Tout comme celui d’Hortense Schneider, le nom de Zulma Bouffar (1843 – 1909) est indéfectiblement lié à celui d’Offenbach dont elle a créée un nombre important d’ouvrages, plus que la diva. Sans être particulièrement belle – elle possède un menton légèrement proéminent – on lui trouve beaucoup de talent et de charme, comme l’indique ce portrait d’André Mary : « Un jeu fin, spirituel, d’une aisance et d’un naturel parfait, l’espièglerie qu’elle mettait dans toutes ses créations, une beauté plus piquante que régulière mais expressive et gracieuse et surtout sa gentillesse spirituelle et mutine lui valurent d’emblée la faveur du public… Sa voix, sans grand volume, était juste et bien posée et sa diction très sûre. » 1 Elle est, selon l’expression d’Offenbach « La Patti de l’opérette » 2 à une époque où ce genre atteint sa perfection et, pour Alphonse Daudet, « fille de l’Amour et de Polichinelle ». Par la suite, elle marque également de son talent diverses créations de Charles Lecocq et de Johann Strauss avant de terminer sa carrière comme directrice de théâtre.
─ Une enfant de la balle
Magdelaine Bouffar, connue sous l’appellation de Zulma Bouffar, est née le 24 mai 1843 à Nérac, non loin d’Agen. Issue d’une famille de comédiens de province, elle monte sur les planches dès l’âge de six ans, jouant les rôles d’enfants, au gré des tournées de ses parents. Elle fait ses débuts en 1849, à Marseille, dans La Fille bien gardée, et se produit aussi dans divers cafés-concerts de Lyon.
Après la mort de sa mère, son père, bon musicien et excellent professeur qui a su la former, l’emmène à Paris où il obtient un engagement dans un café-concert du boulevard de Strasbourg mais celui-ci tourne court à cause d’un décret nouveau interdisant les exhibitions d’enfants. Ils se rendent alors à Bruxelles où Zulma chante, au casino du Marché aux poulets, des petits duos avec Marie Cico, jeune fille du même âge qui, elle aussi, deviendra une chanteuse célèbre,3 puis est engagée au Casino des Galeries Saint-Hubert. En 1855, elle intègre une troupe allemande qui sillonne Allemagne, Pays-Bas, Danemark et Suède…À Hambourg, elle perd son père et, orpheline à treize ans, est recueillie par un chanteur, Jules Naza, qui la confie à son épouse. Celle-ci la ramène à Bruxelles et la fait jouer dans le théâtre Molière d’Ixelles, que Naza dirige et, pendant deux ans, il l’initie aux divers aspects du métier. Elle est ensuite engagée à Liège où, de 1860 à 1862, elle chante le répertoire des Bouffes Parisiens, s’imprégnant déjà de leur esprit. Elle revient ensuite aux Galeries Saint-Hubert puis reprend ses tournées dans les pays germaniques. Quand Offenbach la remarque, à Bad Hombourg, ville de la périphérie de Francfort-sur-le-Main, elle n’a que dix neuf ans à peine mais, séduit par son talent et sa personne, il l’engage pour les représentations de la saison de 1863 de Bad Ems.
Chaque été, le compositeur se rend dans cette station thermale allemande, pour la cure et le casino, mais il profite aussi du petit théâtre pour présenter, avant Paris, ses ouvrages en un acte et y tester de nouveaux interprètes. Zulma rejoint donc la petite équipe d’artistes des Bouffes qui accompagnent le maître, les autres, sous la conduite d’Alphonse Varney, tournant en France pour y présenter les dernières pièces. Elle se produit dans huit ouvrages, dont deux créations, Il Signor Fagotto (rôle de Moschetta) et surtout Lischen et Fritzschen, une petite pastorale, par la suite baptisée « conversation alsacienne », qui lui est particulièrement destinée et qui, selon la légende, aurait été composée et répétée en une seule semaine. On la voit également apparaître dans une scène bouffe, La Cigale de Paris. Comme l’essai s’avère des plus concluants, la divette peut désormais se produire dans la capitale.
