissance, Ferrier et Clairville, 24 novembre 1891) est écrite en collaboration avec Paul Lacôme.
Les Vingt-huit jours de Clairette (1892) restent le plus grand succès de Roger. L’ouvrage est qualifié de vaudeville-opérette par ses auteurs et en effet, le sujet est vaudevillesque à souhait, (genre « vaudeville à caleçons », avec lits sur scène). Il appartient à la famille de ces pièces que, environ dix ans plus tôt, l’infatigable Hervé avait mis au point, et dont Mam’zelle Nitouche est le prototype, parmi d’autres titres aussi amusants. C’est, de plus, un sujet militaire ; aussi, ce qu’on appelle (ra) le « comique troupier » y trouve largement son compte. La première représentation s’est déroulée au théâtre des Folies Dramatiques, le 3 mai 1892. La critique de l’époque fit fête à l’ouvrage, le livret fut jugé – à raison – désopilant et la musique, pimpante : 236 représentations sont la preuve du succès. En 1895, le théâtre de la Gaîté le reprit, en l’agrandissant.
Clairette a fait encore ses 28 jours à Paris en 1900, 1901, 1903, 1908, 1914, 1920, 1921 et 1925. En province et en Belgique, elle s’est maintenue longtemps, avant, aujourd’hui, n’être plus montée qu’exceptionnellement.
Je ne sais rien de Catherinette, jouée à Lunéville en 1893, selon Bruyas.
Nicol-Nick (Folies Dramatiques, Raymond et Mars, 23 janvier 1895) au caractère de farce très accentué, ne représente pas grand chose de neuf : 35 représentations.
La Dot de Brigitte (Bouffes-Parisiens, Ferrier et Mars, 6 mai 1895) est écrite avec Serpette et bénéficie de la présence de Mme Simon Girard en tête de la distribution : 73 représentations.
Le Voyage de Corbillon (Théâtre Cluny, A. Mars, 30 janvier 1896) est une très grosse farce : 72 représentations.
Sa Majesté, l’Amour (Eldorado, Hennequin et Mars, 23 décembre 1896) ne tient pas l’affiche bien longtemps.
L’Auberge du Tohu-Bohu, livret de Maurice Ordonneau, donnée le 10 février 1897, est un succès triomphal : 231 représentations, en 1897 et 1898 !
Le 28 octobre 1897, le Palais Royal revient à la musique avec Les Fêtards (Mars et Hennequin) : 72 représentations.
L’Agence Crook et Cie (Folies Dramatiques, Ordonneau, 1898) tombe à plat après 4 soirs et n’est pas éditée, tout comme La Petite Tache (Bouffes Parisiens), après 12 représentations, en mars et avril.
La Poule Blanche (Théâtre de Cluny, Hennequin et Mars, 13 janvier 1899) ne fait guère mieux : 32 représentations.
Enfin, Le Jockey malgré lui (Bouffes Parisiens, Ordonneau et Gavault, 2 décembre 1902) a soulevé l’enthousiasme de la critique, mais n’est joué que 33 fois.
Qu’en est-il finalement de Roger ? Il n’est pas plus « suranné » ou « vieillot » qu’un autre ; il est de son époque, tout simplement. Sa musique correspond parfaitement à certaines tendances de cette période, sur le plan politique, social, artistique, littéraire et théâtral. Aimé des critiques et du public, il produit régulièrement des œuvres nouvelles, mais on ne les reprend guère, du moins à Paris. On le joue beaucoup, mais ce n’est que rarement pour longtemps. Il ne sera qu’exceptionnellement joué hors des pays francophones (5 titres à Vienne), alors que ses librettistes, eux, seront traduits en anglais, en allemand et même en italien…
Victor Roger est décédé à Paris le 2 décembre 1903.
D’après Robert Pourvoyeur
— Références
Vous retrouverez Victor Roger dans « Opérette » n° 68, 128 & 196. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
— Œuvres lyriques
Légende : opé = opérette, v = vaudeville, ob = opéra-bouffe, oc = opéra-comique, v opé = vaudeville-opérette
Le chiffre indique le nombre d’actes.
