Louis Varney est le célèbre compositeur des Mousquetaires au couvent mais bien avant lui, son père, Alphonse Varney, eut également son heure de célébrité, moins pour ses opérettes, complètement tombées dans l’oubli, que pour son Chant des Girondins, célèbre jusqu’au-delà de nos frontières, et pour sa carrière de chef d’orchestre, notamment auprès de Dumas père puis d’Offenbach lors de la période des Bouffes-Parisiens.
Alphonse Varney, né à Paris, le 1er décembre 1811, étudie la musique et le violon dès son enfance. Le 1er février 1832, il entre au Conservatoire de la capitale et y étudie pendant trois ans, et se fait remarquer, le 16 novembre 1834, avec une ouverture composée pour le quarantième anniversaire du Conservatoire. C’est là qu’il fait la connaissance de Jacques Offenbach de huit ans son cadet. Varney en sort le 22 mai 1835 et commence aussitôt une carrière de chef d’orchestre en Belgique, au théâtre de Gand où il reste deux ans. Puis il est attaché à divers théâtres de province avant de gagner les États-Unis où il dirige et enseigne la musique à La Nouvelle-Orléans pendant plusieurs années. En 1844, il y est invité à conduire la Saison Française d’Opéra, où l’on joue les œuvres de Rossini, Auber, Adam… La même année, il épouse une américaine, Aimée Andry, qui lui donne deux fils, le premier étant Louis, qui s’illustrera avec Les Mousquetaires au couvent.
L’année suivante, il revient à Paris pour diriger l’orchestre du Théâtre-Historique qu’Alexandre Dumas fait bâtir Boulevard du Temple, pour y donner les drames de Shakespeare, Goethe, Schiller, Calderon, et surtout l’adaptation scénique de plusieurs de ses romans, Varney composant et dirigeant la musique de scène qui les accompagne. L’inauguration, qui se fait avec La Reine Margot dotée de couplets à chanter, a lieu le 20 février 1847 et connaît un succès « fantastique : le public fit queue pendant deux jours et une nuit devant les guichets, et La Reine Margot alla aux nues ! » (1). Puis vient, la même année, Le Chevalier de Maison-rouge, de Dumas et Maquet, qui apporte la célébrité à Varney grâce à un chœur, sorte d’hymne funèbre, chanté au moment de la mort des Girondins, dont les paroles du refrain s’inspirent de Rouget de Lisle :
« Mourir pour la patrie
C’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie » (2).
Varney, sans reproduire la phrase musicale originale, en prend le rythme et l’allure. Ce « Chant des Girondins » considéré comme le dernier des chants patriotiques français, connaît un énorme succès et sert de cri de ralliement aux révolutionnaires de 1848, puis est repris en 1914, 1939, 1944, et est enregistré au disque dès 1908.
Suivent, toujours de Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, donné en deux journées à partir du 4 février 1848 mais dont les représentations sont interrompues par la Révolution, La Jeunesse des mousquetaires, Le Chevalier d’Harmental, La Guerre des femmes, Le Comte Hermann, Catalina, La Marâtre et Urbain Grandier.
Citons également Le Chandelier, d’Alfred de Musset, donné en août 1848, et qui sera repris à La Comédie Française en 1850. C’est pour cette pièce qu’Offenbach composera la fameuse chanson «Si vous croyez que je vais dire qui j’ose aimer », mais Delaunay, l’interprète principal, ne pouvant la chanter, elle est simplement récitée, sur une musique de Varney. (Offenbach l’inclura beaucoup plus tard, en 1861, dans son délicieux opéra-comique La Chanson de Fortunio).
Terminons avec la musique de scène que Varney compose pour Atala, sorte d’oratorio-cantate de Dumas fils qui est également donnée en 1848. Cependant le Théâtre-Historique n’a qu’une brève existence. La somptuosité des productions et les événements politiques conduisent Hostein, le directeur de la salle à la démission et Dumas à la faillite qui est prononcée le 20 septembre 1850. Ruiné, Dumas doit vendre son château et fuir les créanciers.
