Pulcinella et L’Heure Espagnole, Opéra Comique
dimanche 17 mars 2024

Pulcinella et L’Heure Espagnole, Opéra Comique

Pulcinella  (© Stefan Brion)

C’est après avoir assisté au spectacle, qu’il m’est apparu évident que le choix de réunir ces deux ouvrages était une bonne idée. Au-delà de l’amitié qui unissait leurs deux compositeurs, ils illustrent l’un et l’autre la force de séduction d’un homme, qui suscite les jalousies, et d’une femme qui, malgré ses tentatives osées, ne parvient pas à trouver un amant digne de ses attentes.
Mais revenons au spectacle :

Pulcinella 2
“Pulcinella” : Oscar Salomonsson (© Stefan Brion)

Pulcinella

Le rideau s’ouvre sur un très beau décor baigné d’une lumière douce, une tour couleur terre de Sienne, avec un escalier à peine dissimulé et plusieurs ouvertures. C’est alors que surgit un personnage rêveur et mélancolique, tel Charlot avec son chapeau melon ; c’est le danseur Oscar Salomonsson qui se lance alors dans un tourbillon enchanteur, et son extraordinaire virtuosité s’exprime brillamment par sa fougue et ses élans impressionnants. Il est magnifiquement accompagné par Alice Renavand, sa fiancée, et par les danseurs et danseuses qui virevoltent joyeusement autour de lui, dans le jeu de la séduction et celui de la jalousie.

Pour ce ballet, crée en 1920 à L’Opéra, Stravinsky a construit une sorte de puzzle musical à partir de morceaux de Pergolèse, comprenant également des passages chantés en dialecte napolitain et n’ayant aucun lien avec l’argument du ballet. Les trois chanteurs y sont parfaitement à l’aise : la soprano Camille Chopin, Le ténor Abel Zamora, la basse François Lis. Le résultat est étonnant, parfois un peu déconcertant, mais on se laisse vite empoter dans cet univers à la fois fantasque et onirique.

Le ton change après l’entracte ; on passe de l’Italie à l’Espagne, puisque nous voici à

L’Heure Espagnole

Le décor du premier acte est toujours là, mais il est complété par une deuxième tour, avec un escalier maintenant très visible et qui deviendra un élément essentiel de cette scène d’intérieur ; il y a, bien sûr, deux horloges.

L’Heure Espagnole, c’est une histoire invraisemblable, née de l’humour égrillard de Franc Nohain, qui en fit d’abord une pièce de boulevard inspirée d’un conte de La Fontaine et du Decameron, avant d’être remaniée pour construire le livret dans lequel on trouve sans surprise quelques clins d’œil destinés au public de l’époque, comme par exemple les allusions à Hernani, avec les références au placard – devenu horloge – cachant un amant et l’évocation de Doña Sol évoquée par Concepción. Ravel ne pouvait qu’y déployer sa fantaisie inventive, ses harmonies luxueuses et sa légèreté.

Heure espagnole
“L’Heure Espagnole” (© Stefan Brion)

Le muletier Ramiro, arrivé là pour y faire réparer son « bijou de famille » qui n’est autre qu’une montre, se retrouve mêlé aux aventures érotico-sentimentales de Concepción, une fois par semaine épouse infidèle de Torquemada, pendant que son horloger de mari remonte les horloges de la ville. Ramiro se transforme en déménageur, transportant avec allégresse des horloges vides ou cachant un amant, au gré des amours insatisfaites de Concepción, avant de se révéler le seul amant capable de répondre aux besoins impérieux de cette splendide créature.

Le rôle de Ramiro, crée par Jean Périer qui fut aussi créateur de Pelléas, exige, outre d’indéniables qualités vocales, de véritables talents de comédien que déploie à merveille Jean-Sébastien Bou. Philippe Talbot est très à l’aise en Torquemada et, comme toujours, sa voix est richement nuancée, sa diction parfaite. Benoît Rameau est un Gonzalve amoureux et lyrique à souhaits, son timbre éclate dans les aigus et se fait tout en nuances dans les moments les plus tendres. En Don Iñigo Gomez, Nicolas Cavallier compose un personnage d’homme mûr, parfaitement ridicule en amoureux transi, avec son jeu habilement outré, sa voix grave et colorée. Place à l’héroïne de l’histoire :Concepción, merveilleusement interprétée par Stéphanie d’Oustrac dont l’abattage et la voix éclatante ont largement séduit le public, en particulier dans l’air célèbre « Oh, la pitoyable aventure »

À propos du public, rappelons que L’Heure Espagnole fut le premier ouvrage lyrique représenté de Ravel, après qu’il se soit essayé en vain à l’opéra. Ce que Ravel lui-même qualifiait de « comédie musicale » a beaucoup fait hésiter la direction de l’Opéra Comique du début du XXème siècle, fort attachée à la saine moralité des ouvrages qui étaient programmés, et qui tergiversa longtemps avant d’en autoriser la création en 1911 – pour 11 représentations seulement – devant son public qui utilisait parfois les entractes pour concrétiser des projets matrimoniaux entre jeunes gens supposés ignorer les turpitudes de l’amour. Et pourtant, 35 ans plus tôt, on avait fini par admettre Carmen, tout aussi immoral, mais moins divertissant. Heureusement, l’Heure Espagnole a retenti à nouveau à l’Opéra Comique, pour la plus grande joie des petits et grands, à l’heureuse initiative et sous la direction musicale aussi précise que passionnée de Louis Langrée.

Direction musicale : Louis Langrée. Orchestre des Champs-Élysées. Mise en scène : Guillaume Gallienne. Chorégraphie : Clairemarie Osta. Lumières : John Torres. costumes : Olivier Bériot. Décor : Sylvie Olivé.

Pulcinella : Danseurs et danseuses : Oscar Salomonsson, Alice Renavand, Iván Delgado, Manon Dubourdeaux, Anna Guillermin, Stoyan Zmarzlik. Chanteurs : Camille Chopin, Abel Zamora et François Lis. Chorégraphie : Clairemarie Osta

L’Heure Espagnole : Stéphanie d’Oustrac, Philippe Talbot, Benoît Rameau, Jean-Sébastien Bou, Nicolas Cavallier.

Christiane Izel
17 mars 2024

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