Méditerranée, Marseille (Odéon)
samedi 25 mai 2024

Méditerranée, Marseille (Odéon)

“Méditerranée”, Perrine Cabassud et Juan Carlos Echeverry ( © Christian Dresse)

La genèse

Contrairement à ce que d’aucuns peuvent imaginer, le Châtelet ne fut pas le seul théâtre à afficher les opérettes du tandem Francis Lopez/ Raymond Vincy. C’est en effet le Casino Montparnasse qui accueillit La Belle de Cadix en 1945 (puis en 1950 à l’Empire) alors qu’Andalousie eut pour cadre La Gaîté Lyrique en octobre 1947. Pour Don Carlos, le Châtelet ouvrit ses portes en décembre 1950 avant que le succès le plus fameux, celui du Chanteur de Mexico, ne s’installe pour trois ans dans cette salle mythique.

Nous n’évoquons ici que les opérettes dites « à grand spectacle » qui eurent un incontestable retentissement en ignorant volontairement – pour les seuls besoins de la cause – les opérettes aux dimensions plus « modestes » et qui, pour autant, ne manquent pas d’intérêt. Luis Mariano illustra, bien entendu, le genre avant de céder sa place, toujours au Châtelet dirigé par l’emblématique Maurice Lehmann, à André Dassary pour La Toison d’Or en décembre 1954.

Un an plus tard, en décembre 1955, une nouvelle création, Méditerranée, était le fruit d’une longue amitié entre Francis Lopez et Tino Rossi. Maurice Lehmann avait en effet pensé à célébrer la Corse et ceci avait conforté l’idée du compositeur et du directeur d’employer une des vedettes alors parmi les plus populaires de France. Au rang des interprètes engagés figurait en outre le sympathique et talentueux Fernand Sardou incarnant le rôle d’un curé de village Corse : le Père Padovani. Comme de coutume, Maurice Lehmann assurait la fastueuse mise en scène du spectacle.

Méditerranée tint l’affiche pendant deux années (572 représentations). Ce fut le ténor Rudy Hirigoyen qui remplaça, dans le rôle de Mario Franchi, Tino Rossi, et Francis Lopez écrivit pour la circonstance une nouvelle chanson : « Les Baléares » qui vint remplacer « Les Muletiers ». La partition fut révisée pour la mettre en adéquation avec la voix de Rudy Hirigoyen et c’est ainsi que pour sa prise de rôle, Francis Lopez l’adapta pour un ténor dont il connaissait la brillance vocale et la facilité dans l’aigu.

Parmi les critiques de l’époque, on peut notamment relever celle parue dans « Combat » sous la plume de Maurice Fiantar : « Je n’ai pas toujours aimé les partitions de Francis Lopez. Celles qui concourent au succès de Méditerranée sont excellentes. Elles traduisent avec subtilité, nuançant la diversité latine, et par là même, vont au-delà de la simple musiquette… sans pour autant cesser d’être populaires ».

L’argument

Le sujet de cette opérette est une croisière autour de la Méditerranée, de la Corse à Tanger en passant par la Sardaigne et les Baléares. Il y a quelques vingt tableaux différents, allant des studios parisiens aux pittoresques villages Corses avec les Calanques de Piana, le Port de Saint-Florent, la maison d’Annonciade, le cabaret à Ajaccio ainsi que les agrestes collines du maquis, la fête des Moulins aux Baléares, etc.

Acte I. Lors d’une émission télévisée, avec le concours de Mario Franchi, célèbre vedette du tour de chant, Juliette Germont, lauréate du concours organisé pour l’occasion, est invitée à participer à une croisière en Méditerranée, sur le yacht de Monsieur Dubleu. Mario Franchi, Conchita Cortez, une riche sud-américaine qui poursuit le chanteur de ses assiduités, et Mimile, un copain de Juliette, sont parmi les invités de cette « Croisière» qui fera escale en Corse, en Sardaigne, aux Baléares, pour se terminer à Monte-Carlo.

Profitant de l’escale en Corse, Mario rend visite à sa famille et à ses amis. Il retrouve ainsi sa mère, son frère cadet Mattéo et la fiancée de celui-ci, la jolie Paola, sans oublier le Père Padovani, le sympathique curé du village. Paola se dispute avec Mattéo, auquel elle reproche ses fréquentations douteuses. Effectivement, le jeune homme, croyant participer à un petit trafic de cigarettes, met sa barque à la disposition de trafiquants d’armes. Accusé de meurtre, Mattéo prend le maquis sur les conseils de son frère, lequel est bien décidé à découvrir le véritable coupable. Certains indices troublants lui font soupçonner Monsieur Dubleu. Mario se promet donc de surveiller les faits et gestes de ce dernier, tout au long de la croisière

Acte II. L’arrivée de Mario, si prévenant pour elle, a troublé Paola. De plus, elle en veut à Mattéo de n’avoir pas suivi ses conseils. Pour sa part, le chanteur n’est pas insensible au charme de cette jeune fille toute simple. Mario poursuit son enquête, et finit par découvrir que le véritable responsable de cette affaire douteuse, n’est pas Dubleu, mais le capitaine du yacht sur lequel se déroule la croisière.

L’explosion du navire et l’arrestation des coupables lavera Mattéo de tout soupçon. Le Père Padovani aidera Mario à comprendre où est son devoir. Paola, de son côté, se rend compte que sa vie est au village, près de Mattéo. Juliette épousera Mimile, tandis que Mario repartira vers la gloire, accompagné par Conchita.

