et ce, à l’occasion de Chanson Gitane à l’Odéon de Marseille (voir article dans la page Ailleurs en France)
Maurice Yvain chantre des années folles, mais pas que…1
Si de 1922 à 1958 l’opérette continue à faire parler d’elle et à offrir au public quelques-unes de ses plus belles réussites, nul doute qu’on ne le doive au savoir-faire et à la science musicale de Maurice Yvain.
Bien que sa formation musicale soit des plus solides (il a Xavier Leroux comme professeur), c’est par la chanson et le cabaret que Maurice Yvain se fait d’abord connaître. Il retrouve Maurice Chevalier qu’il avait rencontré pendant son service militaire et, par lui, est introduit auprès d’Albert Willemetz et de Mistinguett. Ses chansons des années 1920-1921 connaissent immédiatement un immense succès (comme l’emblématique « Mon homme »).
Sans doute n’a-t-il pas un grand pas à franchir pour aborder l’opérette avec Ta Bouche en 1922 où les tubes semblent à peine se soucier du « sans-gêne jovial de l’intrigue », ainsi qu’on le dit à l’époque. Mais c’est regarder bien superficiellement son premier spectacle, comme tous ceux qui vont suivre. Certes décors, orchestre, chœurs, figuration font dans le minimalisme, mais il y a bien de l’à-propos à tout inventer : des rythmes nouveaux (fox, one-step, bientôt charleston, java, paso-doble et boston), des distributions non strictement « lyriques » (les premiers noms qui viennent à l’esprit sont Dranem, Maurice Chevalier, Pauline Carton), des « lyrics » percutants (avec l’inséparable Albert Willemetz) et des textes d’une efficacité incroyable.
Maurice Yvain et l’opérette à grand spectacle
Pourquoi faudrait-il écrire que Maurice Yvain s’en tint toujours à la même formule ? Rien n’est plus inexact. Après Ta Bouche (1922), Là-haut (1923) il y aura aussi Gosse de Riche en 1924 ou Pas sur la Bouche en 1925. La Dame en décolleté (1923) ou Bouche à Bouche (1925) se donnent dans des salles plus vastes et font appel à des orchestrations plus étoffées.
─ Bouche à Bouche au Théâtre de l’Apollo (8 octobre 1925) est vraiment la première tentative de Maurice Yvain dans le grand spectacle. La publicité d’époque insista beaucoup sur les 110 personnes en scène et les 40 musiciens dans la fosse. Il est vrai que la partition est particulièrement copieuse (près d’une heure quarante de musique, quand la plupart des œuvres de l’époque dépassaient rarement l’heure), avec des chœurs abondants et une instrumentation très développée
Les ambitions ne s’arrêteront pas là : après une quinzaine d’ouvrages, Maurice Yvain écrit Un coup de veine, opérette en 2 actes et 10 tableaux créé à Paris au Théâtre de la Porte Saint-Martin (11octobre 1935) où Maurice Lehmann réunit Mistinguett, Fanély Revoil et Germaine Roger.
Quelques mois plus tard, le 14 décembre 1935, toujours sous la direction de Maurice Lehmann, le Théâtre du Châtelet affiche Au soleil du Mexique.
─ Au soleil du Mexique
Opérette à grand spectacle en 2 actes et 16 tableaux. Florian Bruyas2 écrit au sujet de cette opérette :
« La partition, variée, bien rythmée, et faisant preuve d’un certain renouvellement dans sa manière habituelle, enchanta l’auditoire qui était venu nombreux applaudir les vedettes du moment : André Baugé, Fanély Revoil, Bach, et Rivers Cadet. Mais plus que la musique, plus encore que l’interprétation pourtant de premier ordre, c’est la mise en scène qui captiva surtout les spectateurs. Tous les nombreux tableaux étaient d’une magnificence indescriptible. Était-ce celui des arènes, toutes bruissantes des rumeurs de la corrida et garnies d’une foule superbement costumée, celui, ravissant, des danses hawaïennes dans la plantation d’Honolulu, ou celui, grandiose, de l’éruption du volcan que suit un tremblement de terre avec maisons écroulées, pont effondré dans le fleuve, etc… qui était le plus beau, le plus recherché ? Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que le plaisir des yeux l’emportait au Châtelet, sur tous les autres et ceci était dû au grand directeur qui, toujours, veillait sur tous les détails en son théâtre préféré.»
