Jacques Offenbach (1819-1880)
Si à l’automne 1870, la France pouvait entendre un bruit de bottes tristement célèbre, quelques mois plus tôt, très exactement le 10 décembre 1869, ce n’était, au Théâtre des Variétés, que celui des carabiniers du Duc de Mantoue… et du célèbre trio Offenbach, Meilhac et Halévy. Après le succès de La Périchole (seconde version) un an plus tôt, Offenbach avait subi deux échecs avec Vert-Vert (à l’Opéra-comique) et La Diva. Mais en cette fin d’année 1869, il avait mis les bouchées doubles : il fait créer le 7 décembre La Princesse de Trébizonde aux Bouffes-Parisiens (une version remaniée et agrandie de celle donnée à Baden-Baden en juillet précédent), puis le 10, Les Brigands aux Variétés et le 11 La Romance de la Rose (un acte reposant sur la célèbre ballade « La dernière rose de l’été ») toujours aux Bouffes.
C’est au cours de l’été 1869, alors Qu’Offenbach se rendait depuis Nice vers Baden-Baden, via Gênes que ces Brigands furent commencés. Comme d’habitude il ne cesse de harceler ses librettistes pour qu’ils lui fassent parvenir d’urgence les textes qu’ils ont mis sur pied. La partition est pratiquement achevée après son séjour dans sa villa d’Etretat, mais comme toujours, il fera, au cours des répétitions, de nombreuses modifications et des « petites coupures ».
Les Brigands entrent alors en répétitions, mais cette fois, Hortense Schneider ne figure pas sur l’affiche : après l’échec de La Diva où son final avait été sifflé, elle était partie pour l’Egypte retrouver son royal amant Ismaïl Pacha. C’est donc Zulma Bouffar qui hérite du rôle travesti de Fragoletto ; les autres principaux rôles sont tenus par Mlle Aimée (Fiorella), José Dupuis (FaIsacappa), Léonce (le caissier Antonio), et Baron (le chef des carabiniers).
L’ouvrage est acclamé dès sa création et ce n’est que justice : le livret est l’un des plus savoureux qu’aient jamais écrit Meilhac et Halévy, plein de gaieté, de rebondissements et émaillé d’expressions qui n’ont point perdu de leur actualité, tel « Il faut voler selon la position que l’on occupe dans la société… ». Les contemporains pouvaient d’ailleurs y reconnaître des allusions à des personnages bien connus, comme, dans le caissier, le banquier Mirès, qui venait d’avoir des démêlés retentissants avec la justice, ou l’entourage de l’impératrice dans les couplets :
« Il y a des gens qui se disent espagnols
Et qui ne sont pas du tout espagnols ».
La musique ne le cède en rien, bien, au contraire. Offenbach s’en expliquait lui-même dans une lettre à Meilhac et Halévy : « Je te demande des situations à mettre en musique et non pas des couplets comme dans Le Château à Toto ou La Diva. Le public se fatigue des petits refrains et moi aussi ». Et il est bien vrai que Les Brigands sont un authentique opéra-comique. Tout serait à citer dans cette partition (près de 400 pages dans la version chant-piano !) depuis l’air de Fiorella et le grand final du 1er acte, le chœur d’entrée en canon et le duo du notaire du 2° acte, ou l’air du caissier du 3° acte.
Joués sans interruption jusqu’à la clôture annuelle de l’été 1870, Les Brigands font aussi la réouverture le 2 août, mais hélas, les Variétés, comme tous les théâtres, sont de nouveau fermées le 14 août : la guerre vient d’éclater.
La carrière des Brigands n’en sera pas pour autant arrêtée : on peut en effet les retrouver dès le 24 septembre 1870 à… Berlin ! Puis, dans le monde entier : à Vienne et New York dès 1870, Londres en 1871, Milan en 1872, etc. On trouve également des versions en hongrois, finlandais, tchèque ou norvégien ! Du vivant d’Offenbach, l’œuvre sera reprise en 1878 à la Gaîté, dans une version à grand spectacle avec des tableaux magnifiques et deux ballets : on pouvait compter au final pas moins de 300 figurants !
Les Brigands méritent au même titre que La Belle Hélène, Orphée aux Enfers, La Grande Duchesse, La Vie Parisienne ou La Périchole, de figurer au « hit-parade » des œuvres de Jacques Offenbach. Et pourtant, la postérité les a quelque peu oubliés ces dernières décennies. On notera toutefois une version musicalement excellente de l’Opéra de Lyon en 1988, mais très contestable au niveau scénique, les belles représentations de l’Opéra de Metz (1983), du Grand-Théâtre de Genève (1986) et de l’Opéra Bastille (production du Nederlandse Opera,1992), cette dernière ayant été reprise par plusieurs grandes scènes.
