Thérésa (1837 – 1913)

Thérésa (1837 – 1913)

Celle qui fut « La première idole de la chanson française »1 juste avant Yvette Guilbert, connut son heure de gloire sous le Second Empire puis sous La Troisième République à tel titre que les librettistes de l’opéra-bouffe La Vie parisienne, Meilhac et Halévy, la citent dans l’air chanté par la baronne suédoise : « Je veux moi, dans la capitale/ Voir les divas qui font fureur/ Voir la Patti dans Don Pasquale/ Et Thérésa dans Le Sapeur ! » Ces deux artistes, mises sur le même plan, n’avaient en fait rien en commun si ce n’est leur grande popularité. Si Thérésa s’illustra d’abord dans les cafés-concerts avec un répertoire de chansons fantaisistes, elle fit également après 1870 une belle carrière au théâtre et dans les féeries et opéras-bouffes, notamment chez Offenbach.

– Une vocation précoce ?

Thérésa, née Eugénie-Emma Valladon le 25 avril 1837 à La Bazoche-Gouët (Eure et Loir) est la fille d’un “propriétaire tailleur d’habits” originaire de Paris venu s’installer en province et d’une brodeuse. Afin d’augmenter ses revenus, le père exerce également une activité de ménétrier, accompagnant avec son violon les bals publics, noces et fêtes populaires. Peu après la naissance d’Eugénie, la famille quitte le taudis provincial pour gagner Paris. C’est donc dans la capitale que la petite fille grandit. En écoutant son père répéter les morceaux qu’il continue de jouer dans les bals et les fêtes, l’enfant s’imprègne de toutes les chansons à la mode qu’elle chante à tue-tête. Après sa communion, elle entre en apprentissage chez une modiste du quartier où elle confectionne des chapeaux qu’elle livre dans la ville. Chassée de l’atelier pour s’être laissée entraîner comme figurante dans un spectacle des Funambules, elle décide de devenir artiste et choisit déjà le pseudonyme sous lequel elle se fera connaître. Après le départ de sa mère et le décès de son père elle est livrée à elle-même et vit dans la misère. C’est du moins ce qu’elle affirme dans ses mémoires parus en 1865 2. Trente ans plus tard, Thérésa reviendra sur certaines allégations fantaisistes, en particulier la mort de son père, son abandon, sa misère, détails sordides destinés à faire pleurer Margot ; mais, ce qui paraît certain, c’est son désir précoce de se produire sur scène.

– Des vaches maigres au succès

En fait elle continue à travailler dans un atelier de modiste jusqu’à ses dix neuf ans. Elle semble alors très liée à Charles Blondelet, acteur, auteur dramatique et chansonnier, qui la fait entrer au théâtre de La Porte-Saint-Martin. Elle y interprète un petit rôle de bohémienne dans une pièce qui sera jouée six mois, y côtoie artistes et personnalités de théâtres, notamment le chanteur-diseur-compositeur Joseph Darcier qui lui donne de profitables conseils de diction. Puis commence une vie de bohème où s’enchaînent petits engagements suivis d’une fugue amoureuse, et d’une fuite à Lyon pour échapper aux huissiers. Revenue à Paris, elle est engagée au Café Moka, un four, puis à L’Eldorado où ses mélodies sentimentales destinées « à faire pleurer les masses avec modulations en ut mineur » ennuient le public.
Fin 1862, au cours d’un réveillon donné à l’Eldorado, déguisée en paysanne, Thérésa parodie une de ses chansons en y prenant l’accent alsacien et en yodlant le refrain. Tous les invités sont pliés de rire, y compris Arsène Goubert, le nouveau directeur de l’Alcazar, boulevard Poissonnière. Convaincu de son potentiel talent comique, il l’engage aussitôt avec un salaire augmenté de 50 %. Dès le premier soir, le succès est assuré et se poursuit dans les jours qui suivent.

