Stephen Sondheim (1930-2021)

Stephen Sondheim (1930-2021)

L’homme que l’on surnommait « God »…. Le dernier des Géants de Broadway

La disparition, le 26 novembre 2021, à l’âge de 91 ans, de Stephen Sondheim, dans son domicile de Roxbury (Connecticut), marque la fin d’une époque.
Dans l’histoire du théâtre musical, il n’est pas exagéré de considérer que Stephen Sondheim (né à New York le 2 mars 1930) était à la fois un « cas à part » et le dernier représentant d’un genre de plus en plus en voie de disparition : la comédie musicale américaine.
En France, s’il n’y avait eu, ces dix dernières années, l’incroyable volonté de certains directeurs d’institutions théâtrales – on pense évidemment avant tout à Jean-Luc Choplin pendant son mandat au Châtelet mais également à Claude-Henri Bonnet à l’Opéra de Toulon – il est probable que la connaissance de la production musicale de Stephen Sondheim se serait limitée au jardin secret de quelques happy few, curieux des influences de divers genres musicaux (opéra, comédie musicale, jazz, chanson populaire…) les uns sur les autres.

Stephen Sondheim, un « inclassable » à Broadway

En comparaison de toutes les grosses productions de Broadway et du West End londoniens, les compositions de Stephen Sondheim l’ont toujours situé comme une sorte de marginal de Tin Pan Alley (quartier historique des éditeurs de musique populaire à Manhattan). Pourtant, depuis trente ans, chaque reprise de ses comédies musicales, tant dans les théâtres que dans les universités américaines, est devenue un évènement suivi par une colonie de fidèles inconditionnels. Longtemps, même si la plupart de ces titres ne disaient pas grand-chose au public français, nombreux étaient les amateurs de chansons américaines qui, au moins une fois dans leur vie, avaient entendu « Send In The Clowns » (par Barbra Streisand ou Frank Sinatra…), « Being Alive » (extrait du show Company) ou « Sooner or Later » (interprétée par Madonna dans le film Dick Tracyen 1990).

Un mélange de Tradition et de Modernité

C’est dire combien à côté du musicien innovant et étiqueté « sérieux », à la fois influencé par la musique française du début du XXème Siècle (Ravel, Satie et Poulenc, principalement…) et par ses compatriotes américains d’avant-garde Milton Babbitt (avec lequel il a étudié…comme ses compères Steve Reich et Philip Glass !) ou Aaron Copland, Stephen Sondheim reste un compositeur et un parolier dans la meilleure tradition de l’histoire de Broadway dont les « tubes » (les Américains aiment parler de « show stoppers ») peuvent être sifflés à la sortie des théâtres. Avec lui, la comédie musicale, au-delà d’être un simple divertissement, devient une œuvre à part entière et doit être considérée comme un Tout reposant sur un bon texte, la plupart du temps écrit par un auteur de théâtre de renom outre-atlantique (Arthur Laurents autrefois, James Goldman, James Lapine, plus récemment…auteurs qui se font de plus en plus rares sur Broadway !), elle alliera souvent un travail chorégraphique important (Michael Bennett dans Follies, pour citer l’un des plus prestigieux !) à des paroles signées exclusivement du compositeur lui-même.

Des débuts placés sous de bonnes étoiles

Collaborateur de Leonard Bernstein pour lequel il écrit les paroles de West Side Story (1957), alors qu’il n’a que 27ans – ce fut longtemps sa seule « carte de visite » en France – puis des non moins fameux Jule Styne pour Gypsy (1959) et Richard Rodgers qui vient de perdre son librettiste attitré Oscar Hammerstein II (mentor par ailleurs de Sondheim) et qui lui confie les paroles de Do I Hear A Waltz ? (1965). Sondheim se met en parallèle à la musique de film pour la télévision (Evening Primrose, 1966) et le cinéma (The Sevent Percent Solution, 1976). On ne peut ici s’empêcher de relever la belle partition que signera notre homme, en 1974, pour le film d’Alain Resnais (qui, lui, connaissait déjà fort bien son œuvre musicale!), Stavisky, avec Jean-Paul Belmondo.