Le théâtre de Dumas est repris par Edmond Seveste qui réussit, sous le nom d’Opéra-National, à le transformer en troisième scène lyrique parisienne pour y faire débuter les compositeurs n’ayant pas accès à l’Opéra ou à l’Opéra-Comique. Il récupère ainsi le privilège accordé trois ans plus tôt à l’éphémère théâtre d’Adolphe Adam, ouvert un peu plus loin sur le boulevard. Le nouvel opéra est inauguré le 28 juillet 1851 avec Mosquita la sorcière, de Xavier Boisselot. A la tête de l’orchestre, on retrouve Alphonse Varney qui a été maintenu à son poste et qui dirige également, dans les mois suivants, les créations de La Perle du Brésil, de Félicien David, La Butte des moulins, d’Adrien Boieldieu, ou encore La Poupée de Nuremberg d’Adolphe Adam. Au décès d’Edmond Seveste, en février 1852, le théâtre passe entre les mains de son frère, Jules Seveste qui le rebaptise Théâtre-Lyrique, nom qu’il garde lorsque, suite au percement des grands boulevards, le bâtiment est démoli et reconstruit en face du Châtelet. (Par la suite, il prendra le nom de Théâtre Sarah Bernhardt pour aujourd’hui s’appeler Théâtre de la Ville).
Varney profite de ce changement de direction pour donner sa démission. Il souhaite en effet un peu plus de temps libre pour se consacrer à la composition, continuant néanmoins à diriger, mais dans des théâtres d’importance moindre, à Gand, à nouveau, en 1853, à La Haye en 1855, ou encore au Théâtre des Arts de Rouen en 1856 – 57. Ce n’est qu’en 1857 qu’on le revoit à nouveau diriger dans la capitale, aux Bouffes-Parisiens d’Offenbach.
Après le petit théâtre des Champs-Élysées où il s’est fait connaître, Offenbach transporte sa troupe passage Choiseul, dans la salle du prestidigitateur Comte, salle qu’il rebaptise Théâtre des Bouffes Parisiens et qu’il inaugure le 29 décembre 1855 avec Ba-Ta-Clan. Moins de deux ans plus tard, il engage Varney comme chef d’orchestre qui, peu après, dans la soirée mémorable du 28 décembre 1858, dirige L’Impresario, de Mozart, Bruschino, de Rossini et Les Pantins de Violette, d’Adam, devant un beau parterre aristocratique.
Pendant huit ans, une étroite collaboration unit le maestro à son chef pour la création d’une foule d’actes parmi lesquels on peut citer : Le Mariage aux lanternes, Les Deux pêcheurs, Mesdames de la Halle, La Chatte métamorphosée en femme, qui précédent le triomphe d’Orphée aux Enfers, le 21 octobre 1858. Suivent Un mari à la porte, Geneviève de Brabant (1ère version), La Chanson de Fortunio, Le Pont des soupirs (1ère version), Monsieur Choufleuri… pour ne citer que les plus célèbres. Pour ce qui est de Monsieur Choufleuri, il est d’abord présenté au Corps Législatif, que dirige le beau-frère de l’Empereur, et où Varney a emmené ses 22 musiciens (31 mai 1861).
Lorsque Offenbach s’absente pour monter ses œuvres à l’étranger, il sait pouvoir compter sur son chef pour s’occuper du théâtre. De même, l’été, ce dernier mène la troupe en province, à Orléans, Bordeaux, Marseille… mais aussi à Bad Ems et parfois même en Autriche… pour y faire connaître leurs dernières créations.
Cependant, la gestion des théâtres n’étant pas le fort d’Offenbach, les Bouffes-Parisiens connaissent rapidement un déficit chronique. Non par manque de succès, mais la salle est trop petite pour permettre de rentabiliser les spectacles, d’autant plus que le maître ne regarde pas à la dépense pour afficher des mises en scène coûteuses. Au bord de la faillite, le compositeur signe, en janvier 1862, une convention qui cède la direction du théâtre à Varney, celui-ci s’engageant à reprendre à son compte les dettes d’Offenbach, s’offrant même à en payer 20% comptant. Le bail est signé pour 5 ans, mais le maestro garde certains avantages ainsi que la direction de la scène pour le choix des spectacles.
L’état financier du théâtre continue cependant à se dégrader et Varney peine de plus en plus à payer ses artistes et à maintenir les avantages financiers promis à Offenbach. Celui-ci lui fait un procès, qu’il gagne. Pour augmenter le nombre des spectateurs, Varney entreprend, en 1863, de vastes travaux d’agrandissement de la salle qui passe de 840 à 1100 places. Peine perdue car, en plus du coût important des travaux, ses capacités à gérer une salle de spectacle ne sont guère meilleures que celles d’Offenbach. Après une solution de compromis qui l’associe à un courtier de banque, Eugène Hanapier, homme d’affaire expérimenté mais connaissant mal le théâtre, il lui faut jeter l’éponge et redevenir simple chef d’orchestre. Ces péripéties n’entachent pas vraiment l’ amitié des deux compères puisque peu après, en 1865, Varney est invité à Etretat pour le mariage de Berthe, la fille aînée d’Offenbach. Mais il a alors rompu tout lien avec les Bouffes-Parisiens qui ont été repris par Eugène Prévost, chef-compositeur qu’il a autrefois côtoyé à La Nouvelle-Orléans. Varney, quant à lui, a accepté un engagement à Bordeaux.
