Jacques Offenbach (1819-1880)
1867. L’Empire est à son apogée. L’exposition ouvre ses portes à Paris le 1er avril et le public va pouvoir admirer les progrès du commerce et de l’industrie. Les visiteurs, notamment les étrangers, viennent aussi pour se distraire, et fréquenter les théâtres, les restaurants, les petites femmes…
Jacques Offenbach est au sommet de sa gloire. Le triomphe de La Belle Hélène (1864) et de La Vie Parisienne (1866) sont encore dans tous les esprits. À la fin de 1866, Offenbach et ses deux complices, Meilhac et Halévy, se mettent au travail et préparent La Grande Duchesse de Gérolstein qui est présentée sur la scène des Variétés au moment de l’ouverture de l’exposition.
Avec cet opéra bouffe, Offenbach et ses auteurs parodient, sous une apparence frivole, les petites cours européennes et l’Armée, ou plutôt l’esprit militaire déformé et l’amour immodéré du galon. Après la malheureuse expédition du Mexique (1862-1867) et la défaite de l’Autriche à Sadova (1867), les critiques contenues dans La Grande Duchesse prennent plus d’importance qu’il n’y paraît au premier abord.
Les répétitions se déroulent dans de bonnes conditions. Hortense Schneider, satisfaite de son rôle, contrôle ses nerfs et
ne crée pas d’incident grave. Par contre, au moment du lever du rideau de la première représentation, elle apprend que la censure estime que le Grand Cordon et la Croix fantaisistes qu’elle doit arborer sur son costume, risquent de faire affront à l’Empereur. On la prie de retirer ces décorations. La jeune femme se fâche, sanglote, refuse de jouer… Offenbach, sans perdre la tête, ordonne au chef d’orchestre d’attaquer l’ouverture. Quelques instants plus tard, Hortense entre en scène, les yeux séchés, le sourire aux lèvres, et sans le Cordon. Certes, certains historiens restent sceptiques sur la véracité de cette anecdote. Légende ou pas, on pouvait, l’année suivante admirer le portrait de la diva, peint par Pérignon où, sur son costume, elle arborait fièrement sa belle décoration.
Après quatre représentions, les auteurs font des ajustements notables (en coupant tout le final du second acte), et dès lors Paris fait un accueil triomphal à La Grande Duchesse, à Offenbach, Meilhac, Halévy et Hortense Schneider qui devient la véritable reine de Paris. Un défilé d’Empereurs, de Rois, de Princes de tous les pays viennent l’acclamer et lui présenter leurs hommages. Ces têtes couronnées la traitent comme une véritable Grande Duchesse. Ils sont tellement nombreux ces rois, à lui faire la cour, que la chronique scandaleuse s’en donne à cœur joie. Léa Silly, son ennemie intime (avec laquelle elle s’était sans cesse disputée au moment de La Belle Hélène), surnomme Hortense « le passage des princes ». Méchant peut-être, mais sans doute pas toujours faux. et bientôt, La Grande Duchesse sera jouée un peu partout dans le monde.
On note plusieurs reprises de La Grande Duchesse de Gérolstein à Paris avec Paola Marié (1878), Anna Judic (1887), Jeanne Granier (1890) et, plus près de nous, Germaine Roger (1948), Suzanne Lafaye (1966), Régine Crespin (1981) ont chanté le rôle créé par Hortense Schneider.
,Après 1890, le « Bruyas » ne signale aucune série de représentations de l’opéra bouffe d’Offenbach dans la capitale avant la malheureuse reprise « tripatouillée » de la Gaîté-Lyrique (octobre1948). Renouvelant leur expérience de 1942 avec Les Cent Vierges, Albert Willemetz et André Mouezy-Eon rédigent une nouvelle version de l’ouvrage d’Offenbach rebaptisé La Grande Duchesse. Les rôles de Wanda et de la Grande Duchesse sont tenus par la même artiste (Germaine Roger). Fritz devient Frantz (Jacques Jansen). En février 1949, l’ouvrage est retiré de l’affiche. Aujourd’hui, si la nouvelle version des Cent Vierges a réussi à supplanter l’originale au grand dam de certains, celle de La Grande Duchesse est heureusement tombée dans les oubliettes.
Les « Baladins Lyriques », emmenés par Suzanne Lafaye et Jean Aubert ont donné La Grande Duchesse de Gérolstein au théâtre Marigny en 1966. La production du Capitole de Toulouse et du Grand Théâtre de Bordeaux créée à Toulouse le 6 avril 1979 a fait escale au Châtelet du 31 mai au 7 juin 1981. Régine Crespin était la Grande Duchesse. Le disque nous a gardé le souvenir de ces deux dernières versions (intégrales Decca et Emi). Pour être complet, signalons la série de représentations données à l’Espace Sylvia Monfort en 1996 par Opéra Eclaté, avec un orchestre réduit et une mise en scène d’Olivier Desbordes, qui ne recueillirent pas tous les suffrages. Mais soyons honnêtes : le public s’est déplacé en grand nombre.
