Paul Lacôme d’Estalenx (1838-1920)

Paul Lacôme d’Estalenx (1838-1920)

Paul Lacôme, photo Nadar

Parmi les compositeurs d’opérettes du XIXème siècle, Paul Lacôme (1838-1920) occupe une place non négligeable. Si ses ouvrages ne connurent pas la popularité des grands ouvrages de Lecocq, Audran Varney ou Planquette, ses contemporains, il fut néanmoins presque toujours à l’affiche et des opérettes comme Jeanne, Jeannette et Jeanneton ou Madame Boniface connurent un juste succès. On lui doit aussi des morceaux pour piano, de très nombreuses mélodies dont la célèbre Estudiantina et un grand nombre de suites pour orchestre dont les deux plus connues, La Féria et Mascarade, qui ont empêché son nom de sombrer dans l’oubli.

Une vocation précoce

Paul Jean-Jacques Lacôme d’Estalenx naquit le 4 mars 1838 au Houga, petite commune du Gers située au sud-est de Mont-de-Marsan. Sa mère, passionnée de musique, transmit à son fils dont elle se chargea de l’éducation, son goût pour le dessin et la musique. Utilisant un talent précoce, Paul improvisa, écrivit des accompagnements et composa pour la voix, le piano et même pour l’orchestre, lui-même jouant indifféremment du piston, du violoncelle ou de l’ophicléide. Peu à peu il se forgea une réputation qui lui permit, à dix huit ans, de remplacer l’accompagnateur de deux sœurs violonistes qui se produisaient à Mont-de-Marsan. Ce premier concert fut une révélation. Après la mort de ses parents, survenue en 1859, il fut pris en charge par ses oncle et tante qui le poussèrent à se marier et à trouver une situation, estimant que si la musique était un art, elle ne pouvait être une profession. Paul continua néanmoins à se perfectionner en suivant les cours d’orgue et d’harmonie de José Puig y Absubide. Ce musicien d’origine espagnole fut le seul professeur important de Lacôme mais sut lui inculquer de façon approfondie les particularités des musiques italiennes et espagnoles. De cette époque datent deux compositions : Jeune fille et jeune fleur, dédiée à Félicien David et Ellora, dédiée à Halévy qui l’encouragea à poursuivre.

Des débuts modestes

En 1862, Paul Lacôme eut entre les mains un journal parisien qui organisait un concours; il s’agissait de mettre en musique un livret d’opéra-bouffe en un acte intitulé Le Dernier des Paladins. Lacôme se jeta à l’eau et envoya une partition qui obtint le premier prix. Tout à sa joie, il se rendit à Paris et fut présenté au directeur des Bouffes-Parisiens, le compositeur et chef d’orchestre Alphonse Varney (père de Louis Varney) qui proposait de monter l’œuvre (en fait, elle ne le sera jamais). Lacôme profita de son séjour pour voir les principaux théâtres lyriques et pour étudier la technique allemande qui manquait à sa formation. C’est ainsi qu’il découvrit Wagner à travers les partitions de Tannhäuser et de Lohengrin ; passionné par ces opéras alors peu connus en France, il devint l’un des wagnériens de la première heure et consacra par la suite divers articles à cette musique.
De retour au pays, pendant deux ans, il suivit à Agen des cours de musique de chambre qui lui permirent d’écrire un quatuor, un boléro, une polonaise et diverses mélodies qu’il faisait jouer devant un public d’amis.
En 1864, curieux d’avoir un avis officiel sur son talent, il envoya une ouverture à un concours présidé par Ambroise Thomas. Cette ouverture était celle d’un grand opéra, La Danse Macabre, qu’il avait composé sur un livret de son ami Jules de Lau-Lusignan pendant ses années de collège. Elle obtint une première mention, résultat tout à fait honorable quand on sait que les deux premières places revinrent à des musiciens ayant déjà reçu le Prix de Rome !