Si jusqu’à présent nous avons surtout parlé des musiques de scène écrites pour le théâtre de Dumas, il faut ajouter que Varney compose également un certain nombre de romances et mélodies : « Les cheveux noirs », « La peur de Madame la Châtelaine », « L’Amour guéri », « Point de beaux jours sans les amours », « Dans ma nacelle allons ce soir », « Ô belle France, je ne te verrai plus », « La fiancée du janissaire », « Etonnez-moi », « Laisse en paix dormir mes amours » ou encore « Mirza » (barcarolle tirée d’un opéra inédit)… ainsi que huit ouvrages scéniques, des levers de rideau pour la plupart en un acte, dans lesquels il manifeste, selon Bruyas, de réelles qualités musicales.
Le premier s’appelle Le Moulin joli, une pièce en un acte de Clairville, donnée à La Gaîté le 18 septembre 1849.
L’action se passe en 1750, près de Paris.
Le Duc d’Entragues a deux fils. L’aîné fait carrière comme officier, mais le second, Gaston, dont il n’est pas certain de la paternité, est élevé secrètement dans un collège de Riom. Il a confié son éducation, contre promesse d’une pension, à l’austère Maître Placide, avec pour consigne de le laisser complètement ignorant des choses de la vie. Lorsque le rideau se lève, Maître Placide arrive avec Gaston dans sa résidence secondaire tenue par Pâquerette et Nivelle, ses filleuls, qui s’aiment et voudraient se marier. Afin de respecter les engagements pris, le tuteur doit éviter toute tentation à Gaston qui n’a pas encore tout à fait dix-huit ans. Il fait donc enfermer Pâquerette dans un moulin situé à l’arrière de la maison mais qu’on aperçoit depuis la fenêtre du fond. La jeune femme, furieuse d’être cloîtrée et curieuse de voir le nouveau venu, s’installe à la fenêtre du moulin et se met à chanter. Gaston qui, s’il ne connaît rien à la vie, la sent néanmoins palpiter en lui, est fasciné par la vue et la voix de la servante qui le tirent de son profond ennui quotidien.
Une lettre du Duc met Placide dans un profond embarras. L’aristocrate l’avertit que son fils aîné, blessé dans un duel, est sur le point de mourir et lui demande de faire du second un colonel de dragons pour pouvoir le présenter à la cour. Mais comment transformer en militaire ce tendron qui déteste les combats ? Après de vaines explications et ayant réalisé que seul l’attrait des femmes peut donner de l’ambition à un jeune homme, il fait appel à Pâquerette pour l’émoustiller au cours d’un repas bien arrosé, négligeant par ailleurs la jalousie de Nivelle. L’opération est une réussite et, vêtu d’un superbe uniforme, Gaston se sent prêt pour la carrière des armes.
Une nouvelle lettre du Duc annonce que le fils aîné est sauvé. Le tuteur, voyant la pension promise s’envoler, se sent mal et fait enfermer Gaston dans sa chambre. Pâquerette qui s’est permise de lire la fin de la missive apprend que le Duc souhaite cependant que son cadet vienne à la cour, les soupçons qu’il avait sur sa mère ayant été lavés. Maître Placide respire ; quant à Gaston, il est heureux de retrouver son père mais promet secrètement à Pâquerette de revenir la voir.
La partition comprend une dizaine de morceaux : des couplets pour chacun, deux romances pour Gaston, deux duos, un trio, deux quatuors et un final qui reprend la chanson de la meunière de Pâquerette. Les interprètes en sont Mlles Hortense Jouve (Gaston, rôle travesti) et Fany Klein (Pâquerette), MM Castel (Maître Placide) et Francisque Jeune (Nivelle). Le moulin joli connaît un certain succès qui lui permet d’être repris en province, à Rouen et au Havre notamment, ainsi qu’à Bad Ems en 1863.
Les autres œuvres :
Quelques mois plus tard, la Gaîté affiche une opérette, Il était un Roi et une Reine qui est créée le 20 avril 1850, mais qui laisse apparemment peu de souvenirs, tout comme La Quittance de minuit donnée 6 janvier 1852 aux Variétés. Après le départ de Varney de l’Opéra-National rebaptisé Théâtre-Lyrique, Jules Seveste monte, le 9 novembre 1852, La Ferme de Kilmoor, un opéra-comique en deux actes qui est éreinté par la critique.