─ Les créations offenbachiennes
Lischen et Fritzchen avec lequel elle débute aux Bouffes Parisiens, est donné début 1864. Le public est conquis par la nouvelle chanteuse et bientôt tout le monde fredonne : « Je suis alsacienne, je suis alsacien. » La carrière de Zulma Bouffar est désormais lancée et Offenbach lui réservera bien des créations. Il faut dire que la soprano est devenue pour lui un peu plus qu’une interprète. C’est probablement à Bad Ems qu’elle est devenue sa maîtresse, liaison plus ou moins orageuse mais qui reste discrète car Herminie, l’épouse d’Offenbach, est jalouse. Pour calmer ses doutes, il fait même publier dans les journaux un encart affirmant que mademoiselle Bouffar se produit à Nantes alors qu’elle est avec lui à Prague. Cette liaison se prolonge suffisamment longtemps pour donner naissance à deux enfants, deux garçons qui feront carrière dans la marine. 4 Après les reprises de Lischen et Fritzchen et d’Il signor Fagotto, Zulma paraît dans un rôle important de son premier trois actes :
Les Géorgiennes
L’action de cet opéra bouffe, créé en mars 1864, est située dans un Orient de fantaisie dans lequel les femmes prennent les armes pour défendre leur ville contre un sultan désireux d’augmenter son harem. L’œuvre, brillamment montée, ne fait pas l’unanimité, surtout à cause du livret de Jules Moinaux, mais Zulma, qui tient le rôle de Nani, a deux airs à chanter, dont le premier, les couplets de la trompette « Ah ! vraiment c’est charmant » est très applaudi.
En décembre de la même année, « prêtée » aux Folies Dramatiques, elle participe à la reprise d’une féerie des frères Cogniard, La Fille de l’air, dans laquelle elle interprète la sylphide Eolin et chante deux couplets nouveaux composés pour elle par Offenbach. On la voit également sur la scène du très sérieux Théâtre Lyrique Impérial (actuel Théâtre de la Ville) où, dès le 3 juin 1865 elle chante Papagena dans La Flûte enchantée de Mozart. Le trois novembre suivant, elle reprend aux Bouffes Jeanne qui pleure et Jean qui rit, créé au Kursaal de Bad Ems l’année précédente par une autre chanteuse, un acte patoisant qui lui permet de jouer deux personnages à la fois, celui d’une paysanne et de son frère.
Les Bergers, où elle joue ensuite plusieurs rôles aux côtés d’Irma Marié et de Lise Tautin, est un opéra-comique sur lequel Offenbach a bâti de grandes espérances. L’ouvrage comprend en fait trois pièces différentes, reliées par un lien ténu, et situées dans l’Antiquité grecque (une pastorale), au dix huitième siècle (évocation de Watteau) et au dix neuvième, avec une montée progressive des effets comiques. Zulma apparaît dans chaque acte dans les personnages d‘Eros, de l’intendant et de Jeannet. Créée en décembre 1865 aux Bouffes, l’œuvre est très applaudie lors de la première mais ne se maintient pas et il faut attendre encore près d’un an avant que Zulma, qui entre temps apparaît dans Didon, un opéra bouffe de Blangini fils donné aux Bouffes avec peu d’échos, se trouve enfin propulsée avec éclat sur le devant de la scène.
La Vie parisienne
Cet ouvrage très connu (aujourd’hui celui le plus joué du maître), est commandé à Offenbach par Plunkett, le directeur du théâtre du Palais Royal, en vue de l’exposition universelle qui doit se tenir à Paris, exposition dont le livret de Meilhac et Halévy se fait l’écho. L’excellente troupe de comédiens peut chanter les refrains de vaudeville mais ne sait guère aller au-delà ; aussi Offenbach retouche-t-il sa partition pour les moyens limités de ses nouveaux interprètes mais réussit à imposer Zulma Bouffar, alors disponible suite à une fermeture provisoire des Bouffes, pour le rôle plus délicat de la gantière Gabrielle. Il lui réserve des pages remarquables qui toutes deviennent des succès. Tout d’abord, à l’acte deux, le duo de la gantière et du bottier, qui est nettement plus long dans la première version de l’œuvre que celui joué actuellement car, après le rondeau du gant, c’est en musique que Frick demande la main de Gabrielle avant qu’ils ne reprennent le début de l’air : « Je suis la gantière, je suis le bottier ».
