Les Travaux d’Hercule, Angers
samedi 30 décembre 2023

Les Travaux d’Hercule, Angers

« Les Travaux d’Hercule », au centre Alexandre Nervet-Palma, Julie Prayez, Corrinne Pasquier (© Philippe Laurent)

À nouveau un grand succès pour la troupe de l’Atelier Lyrique Angevin avec cette résurrection au combien réjouissante de l’opéra bouffe Les Travaux d’Hercule, premier grand succès du trio Claude Terrasse, Robert de Flers et Gaston Arman de Caillavet. Cette parodie savoureuse de la mythologie gréco-latine (dans la même veine que Le Joueur de flûte d’Hervé ou Orphée aux Enfers et La Belle Hélène d’Offenbach) fut assez peu donnée après sa création en 1901 et son remaniement en 1914, sans doute éclipsée par les autres succès du compositeur.

De par son contexte mythologique aussi fouillé que précis, cet ouvrage aurait pu déconcerter le public mais il n’en fut rien. Certes plusieurs personnages cités sont moins présents dans les esprits qu’au début du XXe siècle mais les noms d’Hercule et d’Augias sont toujours bien connus.1 De plus le livret n’a rien d’académique dans son langage, qui est celui de l’époque de la création, et se permet quelques allusions à l’actualité d’alors ; citons le scandale du canal de Panama, ici transcrit dans les magouilles liées au percement des Colonnes d’Hercule (le détroit de Gibraltar), ou les mouvements populistes agitant la France, peu éloignés de ceux d’aujourd’hui. Notons également les clins d’œil aux opéras bouffes d’Offenbach et d’Hervé.

La mise en scène soignée de Guillaume Nozach, alerte et imaginative, respecte l’œuvre en ne réécrivant pas le texte (cependant celui-ci, des plus bavards, a été écourté), et en la gardant dans le contexte antique grâce aux costumes (toges parfois revêtues de cuirasse pour les hommes, péplums pour les femmes, ou chitons pour les deux), les personnages évoluant dans un décor hellénistique simplifié. Une touche de modernisme a cependant été ajoutée par l’introduction d’autres personnages, quasi omniprésents mais discrets, muets et n’interférant pas ou très peu avec les héros de la pièce. Ils constituent une équipe de techniciens de cinéma chargés de filmer le déroulement de la pièce ; cameraman, perchiste, éclairagiste, maquilleuse, clapman, bruiteur, et dévoilent quelques trucs du septième art : volée de pétales pulsés par un ventilateur, fond vert pour l’inclusion des animaux terrassés par Augias… Tout cela est plaisant sans trop détourner l’attention. L’intérêt du spectacle naît bien sûr de l’inventivité mélodique de Terrasse, notamment dans les rythmes de marche ponctuant vivement la partition et la présence fréquente des chœurs ; il n’utilise cependant pas encore les rythmes nouveaux venus d’Amérique à l’exception de celui du boston pour ralentir ses valses. La réussite du spectacle tient au fait que tous ces ingrédients sont mis en valeur par une excellente troupe d’interprètes.

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Nicolas Bercet (© Philippe Laurent)

Tout d’abord, dans le rôle omniprésent d’Hercule, le baryton Nicolas Bercet (par ailleurs instigateur du projet et orchestrateur de quelques mesures additionnelles). Il réussit à mettre en évidence, de par son jeu très expressif et sa voix souple, le double visage du héros, à la fois « m’as-tu vu » et pleutre, et dont l’immaturité du caractère s’oppose à sa (supposée) force physique. Cette double nature est mise en évidence par les airs qui lui sont attribués. S’il affiche une fausse modestie (il sait bien qu’il n’a rien fait et ne fera rien des Travaux prédits par l’oracle), il aime à se prévaloir de sa naissance divine dans des couplets guillerets dont la strette finale mérite d’être citée : « Voilà comment papa ne fut pas mon papa, Comment mon vrai papa Devint mon faux papa, Pour fair’ un homm’ conm’ ça Il faut plus d’un papa, Voilà pourquoi j’ai deux papas. » (morceau préfigurant les couplets syllabiques des opérettes d’Yvain).

Et si, en public, Hercule entonne volontiers les rythmes enlevées comme la chanson de route : « La route est belle, belle, belle », il en va autrement en privé. Il ne peut mentir à sa femme, Omphale, qui exprime ses griefs dans le duo de la scène de ménage de l’acte II après qu’il lui a refusé le baiser réclamé ; pour tout justificatif il avance cette réponse superbe : « Je n’embrass’ plus que ma carrière » (rappel du Petit Faust d’Hervé). Pour sortir des situations périlleuses qui l’obligeraient à s’engager physiquement, s’il ne trouve pas de faux-fuyant, il ne lui reste qu’à implorer l’aide de Jupiter (d’ailleurs appelé ici aussi Jupin) mais dans une valse lente aux paroles enfantines : « Ah ! Ah ! Te dirais-j’ papa, Ton bébé Hélas ! s’en va Tomber Dans une mélass’ amère… » Heureusement pour lui, le cours des évènements vient toujours à son secours.