— L’argument
Acte I : Une forêt sombre dans la montagne
Dans le repaire de Falsacappa, célèbre chef de brigands et terreur des honnêtes gens, le moral est au plus bas. Les « affaires » vont mal et les bandits s’en plaignent à leur chef. Celui-ci jure sur la tête de sa fille Fiorella, qu’il aura une idée à l’occasion du mariage annoncé du duc de Mantoue et de la princesse de Grenade. Voici justement la belle Fiorella. Comme c’est aujourd’hui le jour de la fête de son père, elle lui offre en cadeau un portrait où elle apparaît en princesse. Cadeau essentiel pour la suite de l’histoire ! Digne fille de Falsacappa et appréciée des brigands en tant que telle, la belle avoue à son papa que le doute s’est insinué dans son esprit, qu’elle a des velléités d’honnêteté et que le jeune fermier Fragoletto, récemment dévalisé, a fait une profonde impression sur elle.
Arrivée de quelques bandits avec un prisonnier qui n’est autre que… Fragoletto. Les deux jeunes gens se reconnaissent avec émotion. Le fermier assure qu’il est venu de son plein gré, qu’il souhaite s’enrôler dans la bande afin d’obtenir de Falsacappa la main de sa fille. Joie de Fiorella et embarras du chef qui exige d’abord que Fragoletto fasse ses preuves. Voilà donc ce dernier parti dans la montagne accompagné des brigands. Ils ont à peine disparu qu’apparaît un fort bel homme, richement vêtu que Fiorella dévisage avec un certain intérêt. C’est le duc de Mantoue lui-même… Tandis que Pietro, le bras droit du chef, court chercher ses compagnons, la jeune fille, toujours sous le charme, conseille au nouveau venu de se sauver au plus vite… Peu après Falsacappa ne peut qu’apercevoir au loin le fugitif et regretter le comportement inhabituel de sa fille.
Le reste de la bande arrive à son tour avec, en bonne place, Fragoletto, qui a fait une belle prise : un courrier de cabinet. En fouillant dans la malle du prisonnier, on apprend que Mantoue remettra à l’envoyé de Grenade, une somme de trois millions dès l’arrivée de la Princesse au Palais de son futur. Falsacappa, malgré les protestations de la bande, rend la liberté au courrier de cabinet, non sans avoir au préalable remplacé dans la malle le portrait de la Princesse par celui de sa fille. Affaire à suivre…
Fragoletto est admis dans la bande selon le rituel des brigands ; il échange avec Fiorella des serments de fidélité et la fête commence ! Fête joyeuse, interrompue plusieurs fois par le passage des carabiniers qui constatent que tout est calme…
Acte II : Une auberge à la frontière entre l’Espagne et l’Italie (!)
L’hôtelier, sa famille et ses marmitons attendent l’ambassade de Grenade. Avant celle-ci, une horde de mendiants se présente : c’est Falsacappa et sa bande qui investissent l’établissement et enferment le tenancier et les siens. Puis il s’assure du concours de Fiorella en promettant de lui donner Fragoletto pour époux. Les brigands empruntent les tenues de leurs prisonniers et le scénario imaginé par Falsacappa se déroule à peu près normalement malgré quelques maladresses de ses troupes qui devront suivant leurs interlocuteurs, changer de tenue et d’identité.
Ainsi, les carabiniers et l’envoyé du duc de duc de Mantoue, puis la Princesse et les membres de l’ambassade de Grenade (dont son page favori) seront à leur tour enfermés les uns dans la cave à vin, les autres dans l’auberge. Falsacappa et sa bande revêtent les habits des gens de Grenade et s’en vont hardiment à la conquête de trois millions, avec en tête Fiorella promue Princesse.
Acte III : Au Palais de Mantoue
C’est le petit matin. Le duc fête avec ses favorites sa dernière nuit de célibataire. Il contemple le portrait de sa future épouse qui lui rappelle sa rencontre avec la fille du bandit. Puis il convoque le caissier Antonio : celui-ci lui assure que le versement de trois millions se fera sans problème. Vilain mensonge, car Antonio a dilapidé les fonds avec de petites femmes.
Arrivée bruyante de la fausse et originale délégation de Grenade. Surprise des Italiens, trouble du duc à la vue de Fiorella. On se sépare pour quelques instants.