Dans la suite de l’acte, Gabrielle entonne le célèbre air de la veuve du colonel, un colonel allemand, aussi c’est dans cette langue qu’elle enchaîne la tyrolienne du final : « Auf der Berliner Brück’ la la la… Hab’ ich doch immer Glück’ la la la… » dont les paroles seront remplacées, dans la version de 1873, par « On est v’nu m’inviter la la la.. » Au troisième acte, à nouveau un air fameux, celui de la Parisienne, « Sa robe fait frou frou… » et, au milieu du final, quelques vocalises et le couplet valsé « Quand on boit il est une chose ». Au cinquième acte c’est le pétillant duo de la gantière et du Brésilien (dont l’acteur de la première version, Brasseur, joue également les rôles du bottier et de Prosper, le domestique.) qui déclenche les applaudissements. Pour Zulma, c’est un véritable triomphe personnel. Le public veut lui faire bisser tous ses airs, ce qu’elle ne consent que pour la tyrolienne. Créée le 31 octobre 1866, l’œuvre sera jouée 325 fois jusqu’à la fin de 1869.
Geneviève de Brabant
La seconde version de cet opéra-bouffe, parodie des légendes du Moyen-Age, qu’Offenbach et ses librettistes ont profondément remaniée, est créée sur la scène secondaire des Menus Plaisirs, le 26 décembre 1867. Zulma, qu’Offenbach a réussi à faire engager, se voit confié le rôle de Drogan, le petit pâtissier inventeur d’un pâté supposé redonner toute sa vigueur au seigneur Sifroy et surtout devant lui permettre d’approcher son épouse, Geneviève, dont il est épris et dont il devient le page. Zulma, apparaît donc dans un rôle travesti, emploi qui sera désormais sa spécialité. « C’est aujourd’hui la reine du genre ; elle porte le travesti à ravir et chante avec une décence, une distinction que rehausse un vrai talent de musicienne… » peut-on lire dans le Ménestrel du 29 décembre 1867. Trois mois plus tard, elle doit abandonner son rôle pour reprendre celui de la gantière au Palais Royal dont le directeur, désireux de renouveler le succès de La Vie parisienne, commande un nouvel opéra-bouffe aux mêmes auteurs dont Zulma sera bien sûr la vedette.
Le Château à Toto
Cet ouvrage, dans lequel on retrouve certains noms cités dans La Vie parisienne, peut être considéré comme une suite de la précédente mais située dans un contexte et un esprit différent. Les joyeux viveurs de la première pièce, exténués et ruinés, se retrouvent à la campagne pour la vente du château de Victor de La Roche-Trompette, dit Toto, et finissent par s’y installer. Le héros est incarné par Zulma qui est applaudie dans les belles pages qu’elle a à défendre, et son portrait orne la partition piano chant. Créé le 6 mai 1868, la nouvelle œuvre ne remporte cependant qu’un demi succès, non pas que la musique manque de gaieté mais à cause du livret, qui trahit un certain mal de vivre ; la réduction de trois à deux actes, quelques mois plus tard, ne changera rien à l’affaire
Offenbach veut désormais imposer la jeune femme sur la scène des Variétés, qui est devenu son fief depuis La Belle Hélène, et la fait d’abord paraître dans une courte reprise de La Grande-Duchesse de Gerolstein pendant que se termine le nouvel opéra bouffe qui lui réserve, une fois de plus, un rôle taillé sur mesure.
Les Brigands.