Se produisant dans un répertoire éclectique allant de l’opéra à la comédie musicale,2 la soprano Julie Prayer incarne ici une Omphale toute en beauté et élégance. Charmeuse dans son air d’entrée, la valse « Roses, roses effeuillez vos pétales… », elle garde une belle dignité dans sa frustration liée à la pusillanimité d’Orphée (duo ici coupé) ou dans sa rancœur devant la goujaterie de son mari (duo). La voix est belle et peut se développer dans les couplets quasi-colorature de « L’Éclat de rire » (morceau composé pour Edmée Favart pour la reprise de 1913) et dans le grand duo lyrique du III : « Repose-toi, repose-toi… » dans lequel, épuisée, elle reproche à Augias de l’avoir entraînée dans ses massacres d’animaux.

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Charles Mesrine et Julie Prayer (© Philippe Laurent)

Ce dernier, incarné par le ténor Charles Mesrine (bien connu à Angers pour ses incarnations dans La Poupée, Le Sire de Vergy, Chilpéric…) n’a que trois scènes, mais importantes, pour faire valoir ses qualités : celle de l’acte I témoignant de son affrontement verbal avec Hercule (Ensemble de la provocation), au deux, celle du Duo du rouet (scène attribuée à Hercule dans la mythologie) dans laquelle Omphale exprime ses exigences pour son enlèvement, et enfin celle du III présentée ci-dessus.

Dans le rôle d’Orphée, le ténor léger Alexandre Nervet-Palma (déjà remarqué dans Le Voyage en Chine), après la coupure de son duo avec Omphale, n’a plus que le début de la valse des roses et les ensembles pour faire admirer son joli timbre. Dans son jeu, il assume avec une élégance certaine le ridicule voulu pour ce poète légendaire, ici ramené à un poseur affichant des attitudes inspirées mais ridicules, épris d’Omphale et jurant de ne jamais épouser Eurydice.

Beaucoup plus étonnant est le personnage d’Erichtona, une guerrière amazone brandissant « le sabre de sa mère », venue interviewer Hercule. Son air d’entrée « Les amazones, sous le poids des boucliers… » est ponctué par les « Ran plan plan » du chœur. Dans ce rôle très physique, Corinne Pasquier met beaucoup de dynamisme aussi bien dans le jeu que dans le chant.

Autre personnage remarqué, Palémon, le serviteur d’Hercule : « Pour moi, dont personn’ ne dit rien, Je tiens à ce qu’on sache bien Qu’ c’est moi qui porte son panache, Qui le frictionne et le harnache, Et qui le masse après son bain. ». Et, assoiffé de reconnaissance, il s’invente une ascendance divine qui en fait « un demi-dieu domestique », Jupiter, au lendemain de sa nuit avec la mère du futur Hercule, ayant honoré « la petite bonne » en guise de pourboire. De cette étreinte de passage naquit Palémon dont le rôle est tenu par le séduisant ténor Étienne Girardin qui fit de la chanson de la petite bonne un véritable numéro de music-hall, source de chaleureux applaudissements.

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devant : Corinne Pasquier, Hervé Roibin, Nicolas Bercet, Alexandre Nervet-Palma, Etienne Girardin (© Philippe Laurent)

Parmi les seconds rôles, il nous reste à parler de Philippe Brocard, véritable baryton d’opéra incarnant Lycius, roi de Lycie et père de trente filles dont la virginité est attestée par les 30 ampoules allumées à l’avant scène. Dans sa « Vieille chanson du pays », accompagné par les vierges, il évoque les frustrations de la déesse Junon attachée à son paon.

Citons encore Hervé Roibin, campant Hannon, un vieux grec hilare trouvant « excitant » tout ce qui chatouille son imagination, Marion L’Héritier chantant les couplets de Chrysis, et François de Montferrand en Amphitéus, un autre grec. Le chœur, abondant et parfaitement dirigé par Christian Foulonneau, est très présent ; véritable personnage de l’intrigue, il participe activement à la dynamique de la pièce.

Assurant la cohérence musicale d’une partition abondante, le chef d’orchestre Rémi Corbier, après une ouverture bien menée, sait parfaitement diriger et accompagner les artistes ; comme tous les intervenants de ce spectacle, il a été récompensé au salut final, par des salves d’applaudissements.

Quant ils sont aussi bien montés, même les ouvrages anciens peuvent encore réjouir un public de tous âges comme celui de cette représentation !

Bernard Crétel

30 décembre 2023

1) Le programme du spectacle comprend d’ailleurs un petit lexique des principaux personnages de la pièce, accompagnés d’illustrations.

2) En janvier 2023, nous avions applaudi Julie Prayer dans son incarnation saisissante du personnage de Marie-Ange dans la création de l’opéra-polar Héros, à Sin-le-Noble.

 

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