Par contre, la version primitive de l’ouvrage, avec la restitution du grand final de l’acte deux et quelques scènes de l’acte suivant, a été donnée au Châtelet en 2004, sous la direction de Marc Minkowski et dans une mise en scène de Laurent Pelly avec, dans le rôle titre, Felicity Lott.
— L’argument
L’action se passe vers 1720 dans le Grand Duché imaginaire de Gérolstein.
Acte I
Le camp des soldats du Grand Duché
En attendant leur départ pour la guerre, les soldats de la Grande Duchesse chantent et dansent gaiement avec les paysannes et les vivandières. Boum, le général en chef, interrompt bientôt la fête. C’est Fritz, le plus beau, et sans doute le plus naïf des fusiliers, qu’il accuse être responsable du chahut. Il est vrai que Boum et Fritz se disputent le cœur de la petite Wanda. Le général, accepte mal que le beau soldat lui soit préféré par la jeune fille.
Comme la souveraine qui a vingt ans s’ennuie, Boum et le baron Puck, qui se partagent en fait le pouvoir, craignent l’apparition d’un favori. Pour la distraire, ils déclarent la guerre et lui cherchent un mari. Mais le Prince Paul, le prétendant retenu, jeune homme ridicule, laisse la Grande Duchesse totalement indifférente. Elle refuse même de recevoir le baron Grog, envoyé extraordinaire du père du Prince Paul, qui a mission de la décider au mariage.
Ce jour-là, avant leur départ pour la guerre, la Grande Duchesse vient passer ses troupes en revue. Elle remarque le beau soldat Fritz. Malgré la visible mauvaise humeur de Boum, elle lui fait gravir en quelques minutes tous les échelons de la hiérarchie militaire. Le jeune homme se retrouve bientôt général; , ayant contesté la tactique proposée par Boum pour la campagne qui s’ouvre, son propre plan est retenu par la souveraine. Elle le nomme donc général en chef et lui confie le sabre de son père.
Acte II
Une salle du Palais Ducal
La campagne est terminée. Fritz a obtenu la victoire en faisant s’enivrer ses ennemis. Il revient en grand triomphateur. Boum, Puck, le Prince Paul font grise mine et complotent contre le presque favori. Tout le monde (sauf l’intéressé) se rend en effet compte que la souveraine est amoureuse de son beau vainqueur… Son rang ne lui permettant pas de se déclarer ouvertement, elle lui fait des confidences à mots couverts. Fritz ne comprend rien et va même, quelques instants plus tard, jusqu’à lui demander l’autorisation d’épouser Wanda. C’en est trop. La Grande Duchesse, furieuse, se joint aux conspirateurs.
Acte III
1er tableau : La chambre rouge
Les conspirateurs se réunissent et, après avoir préparé le meurtre du favori, il leur est intimé l’ordre de ne donner qu’une bonne leçon au général Fritz. À cette occasion, la Grande Duchesse fait la connaissance du baron Grog. Sa belle prestance impressionne favorablement la souveraine. Le baron en profite pour plaider la cause de son Prince et finit par emporter la décision. La Grande Duchesse et le Prince Paul s’épouseront dans l’heure qui suit.
Nouveaux mariés, Fritz et Wanda ne restent pas seuls bien longtemps. Sur l’ordre de la Grande Duchesse, le général en chef est prié de monter à cheval et d’aller au-devant de l’ennemi qui fait un retour offensif.
2e tableau : Le camp des soldats du Grand Duché
Le Prince Paul et la Grande Duchesse sont mariés depuis quelques instants lorsque Fritz revient en piteux état, le sabre
du papa de sa souveraine tout tordu. En fait, Puck l’a envoyé chez une dame qu’il « visite » régulièrement en l’absence du mari, n’ignorant pas que ce dernier commençait à avoir des soupçons. Fritz est tombé sur le mari qui, le prenant pour le galant de sa femme, l’a copieusement rossé. La Grande Duchesse est satisfaite. La conduite inqualifiable du général Fritz lui permet de le rétrograder. Il se retrouve simple fusilier comme avant. Elle accepte même sa démission de l’armée. Elle va pouvoir enfin disposer des honneurs en faveur du baron Grog qu’elle regarde avec de plus en plus de bienveillance ; en apprenant qu’il est marié et père de quatre enfants, elle a un moment de découragement. Se résignant enfin, elle rend grades et honneurs au général Boum et décide d’épouser Paul. Moralité : quand on ne peut avoir ce qu’on aime, il faut d’aimer ce qu’on a !