Dans cet ouvrage de Meilhac et Halévy, Zulma endosse une fois de plus le travesti pour incarner le personnage du chocolatier Fragoletto, devenant brigand par amour. La pièce est un grand succès dans lequel chacun est chaleureusement applaudi et notamment la protégée d’Offenbach qui participe à la plupart des ensembles dont le trio des marmitons et défend trois beaux airs : les couplets « Quand tu me fis l’insigne honneur », la saltarelle du courrier de cabinet et surtout le piquant duetto du notaire qu’elle chante avec mademoiselle Aimée dans le rôle de Fiorella, la fille du brigand Falsacappa.
Pour succéder aux Brigands, le trio Meilhac – Halévy – Offenbach projette à nouveau un retour à l’Antiquité avec, près de 50 ans avant le Phi-Phi de Christiné, une évocation de l’époque de Périclès. Aspasie est un opéra-comique en 3 actes et 4 tableaux dans laquelle le compositeur souhaite réunir ses trois interprètes préférés : Hortense Schneider en Aspasie, Zulma Bouffar en Alcibiade et José Dupuis en Périclès.
Malheureusement, la Guerre de 1870 et la déroute française, suivie de la Commune, mettent fin à ce projet, comme à bien d’autres. Seul Le Roi Carotte, sur un livret de Sardou, déjà en chantier, sera joué après le retour de jours meilleurs. Avec la fermeture des théâtres parisiens, la troupe des Variétés se produit au théâtre Lyceum de Londres, dans Les Brigands, où elle est acclamée, puis Zulma chante à Saint-Pétersbourg où elle remporte le même succès qu’en France. En attendant, Offenbach, à l’abri dans le sud de la France, travaille sur de nouvelles pièces pour ses théâtres habituels. Le premier septembre 1871, les Variétés rouvrent avec une reprise des Brigands puis, le 15 janvier suivant, c’est à la Gaîté-Lyrique qu’est donnée la première de l’opéra bouffe féerie de Sardou.
Le Roi Carotte
Comme dans les féeries alors à la mode, l’intrigue est complexe et surtout prétexte à des effets spectaculaires, de multiples décors – notamment la reconstitution de la Pompéi antique – et des costumes variés, tous somptueux. Si habituellement les musiques sont empruntées à d’autres ouvrages à la mode, Offenbach a composée une partition des plus copieuses, entièrement nouvelle (mise à part le reprise de la Valse des rayons de son ballet Le Papillon). Zulma y tient le rôle principal, celui de Robin Luron sorte de génie bienfaisant. Son rondeau des colporteurs, chanté avec Jacqueline Seveste, devient rapidement le morceau le plus populaire de la pièce. L’œuvre, ruineuse pour le directeur de la Gaîté, est cependant donnée 195 fois.
Les Braconniers.
Cet opéra bouffe en 3 actes, première collaboration du musicien avec le tandem Chivot et Duru, est créé le 29 janvier 1873 aux Variétés et Zulma y joue à nouveau un personnage féminin, Ginetta, la nièce d’un barbier de Bagnères-de-Bigorre qui épouse un marchand de mulets. Comme dans L’Ile de Tulipatan, on trouve un couple inverti, un chef de braconniers, qui est en fait une femme, amoureux d’un jeune homme caché sous des habits féminins. La pièce est très drôle et connaît le succès mais suite à un différend entre le compositeur et Bertrand, le directeur du théâtre, elle est retirée de l’affiche deux mois plus tard.
Cet incident fâcheux incite Offenbach à reprendre la direction d’un théâtre et son choix se porte sur la Gaîté où il pourra donner libre cours à sa fantaisie. Il y donne diverses pièces pour lesquelles il écrit des musiques de scène 5 et surtout Orphée aux Enfers dans une seconde puis une troisième version, agrandi en somptueuse féerie (1874). Suit une troisième version de Geneviève de Brabant dont Zulma ne fait plus partie mais le compositeur lui réserve la vedette dans sa prochaine pièce : Le Voyage dans la Lune. En attendant, Elle participe à la transplantation de La Vie parisienne aux Variétés où, avec Berthelier, elle est la seule artiste de la création à jouer. La pièce a été raccourcie en 4 actes, comprend diverses modifications mais ne s’en porte pas plus mal.
Le Voyage dans la Lune.
