Gérard Calvi (1922-2015)
Âgé de 70 ans en 1965, Maurice Lehmann décide d’abandonner la direction du théâtre du Châtelet qu’il dirigeait depuis 1928. Dans son ouvrage « Trompe l’Oeil » (1), il explique que le travail qu’il accomplissait au Châtelet ne l’amusait plus, découragé qu’il était par une certaine catégorie de public, qui ne voulait pas reconnaître que Paris avait besoin d’un théâtre de divertissement populaire qui ignore les messages quels qu’ils soient. C’est l’échec de Eugène le Mystérieux (1964), sa deuxième tentative, après La Polka des Lampions, de faire évoluer le répertoire, qui le convainc de prendre cette décision :
« En effet, un problème assez grave allait se poser ; où trouver de nouvelles vedettes ? Il n’y a malheureusement plus de vrais chanteurs d’opérette. Mariano, Guétary, Dassary n’ont pas fait d’émules. La relève n’est plus possible. Il n’y a plus que des chanteurs de music-hall accrochés à leurs micros, et incapables d’interpréter dramatiquement et vocalement, bien entendu, un véritable ouvrage théâtral » (1)
Maurice Lehmann ne manque pas sa sortie : sa dernière création, Monsieur Carnaval est un franc succès et se joue de décembre 1965 à février 1967. Maurice Lamy, son successeur, en revient hélas à une programmation trop traditionnelle, alors qu’il fallait s’adresser »à une nouvelle clientèle, sans tout de même effaroucher l’autre » (1). Évoluer, donc !
C’est donc au tout début des années soixante, au moment où les « yé-yé » envahissent les médias que Maurice Lehmann a le mérite, une fois de plus, de s’adapter au goût des spectateurs.
Une reprise de L’Auberge du Cheval Blanc (1960) lui donne le temps de préparer son affaire. Et, le 16 décembre 1961, le Tout Paris applaudit La Polka des Lampions, comédie musicale de Marcel Achard (livret) et Gérard Calvi (musique) très librement inspirée du film Certains l’aiment chaud.
« Le succès de cette « polka » surprit tout le monde. Auteur, compositeur, directeur espéraient bien une réussite, mais elle dépassa les prévisions les plus optimistes. La pièce était gaie et d’une audace relative… L’interprétation était, faut-il le dire, au-dessus de tout éloge avec Georges Guétary à la voix étendue et bien posée, avec Jean Richard un comique plein de tact, possédant lui aussi, dans un registre plus grave, une voix sympathique et bien exercée, avec Nicole Broissin, divette d’opérettes, agréable, et une nouvelle venue (du moins pour la comédie musicale), Annie Duparc, découverte par Marcel Achard au music-hall … » (2).
Parmi les numéros musicaux, le « Cha Cha Cha Charleston », l’air titre « La Polka des Lampions », « Enfin voici l’amour », « Tous les hommes sont idiots », « Le petit vin de la butte » et le Tango de la prohibition sont particulièrement applaudis.
La Polka des Lampions se joua 534 fois à la création. Malgré son succès, elle ne fit pas carrière en province. Un ouvrage à redécouvrir mais qui exige une distribution exceptionnelle.
Jean-Claude Fournier
(1) « Trompe l’Oeil » par Maurice Lehmann – Edition de la Pensée Moderne, 1971.
(2) « Histoire de l’Opérette en France » par Florian Bruyas (Emmanuel Vitte, 1974).
— L’argument
Acte I
À Deauville en 1925, devant le bar du Soleil. Deux jeunes musiciens, Charles Courtois et Blaise Charignon sont dans une situation financière que tout autre qu’eux jugerait désespérée : leur fortune totale s’élève à 35 centimes ! Ils apprennent que l’impresario Marcassini recherche un trombone et une guitare. Les deux amis se croient sauvés, mais hélas, mille fois hélas, les instrumentistes exigés doivent être des femmes. L’engagement doit durer un an pour une magnifique tournée autour du monde.
Charles et Blaise décident donc de se travestir… Ils sont engagés et font la connaissance du chef de l’orchestre « Les Cigales de Montmartre », Marie Prévost et de sa pianiste Nicole. Charles devient Charlotte et Blaise, Rose. En route pour l’Amérique ! Un certain Carolinski s’est joint à la compagnie… Cette Marie est bien belle, les deux copains craquent pour elle. Charlotte s’invente un cousin à New York et, arrivé(e) sur la terre ferme, reprend ses habits masculins pour rencontrer, pas tout à fait par hasard, Marie. Il lui fait une cour empressée à laquelle la jeune fille n’est pas insensible.