Tandis que les brigands entreprennent le cambriolage du Palais, Falsacappa et le caissier s’entretiennent des trois millions. Fureur du bandit qui comprend vite qu’Antonio n’a pas le sou. Cris, clameurs, retour du Prince… et arrivée d’une seconde ambassade de Grenade. Falsacappa est démasqué. Lui et ses hommes seront pendus. Fiorella apparaît, rappelle au Prince qu’elle lui a sauvé la vie et demande grâce. Ce Prince est bon prince et il accorde l’amnistie. Les brigands rentreront dans le droit chemin (pour combien de temps ?) ; Gloria Cassis et Antonio en coquins d’un autre milieu se comprendront parfaitement, Fiorella épousera Fragoletto ; Le duc, après quelques jours de fidélité, retrouvera ses favorites ; la Princesse se consolera avec son page favori. La vie continue !
— La partition
Acte I
Ouverture, Introduction « Le cor dans la montagne », chœur des brigands, entrée de Falsacappa « Oui, c’est moi, c’est Falsacappa » ; Couplets de Fiorella « Ah ! C’est Fiorella la brune » ; Ensemble « Nous avons pris ce petit homme » ; Couplets de Fragoletto « Quand tu me fis l’insigne honneur » ; Rondo de Fiorella « Après avoir pris à droite » ; Saltarelle « Falsacappa, voici ma prise » (Fragoletto et chœur des brigands) ; Final I : Chœur de la réception « Jure d’avoir du courage », « Vole, vole, pille, vole », « Et maintenant faisons ripaille », chœur des carabiniers, strette.
Acte II :
Introduction, chœur « Les fourneaux sont allumés » ; Canon « Soyez pitoyables » ; Duetto du notaire (Fiorella, Fragoletto) ; Trio des marmitons (Fragoletto, Falsacappa, Pietro) ; Ensemble « A nous, holà ! les marmitons » ; Chœur « Dissimulons » et couplets de l’ambassade « Nous avons ce matin tous deux » (Campo Tasso, le capitaine) ; Chœur « Entrez là », Chœur des espagnols et couplets de Gloria Cassis « Ah ! y’a des gens qui se disent Espagnols » ; Couplets de Fiorella « Vraiment je n’en sais rien » ; Final II : Chœur « Entrez-là », « Sans trompette ni tambour », « Falsacappa, Falsacappa », « Tremblons, tremblons », « Nous sommes les carabiniers ».
Acte III :
Chœur de fête et couplets du Prince « Jadis régnait un Prince » ; Couplets du caissier « O mes amours, O mes maîtresses » ; Morceau d’ensemble « Voici venir la Princesse et son page » ; Final III : « Coquin, brigand, traître, bandit ! », « Y’a des gens qui se disent Espagnols », « C’est Fiorella la brune », « Les bottes des carabiniers ».
— Fiche technique
Les Brigands
Opéra bouffe en 3 actes de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de Jacques Offenbach.
1° version : création à Paris, théâtre des Variétés, le 10 décembre 1869. Avec :
Zulma Bouffar (Fragoletto), Mlle Aimée (Fiorella), Dupuis (Falsacappa), Kopp (Pietro), Baron (chef des carabiniers), Lanjallais (duc de Mantoue), Léonce (le caissier)
2° version : création à Paris, théâtre de la Gaîté, le 25 décembre 1878. Avec :
Mme Peschard (Fiorella), Mme Grivot (Fragoletto), Louise Lynnès (la Princesse), Christian (Falsacappa), Grivot (Pietro), Lanjallais (duc de Mantoue), Léonce (le caissier)
Editions Chappell
— Discographie
Intégrale
Colette Alliot-Lugaz, Tibère Raffalli, Bernard Pisani, Jean Luc Viala. Direction musicale, John Eliot Gardiner
Emi CDS 7 49830 2 (2CD)
Willy Clément, René Lenoty, René Hérent, Duvaleix, Jean-Christophe Benoît, Gaston Rey, Michel Hamel, Pierre Germain, Jacques Pruvost, Pierre Saugey, Genio, André Vessières, Denise Duval, Germaine Parat, Jacqueline Cauchard, Janine Lindenfelder, Huguette Prudhon . Orch. : Jules Gressier
RDF 1953
Sélections
Eliane Manchet, Dominique Tirmont, Micaël Piéri, André Mallabrera. Direction musicale, Jean Doussard
Vega 16 251 ou Decca SSL 40231 (bande originale du film TV)
Danielle Perriers, Hélène Vanura, Robert Manuel, Christophe Kotlarski. Direction musicale, Daniel Mourruan
Milan SLP 84 repris en 1CD Bourg BCG 15
Colette Alliot-Lugaz, Tibère Raffalli, Bernard Pisani, Jean Luc Viala. Orch. John-Eliot Gardiner
Sélection du Reader’s Digest CD 3159.10 (extraits intégrale EMI) (3 CD) (+ La Périchole + La Grande Duchesse de Gérolstein)
— Références
Vous retrouverez Les Brigands dans « Opérette » n° 46, 63, 89, 90, 112, 152, 153 & 159. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
Dernière modification: 27/02/2024