Rêve de valse

par Bernard Crétel.

Attardons-nous quelque peu sur Rêve de valse pour en rappeler le parcours et les détails de son intrigue.

Cette opérette est le huitième ouvrage lyrique d’Oscar Straus, mais jusque-là, notre compositeur s’était surtout consacré soit à l’opéra ou l’opéra-comique soit à l’opérette satirique. L’énorme succès de La Veuve joyeuse de Lehár, créée en 1906, l’incita à se tourner vers le style viennois. Restait à trouver un bon sujet. Alors qu’il se trouvait dans un café du Prater de Vienne en train d’écouter avec beaucoup de plaisir un orchestre féminin jouant les succès du jour, un jeune écrivain lui proposa un sujet d’opérette qui mettait en scène un orchestre de femmes semblable à celui qu’il écoutait ; le sujet lui plut et il accepta de le mettre en musique. C’est ainsi, si l’anecdote est exacte, que Straus composa Rêve de Valse, sur un livret de Félix Dörmann et Léopold Jacobson, inspiré d’une œuvre de Hans Müller : Buch der Abenteuer (Le livre des aventures).

Image7La création viennoise, le 2 mars 1907 au Carltheater, fut un triomphe, (à l’occasion de la

Composer Oscar Straus 1907
Oscar Straus en 1907

500e, Oscar Straus remercia son public en lui offrant une valse supplémentaire intitulée Lieben im Mai, en français : Amour printanier, ajoutée au 3e acte). La version française, d’abord donnée à Bruxelles le 30 janvier 1910 puis à Paris le 3 mars suivant à l’Apollo ne fut pas moins applaudie. L’adaptation par Léon Xanrof et Jules Chancel du livret allemand de Félix Dörmann et Léopold Jacobson se montre assez fidèle à l’original, du moins pour les deux premiers actes, tout en se montrant un peu plus explicite dans ce qui pourrait être grivois. Elle garde les mêmes noms aux personnages à l’exception du héros, Niki, qui devient Maurice de Fonségur, un Français, et de son ami Montschi appelé plus simplement Moussy. Les principaux interprètes de la création parisienne, dirigés par Oscar Straus lui-même, étaient Alice Milet et Henri Defreyn et surtout Alice Bonheur qui fut une adorable Franzi. L’œuvre fut aussitôt reprise dans des dizaines de salles de province et son succès ne s’est jamais démenti. En 1946, elle est inscrite au répertoire du théâtre Mogador (environ 300 représentations) et marque le début du « règne » de Marcel Merkès et Paulette Merval sur cette scène. À Mogador toujours, les deux artistes en ont donné une nouvelle série de représentations de février à novembre 1962 dans une présentation particulièrement luxueuse d’Henri Varna. Si l’on ajoute leurs tournées en province, on peut affirmer que le couple Merkès/ Merval, a totalisé environ un millier de représentations de Rêve de Valse. Un record !

 

Paulette Merval et Marcel Meskes a Mogador en 1962
Paulette Merval et Marcel Merkès à Mogador en 1962  (© P.R.)

Le livret français (adaptation de Léon Xanrof et Jules Chancel) situe l’intrigue dans le grand-duché de Snobie, un état imaginaire proche de l’Autriche où règne, sur une cour compassée et rigidifiée par une étiquette surannée, le Grand-Duc Joachim VII.

Acte I
Pendant que s’achève, dans une pièce voisine, le repas de noces de sa fille Hélène, princesse héritière, avec le lieutenant Maurice de Fonségur, les courtisans, dans la salle du trône, s’indignent du fait que leur princesse épouse un simple lieutenant, un étranger et, plus encore, un Français ! (chœur). Frédérique d’Intersbourg, première dame d’honneur, met fin aux commérages en précisant qu’il s’agit d’un mariage d’amour (couplets) ce qui explique cette quasi-mésalliance. Puis les portes s’ouvrent et les gens de la noce apparaissent (marche et cortège nuptial).
Le Grand-Duc fait un petit discours puis demande à son gendre d’exprimer, lui aussi quelques paroles publiques. Maurice ne semble pas être très à l’aise, mais accepte de jouer le jeu ; cependant son discours s’avère assez désobligeant envers la cour, qu’il juge bien austère, et envers ce petit pays qui n’a rien de comparable avec la France où tout est propice à la joie. Couplets : « C’est malgré moi que je prends la parole ». Ce discours assombrit un peu les congratulations d’usage, mais le Grand-Duc estime qu’il y a du vrai dans ces critiques. Alors qu’il s’éloigne avec Maurice, Hélène se retrouve seule avec Frédérique et laisse éclater son bonheur. Duo : « Je l’ai pour mari, celui que j’ai chéri ». Quand les deux femmes se sont éloignées, Maurice, qui a réussi à se libérer, revient et reçoit les félicitations de son ami De Moussy, lui aussi lieutenant français. Il l’interrompt bien vite en lui avouant que, même si son épouse est ravissante, il n’éprouve qu’indifférence pour elle. En réalité, lors d’une réception, il l’a embrassée dans le cou, croyant qu’il s’agissait de sa cousine. Le scandale qui en a résulté l’a obligé à accepter ce mariage mais aujourd’hui, son vœu le plus cher est de mettre fin à cette union.
Une intervention du cousin et prétendant évincé Hélène, le prince Lothar, qui a pris Maurice en grippe, fournit à ce dernier le prétexte qu’il cherche : toute union princière qui resterait inféconde entraînerait l’annulation de cette union. Maurice saisit l’occasion et confie au Grand-Duc qu’il est incapable de procréer, ce qui plonge le souverain dans un grand embarras. Trio : « Ma pauvre dynastie… » À nouveau seul avec Moussy, Maurice lui avoue que s’il est aussi froid avec son épouse c’est que son cœur s’est mis à battre pour une jeune violoniste, entraperçue dans un parc voisin, qui l’a profondément ému en jouant une valse irrésistible, valse que l’on entend alors au loin. Duo : « Oui, c’est une valse de Vienne ». Moussy essaie de le mettre en garde « Crois-moi résiste, au doux printemps », auquel Maurice répond : « L’hymen est triste et j’ai vingt ans », et comme il ne peut résister à l’appel de l’aventure, il décide de s’échapper du château la nuit venue. Il lui faut cependant prendre congé de son épouse. Prétendant être fatigué et avoir la migraine, il lui souhaite bonne nuit et feint de se retirer dans ses appartements. Hélène, désespérée, ne sait comment interpréter cette attitude tandis que son entourage augure bien mal pour la succession de la dynastie..