Installé à Paris, pour gagner sa vie, Lacôme se lança dans la critique musicale et réussit, grâce à diverses relations, à écrire dès janvier 1865 dans la revue L’Art Musical d’Escudier. Celui-ci lui offrit en outre, d’imprimer sa Polonaise, une Grande Valse en ré et Trois Valses Caractéristiques qui furent données en prime avec la revue. Peu après, Lacôme réussit à faire jouer avec succès son Quatuor puis, en 1866, un Trio et un choral, et vendit à l’éditeur Heugel trois romances qui lui valurent ses premiers gains de compositeur. Toujours en 1866 il tenta de faire jouer un opéra-comique, Amphytrion, et un acte intitulé La Queue de Jacot, mais là encore les deux ouvrages restèrent dans leurs cartons. L’heure de triompher sur une scène n’avait pas encore sonné…

La pertinence de ses articles lui ouvrit les pages d’autres revues : L’Evènement, Le Contemporain Le Grand Journal et par la suite L’Entracte et Le Ménestrel, ce qui lui permit de côtoyer les grands compositeurs de son époque et de se lier avec certains d’entre eux comme Massenet, Messager et surtout Chabrier qui le tenait en grande estime. Lacôme travailla même avec Verdi ; dans son Gers natal, il avait entendu des chanteurs ou des guitaristes espagnols de passage jouer leur répertoire et il avait noté ces mélodies et rythmes typiques. Escudier qui connaissait le hobby de son employé, le présenta à Verdi qui recherchait des chansons espagnoles pour son Don Carlos alors en gestation ; le jeune homme lui joua tout ce qu’il connaissait et le maître choisit quelques airs dont deux furent intégrés à son opéra !
Pendant quinze ans, Lacôme se consacra à la rubrique musicale, aux analyses d’ouvrages et aux comptes-rendus de spectacles français ou étrangers, relatant par exemple la création belge de Lohengrin. En 1868, à l’occasion de l’Exposition de Sarragosse, il découvrit, comme envoyé spécial de L’Année Illustrée, cette Espagne qu’il ne connaissait pas encore et ramena toute une collection de chansons populaires dues à des compositeurs inconnus ou oubliés.

Pour augmenter ses revenus, Lacôme était entré, dès 1867, au service d’Adolphe Sax, le célèbre facteur d’instruments de musique et le génial créateur d’inventions multiples (40 brevets dont celui du saxophone). Pendant dix ans, il écrivit de nombreux articles pour lui et composa à sa demande en 1870 des Morceaux de Concours pour la classe d’instruments à pistons du Conservatoire. L’amitié de Sax lui valut d’autres commandes comme la Marche Triomphale pour la Garde Nationale et l’espoir d’être représenté sur la scène de l’Opéra dont Perrin, le directeur, avait accepté de monter La Danse Macabre, cette oeuvre de jeunesse que Lacôme avait complètement remaniée. En attendant la création, il eut la joie d’assister, le 14 juin 1870, à l’accueil chaleureux que le public réserva à l’air de ballet du premier acte joué au Concert des Champs-Élysées et qui fut réinscrit au programme d’un autre concert.

Tout semblait donc se présenter au mieux pour notre musicien, d’autant plus que le 16 juin suivant, les Folies-Marigny créaient son opérette en un acte, Épicier par amour. La pièce fut applaudie mais n’eut guère de lendemain ; en effet elle avait été créée le soir de la mobilisation générale et les jours suivants une bonne partie des artistes et musiciens du théâtre partaient pour la Guerre de 1870 ! Période sombre pour Lacôme qui fut séparé de ses nombreux amis allemands et qui vit disparaître tout espoir de représentation pour La Danse Macabre.
Réfugié au Houga, loin des sanglants combats de rues qui ravagèrent la capitale en 1871, il composa une Complainte de la Vierge et mit au net un recueil de chansons espagnoles dont il écrivit les arrangements. Intitulé Échos d’Espagne, il fut publié en avril 1872 et remporta aussitôt un vif succès, faisant de son auteur le spécialiste français de ce genre de musique et lui permit d’obtenir du roi d’Espagne Alphonse XII, la décoration de Chevalier de Charles II. Quelques années plus tard ce recueil servit de base d’inspiration à Bizet qui y puisa en 1875 la célèbre Habanera de sa Carmen et peut-être aussi son dernier entracte (1). On peut considérer l’année 1872 comme celle de ses véritables débuts puisqu’elle vit la reprise de Épicier par amour aux Folies-Marigny et la création de deux autres petits ouvrages qui le lancèrent et préludèrent à la vingtaine d’opérettes ou opéras-comiques qui allaient suivre.