Création | Titre | Auteurs | Nature | Lieu de la création |
1880 10 août |
Amour Quinze-vingt (L’) | Chapelle (Paul Aimé) [dit Laurencin] | opé 1 | Paris, Eldorado |
1882 9 sept |
Mademoiselle Loulotte [ou Louloute] | Péricaud (Louis), Delormel (Lucien) | opé 1 | Paris, Eldorado |
1882 7 nov |
Nourrice de Montfermeil (La) | Péricaud (Louis), Delormel (Lucien) | opé | Paris, Eldorado |
1883 19 mai |
Chanson des Ecus (La) | Jallais (Amédée de) | opé 1 | Paris, Eldorado |
1883 18 août |
Mam’zelle Irma | ? | opé | Trouville, Casino |
1886 20 mars |
Joséphine vendue par ses soeurs | Ferrier (Paul), Carré (Fabrice) | ob 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1888 23 mars |
Balazi-Boum-Boum! | Fraigneau | opé 1 | Paris, Eldorado |
1888 17 mai |
Voyage en Ecosse (Le) | ? | opé | Lille |
1888 15 oct |
Oscarine | Nuitter (Charles), Guinou (A.) | opé 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1890 24 janv |
Cendrillonnette [1] | Ferrier (Paul) | opé 4 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1890 13 mars |
Fétiche (Le) | Ferrier (Paul), Clairville fils (Charles) | opé 3 | Paris, Menus-Plaisirs (Th. Antoine) |
1890 26 nov |
Samsonnet | Ferrier (Paul) | opé 3 | Paris, Nouveautés |
1890 16 déc |
Douze femmes de Japhet (Les) | Mars (Antony), Desvallières (Maurice) | v 3 | Paris, Renaissance |
1891 30 oct |
Coq (Le) | Ferrier (Paul), Depré (Ernest) | opé 3 | Paris, Menus-Plaisirs (Th. Antoine) |
1891 24 nov |
Mademoiselle Asmodée [1] | Ferrier (Paul), Clairville fils (Charles) | oc 3 | Paris, Renaissance |
1892 3 mai |
Vingt-huit Jours de Clairette (Les) | Raymond (Hippolyte), Mars (Antony) | opé 4 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1893 17 juil |
Catherinette | Mars (Antony) | opé 1 | Lunéville |
1893 17 juil |
Pierre et Paul | Mars (Antony) | opé 1 | Lunéville |
1894 20 mars |
Clary et Clara | Raymond (Hippolyte), Mars (Antony) | opé 3 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1895 23 janv |
Nicol-Nick | Raymond (Hippolyte), Mars (Antony), Duru (Alfred) | v 3 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1895 6 mai |
Dot de Brigitte (La) [2] | Ferrier (Paul), Mars (Antony) | opé 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1896 30 janv |
Voyage de Corbillon (Le) | Mars (Antony) | v 4 | Paris, Menus-Plaisirs (Th. Antoine) ou Cluny? |
1896 24 déc |
Sa Majesté l’Amour | Hennequin (Maurice), Mars (Antony) | opé 3 | Paris, Eldorado |
1897 10 fév |
Auberge du Tohu-Bohu (L’) | Ordonneau (Maurice) | v 3 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1897 28 oct |
Fêtards (Les) | Mars (Antony), Hennequin (Maurice) | opé 3 | Paris, Palais-Royal |
1898 28 janv |
Agence Crook et Cie (L’) | Ordonneau (Maurice) | v 4 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1898 26 mars |
Petite tache (La) | Carré (Fabrice) | v 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1898 20 sept |
Quatre filles Aymon (Les) | Liorat (Armand), Fonteny (A.) | opé 3 | Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy) |
1899 13 janv |
Poule blanche (La) | Mars (Antony), Hennequin (Maurice) | opé 4 | Paris, Cluny |
1902 4 déc |
Jockey malgré lui (Le) | Ordonneau (Maurice), Gavault (Paul) | v opé 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
[1] avec Lacôme (Paul)
[2] avec Serpette (Gaston)
Dernière modification: 29/02/2024