Varney se console avec L’Opéra au camp donné le 18 août 1854 à l’Opéra-Comique, dans lequel, 24 ans avant Offenbach, il met en musique les aventures de Madame Favart et du Maréchal de Saxe. L’ouvrage comporte une ouverture avec une amorce fuguée évocatrice des duels, comme celle du Pré aux clercs de Hérold. On y remarque aussi une chanson militaire, une mélodie sur la « Charité » et un bon duo chanté par le major et Madame Favart. Les interprètes en sont MM Lemaire, Duvernoy, Riquier-Delaunay et Mlles Bélia et Andrea-Favel. (13 représentations)
Un an après l’arrivée de Varney aux Bouffes-Parisiens, Offenbach accepte de monter sa Polka des sabots et, en hommage à son chef, tient à diriger lui-même l’orchestre pour la première représentation, donnée le 26 octobre 1859. Cette petite pièce amusante est applaudie, notamment les jolis couplets de Doucette, interprétés par Mlle Chabert. Une seconde opérette, un imbroglio carnavalesque intitulé Une fin de bail, est donnée aux Bouffes le 20 janvier 1862. C’est un ouvrage de circonstance qui est créé pendant la courte période séparant la direction d’Offenbach de celle de Varney, car le contrat de reprise du théâtre stipule que le nouveau directeur ne peut présenter qu’une opérette de lui par an, et encore, après accord du ministre de tutelle. En fait, Varney n’aura guère la possibilité d’en présenter une autre, vue la brièveté de sa direction.
Engagé comme chef d’orchestre au Grand-Théâtre de Bordeaux en 1865, Varney prend également, l’année suivante, la direction du Conservatoire de la ville. Bientôt, à l’instar de Pasdeloup qui vient de créer, en 1861 à Paris, « Les concerts populaires de musique classique », il lance, avec la Société Sainte-Cécile dont il assure également la présidence, une série de concerts populaires qui s’avère cependant éphémère. En février 1868, il fait représenter au Grand-Théâtre ce qui sera son dernier ouvrage, La Leçon d’amour, un opéra-comique composé sur un livret d’Edouard Varney fils (le frère de Louis).
Varney assure ces fonctions jusqu’en 1878, année de sa démission puis, avec toute sa famille, regagne Paris où il habite au 38 du boulevard Saint Germain. Il meurt d’une maladie de cœur quelques mois plus tard, le 7 février 1879. Il est enterré dans la dixième section du Cimetière Montmartre, cimetière où son ami Jacques Offenbach le rejoint l’année suivante, le 5 octobre 1880.
Varney a assuré lui-même la formation de son fils Louis et l’a vu débuter avec diverses petites pièces mais il est mort un an trop tôt pour le voir triompher, avec Les Mousquetaires au couvent, dans ce théâtre des Bouffes-Parisiens où il a tant donné de lui-même.
[1] Citation tirée de «Le Boulevard» de Jules Bertaud (Flammarion, 1924).
[2] Rouget de Lisle avait écrit ce refrain dans Roland à Ronceveau, chant guerrier composé en 1792 à Strasbourg, en même temps que « La Marseillaise », puis l’avait repris en 1794 dans un autre chant : « Le Vengeur »
Extrait d’un article de Bernard Crétel paru dans Opérette n° 151
— Références
Vous retrouverez Alphonse Varney dans « Opérette » n° 151. Si cet article vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
— Œuvres lyriques
Légende : opé = opérette, C: = création
Le chiffre indique le nombre d’actes.
Création | Titre | Auteurs | Nature | Lieu de la création |
1849 18 sept |
Moulin joli (Le) | Clairville | opé 1 | Paris, Gaîté |
1850 20 avril |
Il était une fois un Roi et une Reine | Nézel | opé 1 | Paris, Gaîté |
1852 6 janv |
Quittance de minuit (La) | Bommerson (R.), Deslandes | oc 1 | Paris, Variétés |
1852 9 nov |
Ferme de Kilmoor (La) | Deslys (Charles), Woestyn (Eugène) | o 2 | Paris, Théâtre Lyrique National |
1854 18 août |
Opéra au camp (L’) | Foucher (Paul), Goubaux | oc 1 | Paris, Opéra-Comique |
1859 26 oct |
Polka des sabots (La) | Dupeuty, Bourget | opé 1 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1862 20 janv |
Une fin de bail | Crémieux (Henri), Halévy (Ludovic) | opé 3 | Paris, Bouffes-Parisiens |
1868 fév |
Une leçon d’amour | Varney (Edouard) | oc | Bordeaux |
Dernière modification: 29/02/2024