Cette féerie en 23 tableaux, est donnée le 26 octobre 1875 avec un énorme succès. Zulma y incarne le Prince Caprice, jeune homme blasé qui désire aller sur la Lune où, à l’aide de pommes, il fait connaître l’amour au peuple Sélène. La chanteuse y est très applaudie et, dans leurs chroniques, Noël et Stoullig écrivent : (elle) « déploie dans toutes les phases de son personnage, une volubilité comique, un brio bouffe qui donne la vie à tout ce qui l’entoure. Il faut l’entendre chanter les couplets des Charlatans. » Cependant, tenue par des engagements antérieurs, Zulma abandonne la pièce après la 52e représentation pour se rendre à Saint-Pétersbourg. C’est sa dernière création d’une œuvre d’Offenbach, dont elle assurera néanmoins encore diverses reprises.
─ Les autres créations
Nous avons déjà signalé quelques prestations de Zulma Bouffar dans diverses pièces non signées d’Offenbach, mais c’est surtout à partir de 1875 qu’elle se produira dans d’autres ouvrages qu’elle saura là encore mener au succès. Il faut cependant signaler sa participation au premier ouvrage en trois actes de Delibes, donné aux Bouffes Parisiens le 24 avril 1869.
La Cour du Roi Pétaud
Dans cet opéra bouffe, le roi Pétaud VIII vient d’être battu par son rival Alexibus dont le fils, Léo est épris de Girandole, la fille de Pétaud. Pour se faire aimer de la jeune fille, Léo se déguise en berger d’Arcadie. La musique est assez réussie mais le burlesque du livret ne permet pas à la pièce de se maintenir, malgré un beau succès personnel de Zulma dans le personnage de Léo, « qu’elle incarnait avec la plus piquante désinvolture et chantait avec autant de style que de grâce. » 6
La Reine Indigo
Adaptation de la première opérette de Johann Strauss, cet opéra-bouffe en 3 actes possède un livret assez incompréhensible. L’action se situe dans un Orient de carnaval où la reine Indigo aime un jeune bouffon qui, lui, aime la belle Fantasca, laquelle à son tout est aimée d’un eunuque qu’elle n’aime pas et qui finit par aimer sa reine. Là-dessus, Fantasca prend la tête des femmes du sérail qui se transforment en guerrières redoutables. Partition prétexte à de nombreuses valses et à des motifs inédits improvisés sur place par le compositeur. Créée le 27 avril 1875 à La Renaissance, avec luxe et goût, Zulma Bouffar y tient un nouveau grand succès dans le rôle de Fantasca.
Si en 1876 elle songe un moment à abandonner le théâtre, elle reprend néanmoins son rôle dans La Reine Indigo, donnée cette fois aux Bouffes en 1877, pour complaire à Strauss qui revient à Paris pour l’exposition universelle et pour la création de la version française, sous un nouveau nom, de sa plus célèbre opérette : La Chauve-souris dont la chanteuse est à nouveau la vedette.
La Tzigane.
C’est sous ce nom qu’est créé cet opéra-comique, remanié pour éviter de froisser Meilhac dont une de ses pièces, Le Réveillon, a été utilisée, sans autorisation, pour le livret.
Également donnée à la Renaissance, le 30 octobre 1877, avec un luxe étonnant pour un si petit théâtre, l’œuvre est appréciée mais ne fait qu’une courte carrière. Zulma y tient le rôle d’Arabelle, personnage qui n’a rien de tzigane, pas plus dans ses mélodies que dans ses costumes mais, « comédienne pleine de verve , d’entrain et d’intelligence artistique, (elle est) pour moitié dans le succès de la Tzigane. » (Noël et Stoullig).
C’est également au théâtre de la Renaissance, que Zulma Bouffar crée deux opérettes de Charles Lecocq, le grand rival d’Offenbach dans les années 1870.