Toute la troupe se retrouve au « Speakeasy », une cave assez mal famée qui se croit un bar. Les filles de l’orchestre précèdent l’arrivée de Charles et de Marie. Moment fort de la pièce, le « Tango prohibition » dansé par le couple Charles-Rose.
À la Nouvelle-Orléans, coup de théâtre. Une conversation nous apprend que Carolinski est en réalité un détective du nom de Durand, qui cherche à démasquer l’une des musiciennes (Marie sans doute) suspectée de transporter de la drogue. Le « cousin » Charles a rejoint l’orchestre et continue de lutiner Marie… De son côté, le frère de Rose, Blaise (mais oui, Rose a un frère outre-atlantique tout aussi réel que le cousin de Charlotte) apparaît et sans façon « drague » Marie, tandis que la jolie Nicole est subjuguée par l’arrivant (il faut savoir qu’elle est myope comme une taupe). Le couple Charles/Charlotte et Blaise/ Rose se chamaille à qui mieux mieux, ce dernier se chargeant de le brouiller avec Marie. Marcassini les convainc, moyennant finances, de jouer les majorettes à la Convention républicaine et démocrate…
Acte II
De la drogue est saisie dans les bagages de Marie qui se retrouve devant le Tribunal. Séance tragi-comique. Tour à tour, Blaise et Charlotte viennent également s’accuser. Puis Charles arrive et fait libérer Marie en payant sa caution avec l’argent de… Blaise. Ce dernier se rend compte que Marie lui préfère Charles et il sombre dans l’alcool pour oublier.
La supercherie des fausses donzelles finira par être découverte. Et c’est à la Martinique que se poursuit la comédie où Durand essaie de démasquer nos deux héros considérés comme les deux gangsters de la drogue. Retour en France où Blaise et Charles, appréhendés par la police, passent des heures fort peu agréables en prison. Mais le véritable coupable finit par être découvert : il s’agit de Marcassini. Et la comédie s’achève à la butte Montmartre où les couples se formeront : Charles et Marie, Blaise et Nicole.
— La partition
Acte I : Ouverture ; Ensemble de la gymnastique (chœurs) ; Demain ça ira (Charles et Blaise) ; « La polka des Lampions » (le chanteur des rues, Marie) ; « Tous les hommes sont idiots » (Marie) ; Réminiscence « Tous les hommes sont idiots » (Charlotte, Rose) ; « Cha cha cha Charleston » (Marie) ; « Marie et Charles » (Charles) ; « Tango-prohibition » (Charles et Blaise) ; « Enfin, voici l’amour » (Nicole) ; Reprise « Tous les hommes sont idiots » (en Espagne, Au Tyrol, en Russie, en Extrême-Orient, À la Bastoche, Cancan) ; Final I
Acte II : « Quelles qu’elles soient » (Charles) ; « Je suis un rigolo » (Blaise) ; Ballet classique ; « L’amour c’est quelqu’un » (Marie) ; « Doudou à moi » (Charles et Blaise) ; « Le petit vin de la butte » (Nicole) ; Final II
— Fiche technique
La Polka des lampions
Comédie musicale à grand spectacle en 2 actes et 20 tableaux de Marcel Achard, musique de Gérard Calvi. Mise en scène de Maurice Lehmann ; direction musicale de Félix Nuvolone ; maquette des décors et costumes de Raymond Fost ; maquette du décor et des costumes du final de Montmartre de Dignimont ; ballet de Louis Orlandi; collaboration artistique de Dirk Sanders; décors exécutés par Raymond Deshays et Pelegry. Création à Paris, théâtre du Châtelet, le 16 décembre 1961. Avec :
Annie Duparc (Marie), Nicole Broissin (Nicole), Georges Guétary (Charles), Jean Richard (Blaise), Jeanne Serval (Emilie), Danny Califano (Dora), Lyne Barel (Gina), Sergine Kay (Michèle), Sam-Max (Le vieux monsieur, le juge, le metteur en scène), Michel Mayou (Octave), Guy Loyal (le chanteur des rues, l’avocat), Daniel (Marcassini), Cousin (un garçon), Jacques Dynam (l’Inconnu).
Éditions Chappell et Gérard Calvi
— Discographie
Annie Duparc, Nicole Broissin, Georges Guétary, Jean Richard. Direction musicale, Félix Nuvolone (Châtelet, 1961)
1 vinyl 33T 30cm EMI ATX 139
Dernière modification: 02/03/2024