Acte II
Dans le parc du restaurant-concert, un orchestre de jeunes viennoises se produit sur un kiosque. Après avoir joué et chanté une marche joyeuse (chœur d’entrée), les artistes, dirigées par la ravissante Franzi Steingruber, se présentent. Ensemble : « C’est nous les p’tites musiciennes. » Au cours d’une pause, elles parlent du mariage de la princesse avec un officier que l’on dit très beau pendant que leur chef, Franzi, jeune femme sentimentale mais sage, attend l’officier français Moussy avec lequel elle a accepté de souper. Celui-ci fait son entrée, accompagné de Maurice mais, quand ce dernier aperçoit la jeune fille, il reconnaît la belle violoniste qui l’a troublé et insiste auprès de son ami pour qu’il lui laisse la place. Il entreprend aussitôt une cour pressante : duo : « Voyons ! puisque la destinée nous rapproche gentiment » à laquelle Franzi se défend d’abord : « Mon bel officier, pourquoi me griser » puis, sensible au discours du beau militaire : « Viens, soit bonne / Tu peux croire à mon serment », elle accepte d’aller s’attabler avec lui au restaurant.
Le Grand-Duc et Lothar, ayant remarqué la fuite de Maurice, l’ont suivi jusqu’au jardin où ils espèrent le surprendre en flagrant délit. Alors qu’ils le cherchent, ils rencontrent les musiciennes qu’ils trouvent à leur goût ; octuor : « Suivant une loi commune ». Le repas terminé, Moussy prévient son ami de l’arrivée des gens du château et Maurice le charge de les éloigner, mais la vue du souverain le fait songer à Hélène. Air : « Ma femme, seule en son palais » ce qui lui donne quelques remords dont il se libère rapidement en se disant qu’il n’est plus maître de lui, qu’il a été ensorcelé par la musique : « Mais plus que tout la valse m’absout… oui, c’est elle la coupable ». Alors qu’il s’apprête à fuir le jardin, il aperçoit Hélène et Frédérique, elles aussi à sa recherche et n’a que le temps de se dissimuler. Franzi entre en conversation avec la princesse qu’elle ne connaît pas et, tout à son bonheur, met involontairement Hélène au courant de son infortune conjugale. La jeune femme qui se doutait bien de quelque chose, cache sa jalousie et demande à la musicienne comment se faire aimer d’un homme. Trio : « Ah ! soyez aimable de grâce, livrez-moi votre secret ! ». Hélène retient la leçon et promet de suivre les conseils.
Alors que le Grand-Duc, veuf depuis quelques années, ne semble pas indifférent aux charmes de Fifi, la grosse caisse de l’orchestre, Lothar, attiré par Franzi, veut lui montrer qu’il est lui aussi musicien. Duo-bouffe « Moi de la flûte j’ai le don … Piccolo, piccolo, tsin, tsin, tsin ». Pendant ce temps Maurice ronge son frein et, lorsqu’il croit les gens de la cour partis, il rejoint Franzi dont il semble très épris et qui le lui rend bien. Air de Franzi : « Quand deux êtres se regardent » (1). Ce tendre moment est interrompu par les gens de la cour qui surprennent les amoureux. Le Grand-Duc est scandalisé, mais Hélène, déjà au courant de son infortune, l’est moins et c’est avec ironie qu’elle interroge son mari sur sa fatigue et sa migraine. Ensemble « Pas possible / je suis pris / c’est mon mari. » Maurice se justifie maladroitement en invoquant à nouveau le sortilège de la valse : « Ma guérison, vous avez raison/ Peut avoir de quoi surprendre/ Étrange effet, une valse l’a fait/ Pour me croire, il faut l’entendre. »