Mais avant d’aborder chacune de ces œuvres, arrêtons nous sur d’autres genres musicaux dans lesquels Lacôme s’illustra tout au long de sa carrière.

Mélodies et musiques diverses

Dans le dernier quart du XIXe s, la mélodie était encore un genre musical très prisé du grand public et procurait aux compositeurs des revenus immédiats non négligeables. Lacôme en écrivit 141, production abondante qui regroupe des mélodies proprement dites, au style élevé, des romances et des chansons.

Lacome Estudiantina 2

Il mit ainsi en musique des vers de Ronsard, Hugo, Musset et de son ami d’enfance Jules de Lau-Lusignan, mais c’est Armand Sylvestre qui fut le plus souvent illustré et Lacôme écrivit lui-même quelques textes. Certaines mélodies se présentent sous forme de cycles de duos, souvent pour deux voix égales dont l’un des titres, « Estudiantina », connut un très net succès (1882); ce morceau, qui évoque l’Espagne sur un rythme vif à trois temps marqué par le tambour de basque, servit de base à la célèbre valse du même nom de Waldteufel.

Lacôme écrivit également divers recueils de chansonnettes pour enfants, dont « La Toussaint » qui devint très populaire et que Thérésa inclut à son répertoire.
Outre les mélodies espagnoles, Lacôme s’intéressa aux musiques des autres pays (ex. le recueil « Le Tour du Monde en 10 chansons ») mais aussi à celles du passé qu’il fit publier dans diverses anthologies qui permirent de faire renaître tout un patrimoine oublié.

À côté de ces productions, Lacôme composa pour piano ou orchestre des pièces légères très appréciées parmi lesquelles ou peut citer 19 suites évoquant des atmosphères ou des lieux divers : Cotillon, La Douce Maison, Gitanilla, Noce Gasconne, Par tous Pays, Les Pyrénées, Un Soir à Tanger… et les deux plus célèbres, dont il existe au moins un enregistrement (2):
– Mascarade, cinq airs de ballet: Cortège (marche), Arlequin et Colombine (divertissement), La Famille Polichinelle (menuet), les Mandolinistes (sérénade) et Final alla polacca (défilé).
La Féria, suite espagnole en 3 parties : Los Toros (les Taureaux) La Reja (sous le balcon, sérénade) et Zarzuela (au théâtre).

Terminons cette partie avec l’évocation d’un autre aspect de sa production, celui de la musique religieuse qui regroupe une bonne trentaine d’œuvres sacrées dont un Oratorio de Pâques, composé en 1900 sur un texte de Georges Duval.

Les ouvrages scéniques

En 1872, après les horreurs de la guerre et de la Commune, Paris renaissait aux spectacles mais le goût du public avait changé ; aux bouffonneries d’Offenbach ou d’Hervé on commençait à préférer les opérettes « plus sages » de Lecocq qui apparaissait comme le chef de file de cette nouvelle manière appelée « opérette bourgeoise » dans laquelle allaient s’illustrer des nouveaux venus tels que Audran, Planquette, Varney ou Lacôme. Celui-ci réussit à faire jouer à La Tertulia, un café-théâtre de la rue de Rochechouart, deux opérettes en un acte : J’veux mon peignoir, créée le 11 mai et En Espagne, donnée à partir du 28 mai avec un succès plus net, oeuvrettes sans prétention mais qui lui permettaient d’être enfin joué. Lacôme s’investit davantage dans l’ouvrage suivant, un opéra-bouffe en 3 actes intitulé La Dot mal placéequi fut créé le 28 février 1873 à l’Athénée-Lyrique. Ce fut un joli succès dû à une distribution soignée en tête de laquelle brillait la jeune Juliette Girard mais aussi aux mérites de la musique qui contenait déjà ce qui serait la marque de Lacôme : un talent aimable et facile relevé par une orchestration habile et pleine de détails charmants.