– La coqueluche du Paris populaire

C’est donc à l’Alcazar, café-concert au public mélangé, rebaptisé Alcazar-Lyrique ou Alcazar d’hiver, que Thérésa débute sa brillanteTheresa chanson carrière de fantaisiste. Elle s’impose de plus en plus avec des chansons paysannes : Le Chemin du moulin, J’ n’os’ pas, J’ons trop de santé…, connaît ses premiers succès avec La Gardeuse d’ours(paroles et musique d’Hervé) et Rien n’est sacré pour un Sapeur (musique de Villebichot), ce qui n’empêche pas quelques chansons plus raffinées comme Le Rossignolet. Quand vient la belle saison, toute la troupe, une douzaine d’artistes et les 25 musiciens, se transplante à l’Alcazar d’été situé sur les Champs-Élysées. Deux mois plus tard, la chanteuse accepte le contrat bien payé que le directeur de l’Eldorado, regrettant le départ de celle dont il n’a pas su découvrir la veine comique, lui fait signer. Goubert renchérit sur son rival et amène Thérésa à rompre son engagement. Un procès, perdu par la chanteuse, oppose les deux directeurs mais n’empêche pas le retour de Thérésa à l’Alcazar où elle fera l’essentiel de sa carrière.

À partir de ce moment, son succès est foudroyant et s’enrichit de nouvelles rengaines de Paul Blaquière : La Déesse du bœuf gras et surtout La Femme à barbe qui deviendra la chanson fétiche de son répertoire : « Entrez bonn’s d’enfants et soldats/ Tâchez moyen d’ fair’ ployer c’ bras/ On f”rait plutôt ployer un arbre/ C’est moi qu’ je suis la femme à barbe.» D’Hervé, le public s’entiche également de C’est dans l’ nez qu’ ça m’chatouille (avec refrain en tyrolienne) dont le premier couplet n’est pas sans évoquer certains déboires : « Mes bons Messieurs, mes bonn’s Madam’s/ Ayez pitié d’ mon triste sort/ Ma voix qui faisait d’ si bell’s gamm’s/ Vient de s’ casser un grand ressort ». Il est en effet arrivé que certains soir Thérésa déclare forfait pour cause d’angine ou d’irritation de la gorge, ce que le public ne tolère pas, réclamant sa diva en vociférant violemment.

Une personnalité originale.

D’abord dans l’expectative, la presse finit par s’intéresser à ce phénomène de scène mais c’est souvent pour l’affubler de surnoms peu flatteurs : “La diva de la chope”, “La Melpomène d’estaminet”, “La Muse de la voyoucratie” … et n’a aucun mal à caricaturer un physique caricatureassez ingrat. Elle est très maigre, osseuse même, du moins à cette époque, et affiche une bouche immense. Ne manquant pas d’humour, Thérésa n’affirme-t-elle pas que lorsqu’elle l’ouvre, elle a peur d’avaler le chef d’orchestre ! Tout cela est racheté par de jolies mains, qu’elle met en évidence, et par de beaux yeux brillant d’intelligence. Elle possède surtout une voix puissante et d’une souplesse remarquable qu’elle sait rendre émouvante et dont la tessiture de contralto peut monter jusqu’au mezzo-soprano. C’est que, pour surmonter son handicap physique et un premier répertoire assez navrant, il lui faut beaucoup de talent. Et elle en a, complété par une posture en scène pleine de naturel.

