Passionnément

André Messager (1853-1929)

 

Les grandes lignes de l’itinéraire de Messager, on les connaît bien ; de François les Bas-Bleus dont il achève la partition commencée par Bernicat (1883) jusqu’à la fin du siècle, il compose ses opérettes et opéras-comiques les plus connus (Véronique date de 1898) ; puis ce sont les fonctions de directeur de théâtre et de chef d’orchestre qui l’occupent en priorité : en 1898 il est à la tête de la Direction de la Musique à l’Opéra-Comique, en 1903 il rejoint Covent-Garden, de 1908 à 1914 il co-dirige l’Opéra de Paris. Messager découvre les autres compositeurs, les fait représenter, souvent dirige leurs œuvres, qu’il s’agisse de Pelléas, des opéras de Wagner ou de Boris.

Quand il revient à l’opérette dans les années 20, Messager n’a rien oublié : ni son adhésion à une forme de patrimoine culturel bien français, ni sa défense des influences étrangères quand elles renouvellent la conception de la mélodie ou du leitmotiv, ni son aversion pour l’opérette étrangère, ni même son goût pour le music-hall (celui de Polin, Mayol…)
Des cinq ouvrages que le compositeur fait représenter dans l’entre-deux-guerres, Passionnément est sans doute l’opérette la plus proche du style qui prévaut dans ces années. Sans être exactement une opérette légère au sens où on l’entend à l’époque, la nouvelle création de Messager démontre la remarquable adaptation d’un musicien septuagénaire à son temps.  

Pour sa nouvelle opérette (appelée comédie musicale) créée le 15 janvier 1926, Messager a deux collaborateurs : Maurice Hennequin et Albert Willemetz ; le premier tenait à écrire pour Messager qu’il avait côtoyé à la SACD et Willemetz est le parolier le plus en vue des Années Folles ; il écrit notamment pour Yvain, Christiné, et combien d’autres. Si beaucoup d’opérettes légères passent aux Bouffes-Parisiens, aux Nouveautés ou au théâtre Daunou, c’est au théâtre de La Michodière que sera représenté Passionnément ; la salle n’est pas vaste, mais elle fait très bien l’affaire pour des opérettes qui ont revu leurs effectifs à la baisse ; Passionnément ne comporte ni chœur (pas même les trois ou quatre jeunes personnes qui en font office), ni figuration, ni ballet bien sûr ; un seul changement de décors suffira. La distribution est dans le droit-fil de ce qui se fait alors : deux bons chanteurs pour les rôles sentimentaux et les plus exposés vocalement, Jeanne Saint-Bonnet dans Ketty et Géo Bury dans Robert Perceval, mais surtout des acteurs bien identifiés à leur emploi, Koval (Stevenson), Denise Grey (Julia), Renée Duler (Hélène), Lucien Baroux (Harris), Charles Lorain (Le Barrois) et même Carette dans un petit rôle. Bien écrite pour les voix, la partition ne sollicitera pas la prouesse vocale que le public d’ailleurs n’attend pas.

Dans sa forme, Passionnément se rapproche par plus d’un aspect de l’opérette légère ; on retrouve dans l’ouvrage de Messager la modernité du sujet, un texte parlé important, mais avec un emplacement judicieux des différents numéros (plusieurs faisant évoluer l’action) ; la liste des rôles est assez comparable à ce qu’on trouve à l’époque, mais on notera que la partie féminine comporte trois beaux rôles à peu près équivalents (l’épouse délaissée, la maîtresse jalouse et la femme de chambre manœuvrière) au point qu’on surpasse dans cet ordre-là des choses maintes opérettes classiques ; à leur côté on a le jeune premier, viveur et dépensier, l’Américain prohibitionniste et mal embouché, le mari trompé (le précédent jouant également progressivement ce rôle) et le capitaine d’un yacht ; les deux décors sont le yacht L’Arabella et la villa des Roses de Perceval. Les numéros sont généralement courts, sous forme de chansons, mais aussi de duos, trios ou ensembles.

D’après Didier Roumilhac

— L’argument

Acte I

Dans le salon du yacht luxueux qui cingle vers les côtes françaises se trouvent William Stevenson, businessman américain, sa femme Ketty, la femme de chambre Julia et le capitaine Harris. Stevenson vient en France afin d’acheter à bas prix à Robert Perceval un terrain pétrolifère dont il cache la valeur réelle. Très autoritaire, il fait savoir à l’équipage que l’escale à Trouville ne devra donner lieu à aucune entorse aux lois américaines sur l’alcool ; pour prévenir tout risque d’aventure, Ketty ne devra se présenter devant un Français qu’avec une perruque blanche et des lunettes bleues. De son côté Julia rompt avec le capitaine Harris qui, pas plus que ses précédents amants, n’a pu totalement la satisfaire.

