Rêve de valse, Tourcoing
dimanche 5 novembre 2023

Rêve de valse, Tourcoing

«Rêve de valse » au centre, Xavier Flabat et Fanny Crouet, à droite, Etienne Pladys (© BC)

Oui, c’est une valse de Vienne,
Une valse au rythme berceur,
Dont la langueur magicienne
Vous berce de sa douceur ! ...”

Ce superbe duo-valse du premier acte est l’air le plus célèbre de la partition d’Oscar Straus, non pas seulement pour sa beauté mais parce qu’il structure toute la partition. Omniprésent, il traduit parfaitement le vertige des sens du héros, vertige dont Reynaldo Hahn traduit parfaitement la portée, au lendemain de la création parisienne dans un article paru dans Le Journal1 :

« Du commencement à la fin, il y flotte une valse, la valse de Rêve de Valse ; obsédante,caressante, persistante, entraînante, languissante, c’est toujours la valse de Rêve de valse et même quand ce n’est pas elle qu’on entend, c’est encore elle, toujours elle ; elle succède aux autres valses qui se mêlent à elle, elle ne s’efface que pour reparaître, elle se transforme, se déforme, se reforme, tantôt lente, tantôt vive, tantôt voluptueuse et douce, tantôt bruyante et criarde, confondue avec les autres airs, les soulignant, les animant, les dominant, et ce procédé qui d’abord impatiente, puis exaspère, finit par s’imposer, par provoquer une sorte de vertige physiologique, par dégager une sorte de poésie… »

Cette valse obsessionnelle, que Hahn analyse de façon si lyrique, n’est cependant pas gratuitement plaquée sur l’opérette comme n’importe quel rythme, mais en constitue au contraire l’un des ressorts principaux puisque c’est à cause d’elle que l’intrigue se noue et se dénoue, à cause d’elle que Maurice perd la tête et à cause d’elle encore qu’il se réconcilie avec son épouse.

Si la création viennoise, le 2 mars 1907 au Carltheater, fut un triomphe, (à l’occasion de la 500e, Oscar Straus remercia son public en lui offrant une valse supplémentaire intitulée Lieben im Mai, en français : Amour printanier, ajoutée au 3e acte) la version française, d’abord donnée à Bruxelles le 30 janvier 1910 puis à Paris le 3 mars suivant à l’Apollo ne fut pas moins applaudie. L’adaptation par Léon Xanrof et Jules Chancel du livret allemand de Félix Dörmann et Léopold Jacobson se montre assez fidèle à l’original, du moins pour les deux premiers actes, tout en se montrant un peu plus explicite dans ce qui pourrait être grivois. Elle garde les mêmes noms aux personnages à l’exception du héros, Niki, qui devient Maurice de Fonségur, un Français, et de son ami Montschi appelé plus simplement Moussy. Les principaux interprètes de la création parisienne, dirigés par Oscar Straus lui-même, étaient Alice Milet et Henri Defreyn et surtout Alice Bonheur qui fut une adorable Franzi. L’œuvre fut aussitôt reprise dans des dizaines de salles de province et son succès ne s’est jamais démenti. En 1946, elle est inscrite au répertoire du théâtre Mogador (environ 300 représentations) et marque le début du « règne » de Marcel Merkès et Paulette Merval sur cette scène. À Mogador toujours, les deux artistes en ont donné une nouvelle série de représentations de février à novembre 1962 dans une présentation particulièrement luxueuse d’Henri Varna. Si l’on ajoute leurs tournées en province, on peut affirmer que le couple Merkès/ Merval, a totalisé environ un millier de représentations de Rêve de Valse. Un record !

C’est avec cette opérette viennoise, sœur de La Veuve joyeuse, que le Théâtre Raymond Devos de Tourcoing a débuté la saison 2023-2024. La compagnie des Mus’Arts, complétée par des professionnels talentueux pour les premiers rôles, a de nouveau fait appel à Philippe Padovani pour la mise en scène, toujours soignée et respectueuse du texte, et à Pascal Chardon pour diriger l’orchestre de 17 musiciens, certes très compétents, mais sans doute un peu juste en nombre pour mettre en valeur toutes les subtilités de la partition.

Curieusement celle-ci ne comprend que deux airs en soliste, confiés au héros : ses couplets d’entrée “Mesdam’s, Messieurs, c’est malgré moi…” et ceux du deuxième acte “Ma femme seule en son palais” (dont une note du livret indique qu’ils peuvent être supprimés). Suivant les mises en scène, l’opérette peut en compter un troisième, lorsqu’il est donné, la valse de Franzy de l’acte 3, Amour printanier. Tous les autres morceaux se présentent sous forme de duos, trios ou ensembles, ce qui donne de fait beaucoup de vie aux représentations.

Maurice de Fonségur, était interprété par le ténor belge Xavier Flabat qui sut donner vie à son personnage aussi bien scéniquement que vocalement et son duo-valse, cité en tête d’article, chanté avec le ténor léger Damien Féral, fut très applaudi. Ses deux excellentes partenaires féminines, se produisant aussi bien en opéra qu’en opérette, découvraient le chaleureux public tourquennois. La soprano colorature Fanny Crouet, tout charme, élégance et chant raffiné séduisit, en timide princesse Hélène, le public avec « je l’ai pour mari, celui que j’ai chéri » interprété en duo avec la Frédérique de Corinne Gautier, une habituée du rôle, qui partage également avec Franz l’amusant duo « Ah ! Si j’étais artiste !… » Cette dernière avait le charme piquant de Barbara Bourdarelle qui, outre ses duos avec Fontségur, Lothar et Frédérique, chanta la valse lente et nostalgique Amour printanier déjà citée. Elle possède de jolis aigus mais une projection légèrement insuffisante dans le médium peine à affronter le côté un peu « sourd » de la salle, les micros d’ambiance n’étant pas de mise dans ce théâtre.

Les rôles comiques étaient dévolus, pour le prince Lothar, le représentant immature de la « branche collatérale » à Etienne Pladys et, pour le souverain Joachim VII, à Ludovic Crombé, tous deux parfaits dans leurs incarnations. Les rôles secondaires de Wendolin, Sigismond et des musiciennes ainsi que les chœurs étaient parfaitement tenus par les membres de l’association des Mus’Arts

A l’issue du spectacle, toute la distribution a été chaudement applaudie par les très nombreux et fidèles spectateurs qui ne manqueront sans doute pas les deux productions suivante, Quatre jours à Paris, en février, et La Belle Hélène en avril 2024.

Bernard Crétel
5 novembre 2023

1 Le journal du 4 mars 1910, page 7.

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