Nouveau spectacle musical signé Pascal Amoyel.
Qui a pu assister, une fois dans sa vie, à une masterclass, en compagnie d’un grand musicien, sait qu’il n’en sortira pas indemne. En son temps, Callas, à la Julliard School de New York, sut en faire un événement éminemment musical, où s’y pressa un public trié sur le volet, point de départ d’une adaptation théâtrale destinée à faire le tour du monde.
Pascal Amoyel, musicien de renom qu’on ne présente plus, se fait ici pianiste-conteur. Il ne nous convie pas à une simple leçon de musique. Ouverte à tous les publics, sa médiation touche à l’intime, au poétique. En matière de spectacle, ce fin connaisseur du monde de la musique, n’en n’est pas à son coup d’essai. Après Liszt, Beethoven, Cziffra, on serait tenté de remonter un fil invisible, à travers toute une généalogie d’exception, réunissant maîtres et élèves, sur plusieurs générations. Amoyel, élève de Cziffra, « le pianiste aux 50 doigts », lui-même élève d’un élève de Liszt, et nous voilà en compagnie des deux plus grands pianistes du début du XIXème siècle, à savoir Liszt et Chopin.
En prenant appui sur une méthode de piano conçue par Chopin, oubliée bien que transcrite par Cortot (élève d’élèves de Chopin), Amoyel engage devant nous et pour notre plus grand plaisir, un dialogue imaginaire, de haut vol, avec l’illustre Polonais. L’occasion était trop belle pour lui de nous raconter, avec ses mots et ses doigts, l’entrée dans la carrière. Un grand père, polonais d’origine, lui offre, le jour de ses 11 ans, une partition mythique, la 1ère ballade de Chopin, qu’il osera, quelques années plus tard, mettre au programme de son tout premier concert. Acte fondateur autant que signe du destin, Cziffra est présent dans la salle, on connaît la suite. Cette œuvre emblématique opéra sur lui, tel un talisman, un viatique… jusqu’à venir à nous, nous éclairer, nous autres heureux spectateurs du théâtre du Ranelagh.
Au détour d’une mazurka, avec humour et modestie, Amoyel trouve le ton juste, lorsqu’il évoque le monument Rubinstein, déclarant au micro du Grand Echiquier qu’il lui faudrait encore une vie pour jouer Chopin. Au fond, quelles raisons nous poussent à aimer Chopin, semble nous souffler Amoyel ? Peut-être ce sens aigu de la mélodie, si cher à Bellini. Il suffit de tendre l’oreille pour s’apercevoir que chaque mélodie de Chopin s’inspire de l’écriture belcantiste, cette musique qui part du cœur pour nous délivrer le poème de la voix intérieure. Chopin écrira aussi de superbes mélodies, en français et en polonais.
Avoir des doigts, nous rappelle la méthode, soigner le toucher, décomposer la phrase musicale pour mieux se l’approprier, autant de conseils parsemant les 12 feuillets écrits de la main de Chopin, en français, et qu’éclaire l’architecture de toute sa musique.
Seul sur scène, sagement assis face à son piano Yamaha et muni d’un micro Madonna, Pascal Amoyel opte pour un dispositif minimaliste et, en 1 heure 25, nous embarque dans un irrésistible voyage musical. Sans temps mort, la magie opère par les sortilèges des mots auxquels répond la musique, et où Chopin, Sand et même Delacroix s’incarnent sous nos yeux, entre deux nocturnes.
L’un des mérites de ce concert-balade, et non des moindres, aura été la remise en lumière de la fameuse méthode, conçue par l’un des plus grands maîtres du piano. Mais, au-delà des arcanes pianistiques, et bien qu’il soit impossible de mettre des mots sur ce qu’exprime la musique, nous touchons là aux mystères révélés de la musique romantique, de la musique tout court, ai-je envie de dire, à son essence.
De et avec Pascal Amoyel – Mise en scène : Christian Fromont – Lumières : Philippe Seon
François Caunac
24 novembre 2024