— La partition
Acte I : Chœur « Chantons et buvons », puis Wanda et Fritz « Allez, jeunes filles, dansez et tournez », Couplets du général Boum « A cheval sur la discipline », Duo Wanda-Fritz « Au diable la consigne ! ; Rondeau de la Grande Duchesse « Ah ! que j’aime les militaires » ; Chanson du régiment (La Grande Duchesse et Fritz) ; Couplets du Prince Paul « Pour épouser une Princesse » ; Final I : Chœur des soldats, couplets de la Grande Duchesse « Voici le sabre de mon père », chœur fou, chœur général.
Acte II : Chœur « Enfin la guerre est terminée » ; Chœur « Après la victoire » ; rondeau de Fritz « En très bon ordre nous partîmes ; Rondeau de la Grande Duchesse « Voici ce qu’a dit mon amie » et duetto Fritz-La Grande Duchesse ; Ballade et trio « Max était soldat de fortune » (Boum, Puck, Paul) ; Reprise du chœur (final II)
Acte III : Duetto « O grandes leçons du passé » (La Grande Duchesse, Boum, ensemble) ; Chœur et ensemble » Nous amenons la jeune femme », ensemble » Bonne nuit », Vanda et Fritz » C’est ton mari », ensemble, chœur ; Chœur, ensemble « A cheval, à cheval » ; Chœur « Au repas comme à la bataille » ; Ballade à boire (La légende du verre) (La Grande Duchesse) ; Couplets de Fritz « Eh bien, Altesse, me voilà ! ; Final III
Airs de la version originale aujourd’hui parfois rajoutés :
– final acte II : « Toute la ville est pavoisée » (choeurs) – Scène du mariage (Fritz, Wanda, notaire, choeurs) – Polka : « Elle n’a rien écrit encore » (la Grande Duchesse, choeurs) – Ensemble « Le carillon de ma grand’ mère »
– premier tableau de l’acte III. Méditation « Les voici donc les murs » – après le duetto, l’Ensemble de la conspiration, avec la scène des rémouleurs (Boum, Puck, Paul, grog, choeurs)
— Fiche technique
La Grande Duchesse de Gérolstein
Opéra bouffe en 3 actes et 4 tableaux de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, musique de Jacques Offenbach. Création à Paris, théâtre des Variétés, le 12 avril 1867 Avec :
Hortense Schneider (la Grande Duchesse) ; Mlle Garait (Wanda), José Dupuis (Fritz), Couder (Boum), Grenier (Prince Paul), Kopp (baron Puck), Baron (baron Grog).
Editions Chappell
— Discographie
Intégrales habituelles
Régine Crespin, Mady Mesplé, Alain Vanzo, Robert Massard, Charles Burles. Direction musicale, Michel Plasson
CBS 79 207 (2 disques) repris en 2CD Sony Classical SM 2K 62583
Suzanne Lafaye, Michèle Raynaud, Jean Aubert, Henri Bédex. Direction musicale, Jean-Claude Hartemann
Decca Carrère 67 755 (2 disques) repris en 2 CD Universal/Accord 465 871-2
Eugénie Zareska, André Dran, John Riley. Orch. René Leibowitz
Urania US 5115 (2 disques)
Suzanne Lafaye, Lina Dachary, Jean Giraudeau, Louis Musy, Joseph Peyron. Orch. Marcel Cariven
Orp58 001/2 (2CD)
Suzanne Lafaye, Lina Dachary, Lisette Keray, Colette Hérent, Germaine Parat, Huguette Hennetier, Jean Mollien, René Lenoty, André Mallabrera, Dominique Tirmont, Gaston Rey, Genio. Orch. Marcel Cariven
RTF 1962
DVD
Aude Sardier, Isabelle Fleur, Maryline Fallot, Jeanne-Marie Lévy, Anaïs Constant, Frédéric Mazzotta, Jean-Louis Meunier, Till Fechner, Philippe Ermelier, Frank T’Hézan. Orch. Jean-Christophe Keck
Festival de Bruniquel 2009 (2 DVD)
Intégrale complète
Felicity Lott, Yann Beuron, Sandrine Piau, François Le Roux, Eric Huchet. Orch. Marc Minkowski
Virgin Classics 7243 5 45734 2 2 (2 CD) et Virgin Classics 3102399 (2 DVD)
Sélections
Eliane Lublin, Raymond Amade, Jean-Christophe Benoît. Direction musicale, Jean-Pierre Marty
EMI C 057 11659
Louis Musy, Michel Dens, Lucienne Jourfier. Direction musicale, Marcel Cariven
Pathé 45 ED 65 (45 T) (4 airs)
Régine Crespin, Mady Mesplé, Alain Vanzo, Robert Massard, Charles Burles. Orch. Michel Plasson
Sélection du Reader’s Digest CD 3159.10 (extraits intégrale EMI) (3 CD) (+ La Périchole + Les Brigands)
— Références
Vous retrouverez La Grande Duchesse de Gérolstein dans « Opérette » n° 27, 61, 87, 98, 125, 130, 133, 134, 138, 159, 162, 179, 183, 184, 192, 197, 198 & 206. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
Dernière modification: 27/02/2024