Remarqué par les directeurs de salles de spectacles, Lacôme allait désormais produire régulièrement une série d’ouvrages aujourd’hui tombés dans l’oubli mais que Florian Bruyas, dans son Histoire de l’Opérette en France, juge souvent favorablement. Les premiers ont cependant laissé peu de traces comme Le Mouton enragé, donné aux Bouffes en 1873 ou Les Petits papiers, un acte créé à Bruxelles en 1874. Amphitryon, opéra-comique en un acte donné en 1875 à la salle Taitbout, reçut un bon accueil mais ce n’était pas encore là le gros succès que Lacôme espérait ; celui-ci vint l’année suivante avec :

6729966015 b67df1092d mJeanne, Jeannette et Jeanneton, un opéra-comique en 3 actes de Clairville et Delacour qui fut donné aux Folies-Dramatiques le 27 octobre 1876, succès qui se prolongea pendant plus de cent représentations.
L’intrigue, située sous le règne de Louis XV, nous fait découvrir au prologue, trois jeunes femmes débarquant à Paris avec le ferme désir de réussir dans la vie. Dans les trois actes suivants, nous les voyons presque « arrivées » puisque la première, Jeanne, devient comtesse Du Barry, future favorite du roi, le seconde, Jeannette, s’illustrera bientôt sous le nom de la Guimard la grande danseuse du XVIIIs, quant à la dernière, Jeanneton, personnage inventé, elle restera simple bourgeoise mais héritera du Cadran Bleu, le fameux restaurant du boulevard du Temple. Avant d’arriver à ces positions, les trois Jeanne se trouvent cependant mêlées à des péripéties diverses qui compromettent un temps une situation encore bien précaire.
Prétexte à costumes et décors ravissants cette œuvre était aussi charmante dans ses détails. Lacôme y avait introduit quelques airs bien tournés qui furent fort applaudis. L’ouvrage fit une belle carrière en province et fut repris à Paris en 1881, en 1890 et en 1916, avant de disparaître du répertoire.

Pâques Fleuries, trois actes dus aux mêmes auteurs, donnés le 21 octobre 1879, aux Folies-Dramatiques, fut un échec complet. La musique n’était cependant pas sans attraits, comme le reconnurent, après coup, les critiques : « Il nous arrive quelquefois de ne pas saisir à la première audition toutes les finesses ou les valeurs d’une œuvre musicale… M. Lacôme a eu plusieurs de ces malchances qui l’on privé jusqu’à ce jour de cette popularité enviable et productive à laquelle il a certainement droit. N’est-il pas l’auteur de Pâques Fleuries partition précieuse et distinguée dont les artistes ont conservé le souvenir et qui cependant n’eut pas trente représentations ? »(3)
L’année suivante, Lacôme obtenait une revanche relative avec : Le Beau Nicolas, opérette en 3 actes de Vanloo et Leterrier, donnée le 8 octobre 1880 dans le même théâtre.
L’intrigue, un peu égrillarde, raconte les angoisses d’un sénéchal dont l’épouse, Isoline, partie prier en Terre-Sainte pour mettre fin à vingt ans de stérilité, est enlevée en pleine mer par des pirates pour être peut être enfermée dans un harem de Constantinople.
L’œuvre, qui reçut un accueil chaleureux dû à la prestation du couple Juliette Girard et Simon Max et à une partition plaisante qui rachetait un livret un peu décousu, connut 70 représentations mais ne fut jamais reprise.

Le 13 novembre 1882 vit la réussite de La Nuit de la Saint-Jean à l’Opéra-Comique, un acte composé sur un livret de Delacour et de Lau-Lusignan d’après Les Fiancés de Grinderwald d’ Erkmann-Chatrian. La création, qui eut lieu le 13 novembre, fut suivie de deux reprises dans les années suivantes qui témoignent d’une certaine qualité.
Ceci nous amène à la seconde grande réussite de Lacôme :