La représentation à l’Odéon

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au premier plan : Dominique Desmons, Estelle Danière, Juan Carlos Echeverry, Perrine Cabassud (© Christian Dresse)

Comme toutes les autres opérettes à grand spectacle qui ont été représentées à l’Odéon, il a été tenu compte des spécificités et dimensions du plateau. Sans pour autant viser à l’abstraction, en ces lieux la scénographie doit en effet être simplifiée.
Carole Clin, s’appuyant sur le concours précieux des équipes du théâtre marseillais, parvient néanmoins à créer des tableaux évocateurs avec l’appui de projections suggestives, permettant de rapides changements sans le moindre temps mort entre chaque tableau, donnant ainsi à l’œuvre un aspect cinématographique.
On peut donc assister à une croisière fluide et dynamique autour de la Méditerranée et jouir des escales qui sont ménagées tout au long du trajet du yacht, L’Oiseau Bleu. La metteuse en scène retient les passages essentiels du livret, de telle sorte qu’elle ne trahit absolument pas l’action, tout en allant à l’essentiel de celle-ci et en conservant de ce fait, un rythme soutenu.

Comme de coutume, on trouve à l’Odéon des artistes que le public marseillais affectionne tout particulièrement.
En tête de distribution, Juan Carlos Echeverry, qui servit sur cette même scène nombre d’œuvres de Francis Lopez, notamment A La Jamaïque, Le Prince de Madrid, Gipsy…Il est l’un des rares chanteurs en France à pouvoir reprendre des rôles de ce type très marqués par les interprètes de l’époque (particulièrement Luis Mariano) tout en apportant cette note à la fois piquante et exotique doublée du charme particulier d’un timbre spécifique auquel s’ajoute une indéniable habileté à jouer la comédie et à danser. Cette aura n’appartient pas à tous, mais en l’occurrence le ténor franco-colombien possède incontestablement tous ces atouts pour pareil répertoire.
À ses côtés, gravitent deux personnages féminins à la psychologie différente : la sage Paola, jeune insulaire hésitant entre son fiancé Mattéo et le brillant chanteur Mario. Elle est ici incarnée avec beaucoup de sobriété mais néanmoins de tempérament par Perrine Cabassud qui possède une voix ample et colorée de soprano, en parfait contraste avec la volcanique Conchita Cortez d’Estelle Danière.

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Jean-Claude Calon et Simone Burles (© Christian Dresse)


Jean-Claude Calon véritable « gloire » de l’opérette continue vaillamment à défendre le genre depuis des décennies. Outre les très nombreux emplois dans lesquels il brilla sur toutes les scènes, le Père Padovani, pittoresque curé Corse, constitue pour lui une prise de rôle. Les dialogues qui ont été écrits pour ce personnage paraissent tout droit sortis de la plume de Marcel Pagnol et parlent évidemment au public Marseillais avec un air particulièrement savoureux : « Les paroissiens de mon village ».
On pourrait considérer Fabrice Todaro et Julie Morgane comme des artistes en troupe (mais n’est-ce pas la caractéristique d’un théâtre bastion de l’opérette comme celui de l’Odéon ?) tant ils sont familiers au public qui ne manque jamais de leur réserver un succès particulièrement mérité. Leur aisance en scène, leur habitude de l’opérette comme de la comédie musicale, font ici merveille dans les rôles de Mimile et de Juliette.

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Julie Morgane, Fabrice Todaro et Claude Deschamps (© Christian Dresse)


Claude Deschamps dont on ne saurait dénombrer les rôles à son actif, se glisse avec une gourmandise évidente dans un inénarrable gendarme Cardolacci, tandis que Simone Burles confère toute sa gouaille à Annonciade. Une mention tout à fait spéciale au Matteo si finement dessiné par Grégory Juppin avec beaucoup de justesse.
Tous les autres rôles sont tenus avec bonheur par des habitués de ce théâtre et nous voudrions en fin de cette saison, riche de sept titres, louer tout particulièrement l’excellent chœur sous la direction enthousiaste de Rémy Littolff qui, tout au cours de la saison, permettent de s’appuyer sur des valeurs sûres. Saluons également, comme il se doit, la chorégraphie de Maud Boissière et ses danseuses et danseurs, à juste titre applaudis. À la baguette de l’Orchestre de l’Odéon, Bruno Conti offre le gage d’un artiste maîtrisant parfaitement ce répertoire auquel il rend justice avec brio.

Christian Jarniat
Le 25 mai 2024

Fiche technique
Direction musicale : Bruno Conti – Mise en scène :  Carole Clin – Chorégraphie : Maud Boissière – Décors : Loran Martinel – Costumes : Opéra de Marseille.
Avec : Perrine Cabassud (Paola) – Julie Morgane (Juliette) – Simone Burles (Annonciade) – Estelle Danière (Conchita Cortez) – Sabrina Kilouli (la maquilleuse/ la fiancée d’Angelotti) – Juan Carlos Echeverry (Mario Franchi) – Fabrice Todaro (Mimile) – Jean-Claude Calon (le Père Padovani) – Claude Deschamps  (Cardolacci) – Dominique Desmons (Dubleu) – Grégory Juppin (Matteo) –Jean-Luc Épitalon (le Producteur/ Angelotti/ Le Capitaine) – Jean Goltier (l’acteur/ Joseph/ Charlot/ 2ème Curé.
Chœur Phocéen, Orchestre de l‘Odéon.

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La troupe de “Méditerranée” (© Christian Dresse)
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