─ Chanson Gitane, du célèbre refrain d’un film de 1941 à l’opérette de 1946
Carthacalha, reine des gitans (1941) est le titre d’un film de Léon Matrot, interprété par Viviane Romance, Georges Flamant et Roger Duchesne, pour lequel Maurice Yvain a composé la chanson « Sur la route qui va ».
Quelques années plus tard, Louis Poterat, auteur des paroles de cette chanson, a l’idée d’une opérette dont le motif principal serait justement « Sur la route qui va ». Maurice Yvain donne son accord, on fait appel au librettiste André Mouézy-Eon et, la pièce terminée, les auteurs la présentent à Henri Montjoye, directeur de la Gaîté-Lyrique.
Dans son livre de souvenirs3 Maurice Yvain écrit : « Celui-ci, sous son véritable nom, Barbero, avait été un de mes interprètes au Châtelet dans Au Soleil du Mexique. Son nouveau patronyme lui venait de la Résistance, dont il avait été un des héros. Il reçut l’œuvre d’enthousiasme, la monta superbement et nous obtînmes un succès incontesté… »
La Gaîté Lyrique accueille en 1946 Chanson Gitane (avec André Dassary). Émile Vuillermoz pensait que les rythmes syncopés issus des anglo-saxons constituaient « la seule révélation technique sérieuse de la musique légère de ce siècle ». Mais Yvain a su utiliser sur la scène lyrique ce corpus moderne et l’assimiler aux formes musicales les plus élaborées, trios, quatuors, ensembles, finals (que Honegger comparait à ceux de Haydn). Le raffinement harmonique ou mélodique reste clair et direct, la composition est élégante et rend hommage à toute l’histoire de l’opérette.
Voici ce qu’écrit le journal « Opéra » au lendemain de la création de Chanson Gitane : « Que Monsieur Montjoie entoure de tant de luxe une opérette dont la partition est l’œuvre d’un musicien – d’un musicien qui écrit lui-même sa musique – voilà qui constitue un titre de plus et non le moins singulier à la sympathie qu’on lui garde. Voilà encore, l’immanquable succès aidant de cette Chanson Gitane qui fournira une preuve nouvelle de la nécessité d’un Théâtre National de l’Opérette.
Dans cette œuvre destinée à un cadre plus vaste que s’est plaisamment épanouie sa muse légère Maurice Yvain a dû rechercher des accents largement accordés aux péripéties dramatiques du livret. Il les a marqués d’une frappante réussite. Les pages y foisonnent qui seront célèbres demain parmi lesquelles se distinguent, encastrant un de ses anciens succès, une marche fort entraînante, d’expressives mélodies, une valse hardiment rythmée, un quatuor finement divertissant, un trio délicieux d’élégance et de fraîcheur où sourit l’image même de la perfection. »
─ Le dernier Opus : Le Corsaire Noir, à l’Opéra de Marseille
Le compositeur exaltera une dernière fois cette muse qui lui permettait de conjuguer invention mélodique et élégance harmonique dans ses formes canoniques avec son ultime opus Le Corsaire noir (et trois chanteurs renommés d’opéra : Henri Legay, Maria Murano, Xavier Depraz).
René Dumesnil, dans « Le Monde », résume parfaitement au travers de cette œuvre-testament l’art de Maurice Yvain :
« Le très grand succès, et si mérité, que Le Corsaire noir de Maurice Yvain vient de remporter à l’Opéra de Marseille, prouve au contraire que l’opérette selon le goût français peut et doit vivre. On était heureux de retrouver, heureux d’entendre une partition spirituelle et gaie, pleine de vraie musique, de trouvailles sans cesse renouvelées et dont chaque détail révèle un compositeur de race, la race qu’on s’empressait trop de dire en voie d’extinction. La partition est d’une extrême diversité. Nous connaissions ce don de l’invention mélodique auquel le compositeur a dû le succès d’une bonne vingtaine d’ouvrages. Jamais sa verve n’a été plus originale, aussi juvénile dirais-je même, que dans cette œuvre de pleine maturité. » 4
Christian Jarniat
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Pour partie extrait du texte de Didier Roumilhac dans la fiche du présent site sur Maurice Yvain. Florian Bruyas « Histoire de l’Opérette en France » Emmanuel Vitte éditeur.
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« Ma Belle Opérette » (La Table Ronde, 1962
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Article de René Dumesnil dans « Le Monde » lors la création du Corsaire Noir.