Madame Boniface. Cet opéra-comique en trois actes (livret de Dépré et Clairville) vit le jour le 20 octobre 1883 aux Bouffes-Parisiens avecLacome Boniface 2 dans le rôle principal Mademoiselle Théo, la belle interprète de La Jolie Parfumeuse d’Offenbach. Le livret, bien tourné situe l’action au XVIIIème siècle et traite à nouveau de la fidélité conjugale :
M. Boniface, confiseur de son état, ne supporte plus de voir son épouse, Friquette, serrée de trop près par le comte de Tournedor ; pour la soustraire au désir du galant, il décide de l’envoyer à Orléans mais le comte averti du projet se déguise en cocher et la conduit dans son hôtel particulier. Mis au courant, le mari essaie d’obtenir l’aide de la police mais celle-ci refuse d’intervenir. Heureusement, Mme Boniface, qui n’est pas consentante, réussit à s’échapper tandis que le comte se fait enlever par… sa fiancée légitime.
La partition, très plaisante et jugée en net progrès par rapport aux précédentes, multipliait les airs réussis si bien que Madame Boniface, qui fut l’œuvre de Lacôme la plus jouée, se maintint jusqu’au début du XXème siècle avec des reprises en 1916 et en 1919.

Le grand succès de Madame Boniface ne se renouvela que modérément pour l’ouvrage suivant, Myrtille, opéra-comique en 4a composé sur un livret de Erckmann-Chatrian et Maurice Drack, et qui fut donné le 27 mars 1885 au théâtre de la Gaîté. Il s’agissait d’une pièce à grand spectacle dotée d’un ballet important intitulé Une Fête en Alsace mais Myrtille manquait de gaieté et son livret fut jugé un peu simple et vieillot. La musique fut par contre trouvée agréable et originale, jusque dans les chœurs bien réussis, mais l’œuvre ne dépassa pas la trentaine de représentations.
Lacôme donna ensuite aux Nouveautés, la scène alors à la mode, Les Saturnales, opérette-bouffe en 3 actes de Albin Valabrègue. Créée le 26 septembre 1887 l’œuvre bénéficiait d’une distribution de qualité avec, entre autres, la ravissante Jeanne Granier. La pièce, qui se voulait amusante était traitée dans le style de La Belle-Hélène et contenait de jolies pages. Le succès fut plus vif que celui de Myrtille mais Les Saturnales ne furent données que 65 fois.

L’année suivante, Lacôme investissait La Renaissance, le dernier grand théâtre d’opérette où il n’avait pas encore été joué, avec la création le 26 octobre, de La Gardeuse d’oies, 3 actes de Leterrier et Vanloo, oeuvre écrite dix ans plus tôt mais qui avait alors été écartée au profit d’un ouvrage de Planquette. Enfin montée, elle ne put cependant profiter des derniers remaniements de Lacôme qui, souffrant de rhumatismes, était retenu dans son domaine du Gers ; c’est Gaston Serpette qui avait été chargé de diriger les répétitions. Le livret, quelque peu enfantin et désuet, et mettant en scène une histoire d’héritage et de substitutions d’enfants, était racheté par une partition qui fut très appréciée mais qui ne permit pas à La Gardeuse d’oies d’aller au-delà des 50 représentations.

Les derniers ouvrages

Ces demi-succès furent désormais le sort réservé à la plupart des ouvrages à venir de Lacôme qui n’arriva jamais à retrouver, à une exception près, les grands succès de Jeanne, Jeannette et Jeanneton et de Mme Boniface ; non pas que son talent fût remis en cause, bien au contraire, mais par la faute de livrets manquant d’originalité ou jugés sans intérêt par un public devenu plus exigeant. Ainsi, Ma Mie Rosette qui fut créée le 4 février 1890 aux Folies-Dramatiques ne fut-elle donnée que 44 fois malgré son excellente partition, car le livret de cet opéra-comique en 4 actes (Prevels et Liorat) s’avérait n’être qu’une adaptation de La Périchole d’Offenbach, transposée dans la France du XVIème siècle.
Moins de six mois plus tard, les Folies-Dramatiques donnaient La Fille de l’Air, opérette-fantastique en 4 actes, adaptation d’une ancienne féerie des frères Coignard et de Raymond datant de 1837. Remaniée par Armand Liorat qui écrivit de nouveaux couplets, l’œuvre fut créée sans grand éclat le 20 juillet 1890 et ne fit qu’une courte carrière.