La chanteuse est devenue un véritable phénomène de société qui inspire de potentielles rivales, les journalistes, les romanciers, les auteurs de revue mais aussi la mode, paradoxalement, car son goût vestimentaire n’est pas des plus sûrs. Son nom apparaît également sur toutes sortes de produits : bibelot, liqueurs, recettes de cuisine… Tout le monde veut désormais l’applaudir : la Princesse de Metternich, le Baron Haussmann et même le compositeur Auber. Parmi ses nouveaux succès : La Reine des charlatans, Le Casque à Mengin, C’est un bel homme… Elle semble aussi quelque peu alimenter la rubrique des demi-mondaines puisque le registre des dames galantes de la préfecture la répertorie aux côtés d’Hortense Schneider, Blanche d’Antigny, Lise Tautin, Céline Montaland et autres célébrités du théâtre.
Son extraordinaire succès ne lui monte pas à la tête mais elle sait en tirer parti pour exiger des cachets toujours plus substantiels qu’elle peut encore compléter par des extras touchés lors de concerts privés, donnés même dans le grand monde et notamment à la cour de Napoléon III où elle est favorablement accueillie. Ses exigences ont pu la faire passer pour avare mais en fait elle a le cœur sur la main et participe à des galas de bienfaisance.
Cependant elle s’est beaucoup produite et sa voix est fatiguée. En 1865, elle se repose trois mois dans le Var, puis, après un concert malheureux à Marseille, elle retrouve Paris ; mais elle se sent encore incapable de reprendre la scène, d’autant plus qu’une nouvelle chanteuse, Suzanne Lagier, enthousiasme le public de l’Alcazar. De plus elle a grossi. Son éclipse de la scène va durer un an.

Un nouveau départ

À cette époque, il n’est pas rare que certains artistes fassent des mini-récitals pendant les entractes des spectacles. C’est ainsi que Thérésa fait une apparition, en décembre 1867 en chantant quelques anciens succès aux Folies-Dramatiques entre deux actes de L’Œil crevé d’Hervé. L’ovation qui suit la rassure sur sa popularité restée intacte. Une soirée à bénéfice pour des artistes en difficulté lui vaut, au théâtre de La Porte Saint-Martin, un accueil identique. Les directeurs de salle décident alors de mettre en valeur, à côté de ses talents de chanteuse, sa grande aisance en scène en lui faisant jouer la comédie. Sa véritable rentrée se fait à La Porte Saint-Martin, dans une revue de fin d’année en quatre actes, peu réussie. Thérésa n’y parait qu’au troisième mais sauve le spectacle par son talent. Elle est à nouveau invitée à se produire dans les salons mondains et entreprend une grande tournée en province ainsi qu’en Belgique et en Angleterre où son talent n’impressionne guère nos voisins d’outre-Manche.

Du caf’ conc’ au théâtre

La Chatte blanche
En août 1869 elle fait ses débuts de comédienne à la Gaîté dans une reprise de cette féerie des frères Cognard, remise au goût du jour avec une musique nouvelle d’Émile Jonas. Thérésa y interprète le rôle de la paysanne Pierrette et y chante une romance, La Mare aux canardsgrenouilles, ainsi qu’une bouffonnerie dont elle a écrit la musique, Les Canards tyroliens, qui est bissée ou trissée chaque soir. Il est évident que son incroyable succès relève beaucoup plus de l’interprétation que du texte lui-même : Quand les canards s’en vont par deux/ C’est qu’ils ont à causer entre eux./ Les passants n’y comprennent rien ;/ Mais eux, malins, s’entendent bien/ Y’s’ disent comme’ ça des jolis riens :/ Coin, coin, coin…/ Quand c’est des canards tyroliens : La y tou, la y tou,…

Au moment de la déclaration de la guerre de 1870 avec la Prusse, elle est en cure à La Bourboule. Albert Vizentini, le chef d’orchestre de La Gaîté, lui demande de remonter le plus vite possible pour y chanter La Marseillaise, l’ancien hymne qui est à nouveau autorisé. La prestation de Thérésa, chantée d’une voix formidable, plonge les spectateurs dans une intense émotion et lui vaut une superbe ovation patriotique. L’hymne est aussitôt intercalé dans La Chatte blanche mais les représentations cessent bientôt à cause de la fermeture du théâtre vidé de son personnel par la guerre.
Admiratif du talent de la chanteuse, Offenbach lui propose de personnifier un Guillaume Ier grotesque dans une pièce bouffe destinée à ridiculiser les Prussiens mais la chute de l’Empire, le 2 septembre 1870, met fin à ce projet. Offenbach, cependant, n’oubliera pas l’artiste.
Après l’hiver 70-71 passé à Marseille, Thérésa reprend son rôle à La Gaîté où La Chatte blanche finira, après plusieurs autres reprises, par atteindre les quatre cents représentations. Cette réussite lui permettra de s’imposer sur la scène des théâtres où désormais elle paraîtra dans de nombreux autres spectacles.