Le bateau amarré à Trouville, Robert Perceval, câblé le matin même, se présente ; il est rejoint par le couple Le Barrois ; Hélène Le Barrois qui est sa maîtresse a vu Robert monter à bord et craint un rendez-vous amoureux ; elle est vite rassurée en constatant que la maîtresse des lieux est une femme âgée auprès de laquelle elle peut d’ailleurs se confier ; Ketty s’ouvre imprudemment de cet aveu à Le Barrois qui soupçonne alors sa femme d’avoir un amant. Stevenson reçoit Perceval qui accepte de vendre son terrain au prix établi par l’homme d’affaires et propose de conclure la signature le lendemain lors d’un dîner chez lui. Alors qu’il s’apprête à quitter le navire il tombe sur Ketty qui n’a pas eu le temps de remettre la tenue qui la transforme ; Robert tombe amoureux de celle qui se fait alors passer pour Margaret, la nièce de Stevenson, et lui fait prêter serment de ne plus la revoir.

Acte II

Le lendemain à la villa des Roses, le repas se termine et les deux hommes se préparent à signer l’acte de vente. Stevenson entend rejoindre avec sa femme un compatriote au Casino à onze heures. Hélène qui ne comprend pas la froideur de son amant demande à Ketty de percer le secret de Robert ; cette dernière apprend ainsi que le Français est éperdument amoureux de Miss Margaret rencontrée la veille sur l’Arabella ; elle lui présente comme sans issue l’aventure. Julia et Harris font irruption et annoncent l’indisponibilité de l’Arabella qui a été endommagée par un bateau de pêche. L’incident amène Perceval à garder les Américains chez lui pour la nuit. Julia en profite pour inciter Ketty à tromper son mari. Alors que Stevenson et Perceval vont apposer leur signature, le Français qui vient de recevoir un billet de Margaret le renseignant sur la valeur de son bien décide de différer la vente. Stevenson de dépit part pour le casino ; Robert est plus amoureux que jamais de sa belle américaine lorsque Hélène fait son retour ; elle doit se cacher à la vue de son mari ; ce dernier vient réclamer des comptes à Robert ; mais lorsqu’il croit surprendre sa femme, Ketty sauve la situation en se montrant sous les traits de Margaret ; Robert la retient ; aidé par Julia et Harris il parvient à passer la nuit avec elle.

Acte III

Au lever du rideau dans le même décor Ketty repense à la nuit délicieuse qu’elle vient de vivre mais qu’elle veut oublier ; Julia prie que pareille aventure lui arrive. Alors que Robert revient sur la soirée, Julia et Harris le persuadent qu’il a rêvé. Le Barrois qui a bien vu une femme la veille chez Robert le rassure sur la réalité de sa rencontre ; de son côté Ketty dissuade Hélène de parler. C’est alors que Stevenson rentre du casino totalement changé ; l’état euphorique que lui procure l’ivresse et l’abandon du « régime sec » l’amènent à révéler le prix de son terrain à Robert ; mais surtout lorsqu’il découvre que sa femme qui ne fait qu’une avec la nièce supposée que Robert lui demande en mariage il décide de divorcer pour tout arranger ; Robert pourra aimer Ketty ; c’est avec Julia que Stevenson repartira

La partition

Acte I : Introduction, ensemble et légende (Ketty) ; « Il ne faut pas croire aux serments de femmes » (Ketty, Stevenson) ; « Si l’Amérique est le plus grand pays du monde » (Stevenson) ; « L’amour est un oiseau rebelle » (Julia) ; « Pour sortir en toutes saisons » (Hélène) ; « Dès que l’âge » (Hélène, Ketty, Robert) ; « Allons soyez raisonnable » (Ketty, Robert)

Acte II : « Ah, Madame » (Hélène) ; « Je lui ai dit » (Ketty, Robert) ; Chanson du petit bateau (Julia, Harris, Ketty, Robert Stevenson) ; « Laissez-moi hausser les épaules » (Julia) ; « Passionnément » (Robert) ; « De grâce, n’oubliez personne » (Julia) ; « Si vous le savez mieux que nous » (Robert, Ketty, Julia, Harry)

Acte III : « J’adore mon mari » (Hélène) ; « Maintenant, je suis un autre homme » (Stevenson) ; Final « Le bon et le doux vin de France » (Ketty, Robert, Stevenson)

— Fiche technique

Passionnément
Opérette en 3 actes de Maurice Hennequin et Albert Willemetz. Musique d’André Messager.
Création à Paris, théâtre de la Michodière, le 15 janvier 1926. Avec :
Jeanne Saint-Bonnet (Ketty), Denise Grey (Julia), Renée Duler (Hélène), Géo Bury (Robert Perceval), Koval (Stevenson), Lucien Baroux (Harris), Charles Lorain (Le Barrois), Carette (Auguste), Saint-Ober (John)

Discographie

Intégrale

Lina Dachary, Christiane Harbell, Aimé Doniat, Dominique Tirmont. Orch. Jean-Paul Kreder
Musidisc 201352 (2CD) (+ pages des P’tites Michu)

Anne Béranger, Christian Borel, Jean Raymond, Mathé Altéry, Jeannette Batti, Robert Destain, Dominique Tirmont
RTF 1959 

Véronique Gens, Nicole Car, Chantal Santon-Jeffrey, Etienne Dupuis, Eric Huchet, Armando Noguera. Orch. Stefen Blunier
Palazzetto Bru Zane BZ1044

Références

Vous retrouverez  Passionnément  dans « Opérette » n° 81, 84, 130, 167, 169, 170 & 174.. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »

Dernière modification: 29/02/2024

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