Cependant, afin d’éviter que le scandale ne soit public, tout le monde presse Maurice de regagner le château. C’est alors que la valse éclate à nouveau, jouée par les musiciennes qui ont repris leur travail. « Écoutez, la valse chante/ Voyez si l’on peut résister. » Alors que le couple princier s’éloigne, un chœur de courtisans lui adresse ses vœux. Franzi comprend alors qui est l’homme dont elle s’est éprise et qu’elle a donné des conseils de séduction à sa rivale. De dépit, elle brise son violon. Tandis que le reste de l’orchestre continue à jouer la valse, les couples de danseurs occupent peu à peu la piste.

Acte III
Nous voici à nouveau au château, quelques jours plus tard. Le scandale a été évité, mais des bruits courent sur les époux (chœur d’introduction). Le Grand-Duc s’apprête à annuler le mariage mais sa fille, qui n’a pas renoncé à faire la conquête de son mari, lui demande de patienter encore un peu. Lorsqu’on annonce l’arrivée au palais de Franzi, le Grand-Duc, Lothar et Maurice sont surpris par l’audace de la jeune femme ; ils sont gênés car chacun croit qu’elle n’est venue que pour lui (trio : « Que le diable les emporte, dissimulons notre trouble ») 2. En fait, la musicienne n’est là qu’à la demande d’Hélène qui veut poursuivre ses leçons de séduction. Franzi a compris que Maurice n’est pas pour elle (air : Amour printanier) et, de façon désintéressée, s’emploie au bonheur de la princesse. Elle lui conseille de moderniser l’ameublement de son appartement, sa tenue et celle de son personnel et le fait avec une telle justesse de goût que Frédérique lui dit qu’elle ferait une excellente dame d’honneur, alors qu’elle même envie la vie romanesque de la musicienne (duo Franzi-Frédérique : « Ah ! si j’étais artiste »). Sous les conseils de Franzi, Hélène apprend surtout à modifier son comportement, à se montrer coquette ; devant son mari, elle affecte l’insouciance, la gaieté et se montre même assez distante pour lui offrir de lui rendre sa liberté. Maurice remarque tous ces changements qui l’intriguent et l’attachent peu à peu à Hélène, si bien que lorsque Lothar annonce qu’il épousera la princesse dès qu’elle aura répudié son mari, il se fâche pour tout de bon (duo Hélène-Maurice : « Qu’est-ce qui t’arrive Maurice ? »). Lorsque le Grand-Duc prononce l’annulation du mariage et annonce à Maurice qu’il peut partir, le jeune homme hésite ; il a conscience d’avoir gâché un possible bonheur. Néanmoins sa décision est prise. Va-t-il lui dire adieu ? (duo final : « Pourquoi la voir/ Tout est fini du soir/ Où la valse m’a fait coupable ») mais Hélène, plus séduisante que jamais, paraît et se met à chanter la fameuse valse qui a bouleversé Maurice : « Rêve de valse trop caressé/ Je te pardonne, c’est le passé ». Maurice est bien obligé de reconnaître qu’il est tombé amoureux de sa femme et se réconcilie avec elle. Quant à Franzi, elle s’éloigne, les yeux emplis de larmes, espérant trouver dans la musique la consolation à son bonheur perdu.

Diverses versions cinématographiques virent le jour dont la première, en 1929 était muette ! Après l’avènement du cinéma parlant, une autre version fut mise en scène par Ernst Lubitsch, en 1932, sous le titre Le lieutenant souriant. Maurice Chevalier y avait pour partenaires Claudette Colbert et Myriam Hopkins. Quant à Oscar Straus, désormais attaché au mot « valse » comme à un fétiche, il le réutilisa dans les titres des opérettes : La Dernière valse (1920), Trois valses (1935) et La première valse (1950).

Le lieutenant souriant

1. Cet air suivi d’un duo rajouté par Straus après 1945 dans une révision ultérieure, ne figure donc pas dans la version française.
2. La version originelle comprend ici un nouveau duo entre Franzi et Maurice également absent de la version française..
3) Il n’existe pas d’enregistrement intégral de la version française de Rêve de Valse ; par contre EMI-Pathé Marconi avait, en 1958, gravé une très belle sélection chantée par Mado Robin (Hélène), Liliane Berton (Franzi), Michel Dens (Fonségur) sous la direction de Louis de Froment. Les autres sélections vinyle : Paulette Merval et Marcel Merkès (Odéon/ CBS/ Sony), Colette Riedinger et Reda Caire (Decca), Colette Muzart et André Dassary (Vega), Renée Doria et Jacques Luccioni (Opérama), Marina Hotine et Henri Gui (Philips).

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