La Chatte blancheLe Puits qui chante, féerie (4a et 22t) sur une musique nouvelle de Raspail, est donné au théâtre des Menus-Plaisirs (actuel Théâtre Antoine) le 23 septembre 1871 mais, à partir du 8 novembre, elle y joue un personnage spécialement écrit pour elle.

La Reine Carotte,pièce fantastique de Clairville, Bernard et Koning. Pour la première fois elle y interprète un rôle complet, celui de Jacqueline Métouflet, la reine Carotte, rôle ne brillant pas par sa distinction mais qui lui permet de gagner ses galons d’actrice. De plus, elle y danse un pas espagnol avec beaucoup d’énergie. Les musiques proviennent d’airs connus auxquels s’ajoute une mélodie de Thérésa qu’elle chante au fond d’une énorme carotte qui lui sert de prison. Créée la veille de la première représentation du Roi Carotte d’Offenbach, la pièce n’a aucun rapport avec ce dernier et connaît un succès de 120 représentations entrecoupées par une pause de huit jours due à une laryngite de la diva à nouveau mal acceptée du public.

La Poule aux œufs d’or(24t) féerie donnée à La Gaîté le 2 décembre 1872, musiques de Fessy, Henrion et Vizentini, est un nouveau succès, environ 200 représentations.
Suivent quelques représentations en extra, des galas de bienfaisance, une tournée en province (Lyon, Nice…) et une autre en Italie.

La Famille Trouillat est une opérette bouffe de Vasseur donnée à partir du 10 septembre 1874 à La Renaissance qui vient d’être reconstruite. Le succès y est moyen, 70 représentations, la chanteuse Thérésa y est préférée à la comédienne, dans les chansons Mam’zelle Suzon et surtout C’est les Normands.

Geneviève de Brabant, donnée le 25 février 1875, à La Gaîté, est une troisième version de l’opéra-bouffe d’Offenbach élargie en luxueuse féerie (5a et 14 t). Outre les ballets, défilés et airs supplémentaires, on y découvre, spécialement écrit pour Thérésa, un nouveau personnage à multiple visages, celui de la nourrice Biscotte, alias la gouvernante, la sorcière du ravin, l’épouse de Golo et Armide. Le rôle est doté de cinq airs nouveaux : la chanson de la nourrice ambulante « La voilà, la Flamande », la chanson de la fileuse « Jeunesse aimable et charmante », les couplets des reproches « Je n’sais pas quell’ mouch’ vous chagrine », la lettre « Nous sommes en Syrie » et la chanson à boire « Buvons, seigneurs et nobles dames » qui s’ajoutent à plusieurs airs chantés par d’autres personnages dans la version précédente. Ce rôle important, reléguant celui de Drogan au second plan, vaut à Thérésa d’orner la couverture de la nouvelle partition. Après un début très applaudi l’enthousiasme faiblit peu à peu et les représentations s’achèvent après la 105ème.

Genevieve

 

Pendant l’été 1875, le 10 juin, Thérésa reprend à La Gaîté, où Vizentini remplace désormais Offenbach, son rôle de Pierrette dans
La Chatte blanche qui est agrandie par Offenbach de trois airs et d’un intermède dansé, le « Grand ballet Watteau. »

Le Voyage dans la Lune, la nouvelle féerie d’Offenbach créée avec succès le 26 octobre 1875 à la Gaîté, commence à s’essouffler trois mois plus tard. Afin de relancer la pièce, Vizentini remplace, dès le 28 février suivant, la tenante du rôle de la Reine Popotte par Thérésa et demande à Offenbach d’étoffer son rôle qui se voit agrandi de quatre morceaux qui produisent un grand effet, surtout les deux du troisième acte qu’elle détaille avec une finesse et un art exquis, ce qui redonne un second souffle à la pièce qui est jouée un mois de plus.