Kosiki
L’action repose sur une substitution de personne. À la mort du Mikado, nous sommes au Japon, son fils Kosiki monte sur le trône mais le conspirateur Namitou révèle que le nouveau souverain n’est qu’une femme et le remplace mais celui-ci n’étant qu’un imposteur, Kosiki, après s’être mariée peut reprendre le pouvoir. Spectacle agréable créé le 18 octobre 1876 et qui peut atteindre, avec la reprise de 1877, les 100 représentations, grâce à une bonne partition, meilleure que le livret, et surtout grâce au talent des interprètes dont Zulma qui, dans le rôle-titre n’a jamais eu plus de verve et de gaieté spirituelle.
Juste après le succès du Petit Duc, Lecocq lui confie à nouveau la vedette de sa nouvelle opérette.
La Camargo.
La chanteuse incarne la célèbre danseuse du XVIIIe siècle qui est amenée à côtoyer le nom moins célèbre bandit Mandrin. Zulma « bat d’une façon adorable les entrechats de la Camargo et danse très drôlement la scène mimée du berger et de la bergère » nous disent Noël et Stoullig. Un honnête succès couronne cette œuvre donnée le 20 novembre 1878.
Les féeries
Après ses prestations à la Renaissance, on la retrouve sur diverses grandes scènes dans des féeries où elle continue d’être la vedette.
Dans L’Arbre de Noël, 3 actes et 30 tableaux donné en 1880 au théâtre de la Porte Saint-Martin, on peut la voir dans le rôle de Bagatelle, vêtue d’un costume de maîtresse d’ours.
Puis c’est le Châtelet qui l’accueille le 14 décembre 1881 dans les 3 actes et 31 tableaux des Mille et une nuits. Dans ce très fastueux spectacle, Zulma multiplie les apparitions en travesti : Abou-Hassan, Simbad, Cassim junior.. mais si elle est toujours très applaudie, ce n’est plus cela. « Elle déchante aujourd’hui et sa voix, dans le haut, n’est pas toujours très agréable à entendre. Elle a pourtant bien dit … le rondeau des Lampes qu’on a eu le courage de lui faire recommencer après minuit : excès de zèle d’une claque trop bien dressée. » (Noël et Stoullig).
En 1884, elle triomphe néanmoins dans une autre féerie, reprise 25 ans après sa création : La Fille du Diable, donnée à l’Ambigu-Comique. « Dans le rôle travesti de Rocaillon, habilement secondée par d’excellents comiques, elle chante en toute perfection une fort jolie tyrolienne qui fut trissée. » (Noël et Stoullig).
─ Une reconversion ratée
Zulma Bouffar n’a encore que 38 ans mais elle a perdu de son éclat et cela apparaît déjà très nettement dans une nouvelle reprise de La Vie parisienne, donnée aux Variétés en 1883 et dont elle est la seule rescapée de la création. « Madame Zulma Bouffar nous reste seule aujourd’hui ; l’embonpoint est venu mais la voix s’en est allée. Où est la gantière d’antan ? » (Noël et Stoullig). Les grandes créations sont terminées. Elle apparaît encore dans le rôle de Rigolette, dans l’adaptation théâtrale des Mystères de Paris, d’Eugène Sue, donnés en 1887 à l’Ambigu, mais elle prend la décision de passer de l’autre côté de la rampe pour assumer le rôle de directrice de théâtre.
Et c’est justement l’Ambigu-Comique, boulevard Saint-Martin, qui lui offre cette opportunité. En 1891, la chose est faîte mais la spirituelle créatrice de la gantière et de bien d’autres héroïnes d’opérettes ne va y monter que de sombres drames en 5 actes. Le 18 septembre, elle donne Le Médecin des folles, qui est un succès, mais les suivants, cités pour mémoire, n’attirent guère les foules : Mamzelle Quinquina, L’Auberge des mariniers, Le Boucher de Montmartre, Les Gueux, Le Médecin des enfants, La Porteuse de pain, Le Justicier, Le Régiment. Puis elle connaît enfin trois succès : Les Cadets de la reine, pièce de cape et d’épée montée avec un luxe de décor, de costumes et de mise en scène, Mère courage et, à nouveau une pièce à costumes, Capitaine Belle-Humeur. Mais il est trop tard pour remonter le déficit important du théâtre et Zulma Bouffar est mise en liquidation judiciaire le 22 avril 1893.