Pour Mademoiselle Asmodée, donnée à La Renaissance le 23 novembre 1891, Paul Lacôme s’était associé à Victor Roger (qui l’année suivante allait triompher avec Les 28 jours de Clairette) mais il est bien difficile de préciser quelle part de l’ouvrage revient à chacun d’eux.
Le livret (de Ferrier et Clairville, inspiré du Diable Boiteux de Lesage) nous montre comment la danseuse Rosette réussit à se faire épouser par son ami d’enfance après lui avoir prouvé que la jeune fille sur laquelle il avait d’abord fixé son choix ne lui conviendrait pas.
Dans le rôle de Rosette, Mme Simon-Girard remporta un grand succès personnel mais cela ne permit pas à l’œuvre de s’imposer malgré une partition à nouveau très appréciée : … « On est tout surpris du charme et de la science de certains passages qui ne nous avaient rien dit à la première représentation. Ainsi le second acte tout entier est charmant. Un petit bijou musical est La Lettre de présentation lue et chantée par Mme Simon-Girard en toute perfection. »

Comme Mademoiselle Asmodée, l’ouvrage suivant, Le Cadeau de Noce, donné le 20 janvier 1893 aux Bouffes-Parisiens plut énormément au public lors de la première mais ne dépassa pas les 20 représentations, le livret à nouveau sans intérêt, ayant eu raison d’une musique trouvée excellente. Il était chanté par Biana Duhamel qui avait été révélée, deux ans et demi plus tôt, dans la piquante Miss Helyett d’Audran.
Passons rapidement sur Le Bain de Monsieur, opérette en un acte donnée le 12 septembre 1895 à l’Eldorado, pour évoquer la collaboration de Lacôme avec son ami André Messager pour La Demoiselle en Loterie, opérette en 3 actes de Douane et de Roddaz qui fut donnée aux Folies-Dramatiques le 15 février 1896. Jugée distinguée et d’un style ravissant, la pièce fut donnée 71 fois de suite ; la participation de Lacôme (pourtant attestée par la répartition des droits d’auteurs, 3/24 de ces droits) devait être bien mince car son nom ne figura pas sur l’affiche.

Lacome 4 filles 2La même année Paul Lacôme collabora également avec Gaston Serpette pour Le Royaume des Écumes, (livret de Chivot, Roll‚ et Gascogne) une opérette qui laissa bien peu de traces. Les mêmes librettistes lui offrirent ensuite un autre livret, bien meilleur, celui duMaréchal Chaudron que Lacôme dota d’une musique délicate et remarquablement orchestrée. Cette opérette militaire en 3 actes fut donnée à la Gaîté le 27 avril 1898 et y remporta un joli succès. Il suivait d’un mois une autre réussite de Lacôme, dans un genre différent, celle de son ballet Le Rêve d’Elias, composé sur un argument d’A.Sylvestre et donné aux Folies-Bergère à partir du 29 mars.
Décidément 1898 était une bonne année et elle le fut jusqu’au bout puisqu’elle vit le succès Lacome Chaudron 2incontestable, la centaine de représentations ayant été dépassée, de l’opérette en 3 actes Les Quatre Filles Aymon qui résonna dès le 20 septembre aux Folies-Dramatiques, avec Mariette Sully (laquelle allait voir, deux mois plus tard, la consécration de sa carrière avec la création de la Véronique de Messager). Les Quatre Filles Aymon, l’une des meilleures partitions de Lacôme, est considérée comme sa dernière opérette mais il existe peut-être un ultime ouvrage, Christine, un opéra-comique en 3 actes daté de 1899 et édité à Londres, sur lequel je n’ai trouvé aucun renseignement.

Ayant atteint la soixantaine, Paul Lacôme se retira au Houga, au milieu des siens, ne venant plus à Paris que de temps à autre pour la reprise de ses ouvrages. Il continua néanmoins à écrire : l’Oratorio de Pâques déjà cité, quelques unes de ses suites d’orchestre et beaucoup de musiques restées inédites. Il prit aussi le temps de rassembler par écrit ses souvenirs sans pour autant s’atteler à une véritable autobiographie. Paul Lacôme s’éteignit le 12 décembre 1920, à l’âge respectable de 82 ans.