La Boulangère a des écus, donnée aux Variétés le 19 octobre 1875 avec un succès incertain, connaîtra la même cure de jouvence avec une seconde version donnée le 27 avril 1876 dans laquelle Thérésa, libérée du Voyage dans la Lune, remplace Mlle Aimée dans le rôle principal de Margot. Offenbach lui a confié des couplets jusque là chantés par Bernadille et lui a composé un air sur mesure ajouté dans le final du second acte et repris dans celui du troisième : « Nous sommes ici trois cents femelles et la danse va commencer…  », véritable « Marseillaise des femmes » qui est trissée chaque soir. Le journaliste et librettiste Arnold Mortier, subjugué, écrit dans Le Figaro :Vous ne vous figurez pas l’effet produit par cet air passionné, crâne, électrisant…. enlevé par Thérésa avec une verve, une vigueur, une furia dont il est impossible de se faire une idée.>» Cet air à lui seul sauve la pièce qui sera encore reprise en 1877.

Les Sept château du Diable, une féerie de Dennery et Clairville créée 32 ans plus tôt, est reprise au Châtelet le 14 octobre 1876 (5a et 22t) avec Thérésa dans le rôle de Régaillette qui se détache au milieu d’une distribution assez terne sauvée cependant par une superbe mise en scène. L’artiste y chante, à côté d’airs de vaudeville, quelques chansons de son répertoire dont une nouvelle, « Jeanne la Sabotière » mais quitte le rôle après la 160e représentation. Après quelques jours de vacances on la retrouve dans La Boulangère a des écus, mais aux Menus-Plaisirs où elle enchaîne avec une revue de fin d’année.

Après une tournée qui la mène à Lyon, en Italie et à Alger, elle fait sa rentrée à Paris dans une revue donnée aux Nouveautés, un succès, puis est engagée, le 20 mai 1880, au Théâtre des Arts (ex-Menus-Plaisirs) dans une pièce de Burani et Ordonneau, musique de Ockolowicz, Madame Grégoire, (3a) dans laquelle elle interprète 8 chansons ; nouveau succès. Burani et Ribeyre lui écrivent un vaudeville en 3 actes, mis en musique par Robert Planquette, La Cantinière, dans laquelle elle devait interpréter le rôle de Victoire mais, suite à un différend entre auteurs et directeurs de salle, c’est Léa Silly qui crée la pièce.

La Reine des Halles, opéra-comique (3a 4t) mis en musique par Louis Varney est donnée à la Comédie-Parisienne le 4 avril 1881. Thérésa y incarne un rôle taillé à sa mesure, celui de Rose, une riche marchande de poissons qui a donné une éducation brillante à son fils Pierre qu’elle vient de marier à un beau parti, mais le jeune homme, dépassé par les événements, s’enfuit avec une chanteuse d’opérette. Après de nombreux quiproquos et chassés-croisés, le héros finit par accepter celle que sa mère lui a donné pour épouse.
Le succès et les acclamations sont tels que Thérésa a du mal à contenir son émotion. “Le public a vibré… l’âme de tout cela a été Thérésa… elle a été ce soir-là la reine attendue et acclamée de ce théâtre… La caractéristique de Thérésa, c’est la beauté de l’instinct… elle a eu des gestes d’une noblesse étonnante.”