Les « leitmotives » préférés de Sondheim

Des thèmes de comédie pure où l’esprit des théâtres de la 42ème Rue n’est jamais très éloigné des classiques grecs et de Shakespeare (A Funny Thing Happened On The Way To The Forum, inspiré de Plaute), au pessimisme ambiant de Company (1970) et de Follies (1971), en passant par la vision désabusée du couple de A Little Night Music (1973), adaptation du film de Bergman Sourires d’une nuit d’été, la production de Sondheim aura su swinguer sur un chemin de crête, entre fans inconditionnels, qui adoptèrent pour le désigner le surnom de « God », et grand public qui le découvrit à Paris avec A Little Night Music en février 2010. On se souvient, avec émotion, l’avoir plusieurs fois croisé dans les couloirs du Châtelet où, pendant l’ère Choplin, il aimait à se rendre annuellement, n’hésitant pas à dire que jamais la plupart de ses œuvres n’avaient été montées avec la même qualité artistique !

Le soir de son décès, sur Times Square, selon l’émouvante tradition, tous les néons des théâtres se sont éteints un instant et les paroles du standard de George M. Cohan, Give My Regards to Broadway inscrites sous la célèbre statue, ont retenti avec la nostalgie d’un âge d’or du théâtre musical, perdu un peu davantage encore…

Hervé Casini

Principales comédies musicales

1962 : A Funny Thing Happened On The Way To The Forum, la première comédie musicale dont il signe la musique et les paroles. (voir Opérette 210, page 8)

1964 : Anyone Can Whistle, un échec (le show ne tient qu’une semaine !) qui le laisse silencieux jusqu’ à…

1970 : Company, la comédie musicale new yorkaise par excellence qui parle de la difficulté de rencontrer l’âme sœur dans la Big City, et qui égratigne le mariage au passage.

1971 : Follies, l’hommage brillant de Sondheim aux Ziegfeld Follies et à l’âge d’or de la Comédie Musicale. (voir Opérette 166, page 44) et (voir Opérette 167, page 32)

1873 : A Little Night Music, adaptation du film d’Ingmar Bergman Sourires d’une Nuit d’été, show dont est extrait le célèbre « Send In The Clowns». (voir Opérette 154, page 12)

1976 : Pacific Overtures, une rare partition minimaliste qui traite de l’ouverture au monde du Japon au début du XXème siècle.

1979 : Sweeney Todd, son oeuvre la plus donnée dans les théâtres lyriques, inspirée des crimes de Sweeney Todd, le barbier sanguinaire de Fleet Street, dans la Londres du XIXe s. Johnny Depp dans le film de Tim Burton (2007) a largement contribué à faire connaître ce chef-d’œuvre ! (voir Opérette 146, page 48) et (voir Opérette 158, page 9)

1981: Merrily We Roll Along, un échec retentissant qui fait réfléchir Sondheim à son avenir sur Broadway… L’une de ses plus belles partitions ! Une adaptation cinématographique devrait sortir en 2022.

1984 : Sunday In The Park With George, évocation musicale du peintre Georges Seurat, artiste habité par son art jusqu’à l’obsession. L’œuvre obtient le prix Pulitzer. (voir Opérette 166, page 20) et (voir Opérette 167, page 9)

1987 : Into The Woods, comédie musicale mêlant des contes classiques pour enfants. (voir Opérette 194, page 40)

1991 : Assassins, show sur les assassins aspirants ou avérés des Présidents américains qui bouscule le public.

1994 : Passion, librement inspiré du Trouvère de Verdi et du Senso de Visconti. L’une de ses œuvres les plus « lyriques » puisque basée sur la vengeance d’une femme trahie par un bel officier.

2003 : Bounce: sa dernière œuvre pour le théâtre. L’histoire authentique des frères Mizner, gangsters dans l’Amérique des « Années Folles».

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.