Elle ne désarme pas pour autant et réussit à ouvrir, dès le 1er août 1893, un nouvel établissement beaucoup plus modeste, le café-concert de la Fourmi, installé dans ce qui était autrefois le bal du Grand Turc, sur le boulevard Barbès. On y donne des récitals mais aussi des revues. Citons : La Succession Robinet et Champagnol, compère malgré lui, en 1894, En chemise, en 1895 et Ding, ding, don ! en 1896. Malheureusement pour Zulma, le quartier est assez mal fréquenté, surtout la nuit car les « maisons publiques » se succèdent tout au long du boulevard, et en 1896, elle doit fermer son établissement.
Sans doute doit-elle encore se produire par-ci par-là car elle ne se retire de la scène qu’en 1902. Quelques années plus tard, à bout de force et de ressources, elle est admise dans la maison de retraite des artistes de Pont-aux-Dames 7 où elle n’est plus qu’une pensionnaire comme les autres, comme nous le prouve cette anecdote assez cruelle. Dans cette maison, elle retrouve un vieux cabot qui a été son souffleur à l’Ambigu et qui la nargue régulièrement : « Eh ! bien, elle y est, comme les autres ! (…) Alors, Mame Bouffar, vous avez rejoint les camarades ! ici, on est tous égaux ! Alors, Mme Bouffar, vous ne m’engueulerez plus ! Vous ne faites plus tant la maligne… » 8
Elle y meurt le 20 janvier 1909, au bout d’un an d’hospitalisation. Elle n’a que 68 ans.
On raconte qu’elle avait été pressentie, 35 ans plus tôt pour être la créatrice de la Carmen de Bizet, Meilhac et Halévy, les librettistes de l’ouvrage y étaient peut-être pour quelque chose, mais cela n’était sans doute qu’une plaisanterie. Revenons pour conclure à Alphonse Daudet qui, sensible à son charme, lui avait dédié ce quatrain, peut-être pas de la meilleure inspiration :
« Plus douce que le nénuphar
Dans l’eau claire, une aurore blanche
Baise ton pied de rose et ta hanche
Ivoirine, ô Zulma Bouffar. »
Bernard Crétel
1) Extrait d’un article paru dans le Larousse Mensuel Illustré de 1909, au moment de son décès.
2) Adelina Patti (1843 – 1919) célèbre soprano qui connut de grands succès dans le répertoire italien et français. Son nom est cité par le baronne dans le trio du premier acte de La Vie parisienne comme interprète de Don Pasquale de Donizetti.
3) Marie Cico (1843 – 1875), comédienne et chanteuse qui fut la maîtresse d’Offenbach jusqu’en 1865, créa plusieurs ouvrages du compositeur : Orphée aux Enfers (1858), Geneviève de Brabant (1859), Daphnis et Chloé, Robinson Crusoé, Vert-Vert mais aussi Lalla-Roukh de Félicien David et Le Voyage en Chine de François Bazin.
4) Par la suite, Zulma Bouffar fut remplacée dans le cœur du compositeur par Louise Valtesse de la Bigne, belle jeune femme blonde d’abord facile qui fit quelques apparitions aux Bouffes Parisiens, jusqu’à une intervention énergique de Mme Offenbach. On pourra consulter, à ce propos, la page 393 du livre de Jean-Claude Yon sur Offenbach (Gallimard, 2000).
5) Le Gascon (2 septembre 1873) et La Haine (3 décembre 1874).
6) cité par Henri de Curzon dans son ouvrage sur Delibes (chez Legouix, 1926). Voir aussi article sur la reprise de cet ouvrage dans Opérette n° 149 et n° 150.
7) Cette maison, fondée à Couilly Saint-Germain par Coquelin, qui fut le premier Cyrano de Bergerac, fut inaugurée en mai 1905.
8) Cité dans « Le théâtre anecdotique : petites histoires du théâtre » d’Eugène Héros, 1911.