(1) La Habanera de Carmen est l’adaptation de El Arreglito (Le Combat), air de Sebastian de Iradier (1809-1865) compositeur espagnol qui, en 1851, avait été choisi comme maître de chant de l’Impératrice Eugénie.
Le dernier entracte de Carmen présente des analogies avec un autre air du recueil de Lacôme, Polo; cet air, dû au ténor-compositeur Manuel Garcia (père de la Malibran) est tiré de son opéra-comique Le Domestique Supposé, donné à Madrid en 1804.
(2) Mascarade et La Féria ont été enregistrées par Adolphe Sibert (réédition par Sélection du Reader’s Digest).
(3) Article paru le 10 janvier 1892 dans l’hebdomadaire Piano-Soleil

Vous retrouverez l’article complet de Bernard Crétel dans « Opérette » n° 116. Si cet article vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »

— Œuvres lyriques
Légende : opé = opérette, oc = opéra-comique, ob = opéra-bouffe, c = comédie .
Le chiffre indique le nombre d’actes.

Création Titre Auteurs

Nature

Lieu de la création
1870

16 juil

Epicier par amour (L’) Mancel (Georges) opé 2 Paris, Folies-Marigny
1872

10 mai

En Espagne Mancel (Georges) opé 1 Paris, Tertulia
1872

11 mai

J’veux mon peignoir Mancel (Georges) opé 1 Paris, Tertulia
1873

28 fév

Dot mal placée (La) ou Pépita Mancel (Georges) ob 3 Paris, Taitbout (ou Athénée?)
1873

27 mai

Mouton enragé (Le) Jaime fils (Adolphe), Noriac (Jules) [=Cairon (C.A.)] opé 1 Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul)
1874 Petits papiers (Les) ? opé Belgique, Bruxelles
1875

5 avr

Amphitryon Nuitter (Charles), Beaume (Alex.) [sous pseudo Beaumont (L.A.)] oc 1 Paris, Taitbout
1876

27 oct

Jeanne, Jeannette et Jeanneton Clairville (Louis François) [Nicolaïe, dit], Delacour (Alfred) oc 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1877

4 juil

Chaste Suzanne (La) [1] Ferrier (Paul) c 2 Paris, Palais-Royal
1879

21 oct

Pâques fleuries Clairville (Louis François) [Nicolaïe, dit], Delacour (Alfred) oc 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1880

8 oct

Beau Nicolas (Le) Vanloo (Albert), Leterrier (Eugène) oc 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1882

13 nov

Nuit de la Saint-Jean (La) Delacour (Alfred), Lusignan (Lau de) oc 1 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1883

20 oct

Madame Boniface Depré (Ernest), Clairville fils (Charles) oc 3 Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul)
1885

27 mars

Myrtille Erckmann (Emile), Chatrian (Alexandre), Drack (Maurice) oc 3 Paris, Gaîté (r. D.Papin)
1887

26 sept

Saturnales (Les) Valabrègue (Albin) oc 3 Paris, Nouveautés
1888

26 oct

Gardeuse d’oies (la) Leterrier (Eugène), Vanloo (Albert) oc 3 Paris, Renaissance
1890

4 fév

Ma mie Rosette Prével (Jules), Liorat (Armand) oc 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1890

20 juin

Fille de l’air (la) Liorat (Armand) (d’après Cogniard et Raymond) opé féerie 4 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1891

24 nov

Mademoiselle Asmodée [2] Ferrier (Paul), Clairville fils (Charles) oc 3 Paris, Renaissance
1893

20 janv

Cadeau de noces (Le) Loriat (Armand), Hue (Fernand), Morel-Retz (L.) oc 4 Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul)
1895

12 sept

Bain de Monsieur (Le) Pradels (Octave), Mancel (Georges) opé 1 Paris, Eldorado
1896

13 ou 15 fév

Fiancée en loterie (La) [3] Roddaz (Camille de), Douane (Alfred) opé 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)
1896 Royaume des écumes (Le) [4] Blum (Ernest), Ferrier (Paul) opé ?
1898

27 avr

Maréchal Chaudron (le) Chivot (Henri), Rolle (George), Gascogne (Jean) oc 3 Paris, Gaîté (r. D.Papin)
1898
20 sept
Quatre filles Aymon (Les) [2] Liorat (Armand), Fonteny (Albert) opé 3 Paris, Folies-Dramatiques (r. de Bondy)

[1] avec Bariller (Jules)
[2] avec Roger (Victor)
[3] avec Messager (André)
[4] avec Serpette (Gaston) ; « opérette à grand spectacle en 3 actes et 6 tableaux »

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