Reine des Halles

Le succès couronné par l’amour

Thérésa est alors au sommet de sa popularité. Elle a acquis une coquette fortune qu’elle a su faire prospérer. Elle lui permet de faire construire un petit château à Asnières qu’elle habitera plusieurs années et où elle reçoit ses amis autour d’une bonne choucroute qu’elle aime à préparer. De plus, mariée depuis trois ans, elle est heureuse en amour. À quarante ans, elle a épousé un jeune homme de quinze ans son cadet, Arthur-Théobald Guilloreau, sympathique et bon vivant. Le mariage civil a lieu à Asnières et le mariage religieux à Neuchatel-en-Saosnois, près d’Alençon. Elle s’y est acheté une gentilhommière, Les Lauriers où, entre tournées et représentations, elle séjournera pendant plus de trente ans, entourée de poules et de vaches. Son mari ne possédant aucune formation particulière, Thérésa tentera d’abord d’en faire un artiste peintre puis un acteur en le faisant engager à l’Athénée sous le nom de Raoul Donval (tiré d’une anagramme du nom de Thérésa : Valladon, alias La Donval).
Après un début médiocre, le jeune homme se fait remarquer au Théâtre du Château d’eau dans Bug Jargal, un drame tiré du roman de Victor Hugo (novembre 1880) mais c’est surtout comme administrateur qu’il deviendra célèbre. À l’automne 1883, Donval, avec deux associés, Taillefer et Labat, prend à bail l’Alcazar d’hiver pour une durée de trois ans et demi. Thérésa, qui a des intérêt dans la maison, en prend pratiquement la direction. Les nouveaux administrateurs transforment le caf’ conc’ en music-hall avec adjonctions de comédies, opérettes et danseuses (La Goulue, Grilles d’Égout…) tout en laissant une large place aux récitals de Thérésa. Son répertoire s’agrandit de chansons plus poétiques, dues à Jean Richepin « La Glu », Paul Déroulède « Le Bon gîte », Émile André ou « La Toussaint » mise en musique par Paul Lacôme…
Cependant Thérésa commence à prendre ombrages de l’ambition de son mari qui tend à voler de ses propres ailes, et devient jalouse (peut-être à raison). Pour restaurer la situation, elle se lance, avec Donval pour impresario, dans une grande tournée en Europe centrale où elle se produit dans les plus grands théâtres. Cependant, à son retour à Paris, Donval accepte sans hésiter, tout en restant administrateur de l’Alcazar, la direction de La Grande Piscine Rochechouart que lui propose Oller, le grand industriel du spectacle, puis, au printemps 1889, celle du Nouveau-Cirque. En douze ans, le très modeste Donval est ainsi devenu le directeur du plus élégant cirque parisien.>

Thérésa, mère de substitution

La chanteuse qui sent bien que les années passent et que sa carrière se termine sombre dans un début de dépression et songe à prendre sa retraite. Elle passe le plus clair de son temps à la campagne, loin de son mari dont elle finira par divorcer et de ses amis dont un certain nombre est mort. Un événement imprévu va cependant redonner un sens à sa vie. Le décès de sa meilleure amie laisse un fils naturel de dix ans orphelin. Thérésa, qui n’a jamais pu avoir d’enfant, se laisse attendrir, recueille le garçon, François-Frédéric en attendant de pouvoir l’adopter légalement, bien plus tard, et retrouve sérénité et goût pour le travail.

– Le bout du chemin.

On la retrouve un peu plus souvent sur scène, pour divers galas, un récital à l’Eden-Théâtre en 1887, puis à la Scala et à l’Eldorado. Elle participe également à une reprise de la féerie, Cendrillon ou La Pantoufle Merveilleuse, donnée au Châtelet, mais qui la fatigue beaucoup. En 1890, elle chante au Concert-Parisien ; ce sera son dernier récital sur une scène parisienne dont elle sort en sanglotant. En fait, après cette fausse sortie, elle donnera encore, à 56 ans, un dernier concert, en 1893 à la Gaîté. Commence alors une longue retraite heureuse dans la Sarthe, retraite qui sera encore marquée par quelques rares apparitions sur de petites scènes. Son fils adoptif, devenu officier dans l’armée, s’est marié en 1905 et lui a donné un petit fils puis une petite fille, qu’elle dorlotera encore pendant six ans avant de s’éteindre au milieu des siens, le 14 mai 1913, emportée par une crise d’urémie dont elle souffrait depuis plusieurs années. Si la cérémonie mortuaire a lieu à Neuchâtel, c’est à Paris, conduite par de nombreuses personnalités du monde du spectacle, qu’elle est enterrée, au Père-Lachaise, dans la tombe qu’elle avait achetée pour sa mère.

Bernard Crétel

1) Titre de la biographie de Thérésa par Jacqueline Blanche, 1981, dont cet article s’inspire en grande partie.
2) Les mémoires de Thérésa furent coécrits avec Albert Wolff, Ernest Blum et Henri Rochefort.

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