Bien oublié aujourd’hui, Justin Clérice a été un compositeur prolixe qui s’illustra dans tous les genres de la musique légère : chansons et mélodies, musique de danse et de salon, musique de scène et de ballet, revues et opérettes. Sans jamais connaître de véritable grand succès, il fut presque constamment à l’affiche et cela même à une époque où l’opérette traditionnelle était passée de mode.
Bien que né le 16 octobre 1863 à Buenos Aires, Justin Clérice est Français. Son père Victor, normand d’origine, s’était installé avec son épouse dans la capitale argentine où il exerçait le métier de carrossier. À six ans, le jeune Justin composait une petite valse et, à quinze, il dirigeait tant bien que mal une opérette en un acte dont il avait écrit la musique, un ami de la famille s’étant chargé de l’orchestration. La mort de son père (1881) conduisit la famille Clérice à revenir en France.
Peu fortunés mais décidés à se faire une situation, les Clérice s’installèrent à Paris. Afin de perfectionner ses dons musicaux, Justin fut admis en 1882 au Conservatoire de Paris.
Cependant, la famille ne pouvant vivre longtemps sur ses économies, Charles, frère de Justin, comptant sur ses talents de dessinateur, s’installa comme graveur-lithographe, aidé, à ses moments perdus, par Justin.
Les premiers temps furent difficiles. La situation commença à s’arranger lorsque Bathlot, l’éditeur des Cloches de Corneville, leur confia l’illustration d’un titre de musique ; le résultat lui plut et il leur fournit alors un travail régulier. Peu à peu les commandes se firent plus nombreuses et l’atelier de gravure atteignit une certaine renommée, se spécialisant dans l’illustration des chansons « petit format », notamment celles de Fragson, et dans les couvertures lithographiées, parfois coloriées au pochoir.
C’est probablement par la mélodie et la chanson que Justin Clérice commença à se faire connaître.
Puis, sa musique aimable convenant particulièrement au genre du ballet, il composa une dizaine d’ouvrages pour la danse. L’un des premiers, un ballet en deux actes intitulé Au pays noir, fut créé en 1891 au Théâtre Royal d’Anvers. Il fut suivi, en avril de l’année suivante de Pierrot Rémouleur, une pantomime donnée à l’Hôtel Continental de Paris et que certaines sources citent comme étant une opérette. Pas de doute, par contre, pour Idylle sous le Directoire, ballet-pantomime en un acte créé le 30 août 1896 au Grand Cercle d’Aix-les-Bains.
Parmi les autres œuvres chorégraphiques du compositeur citons encore : Mimosa, ballet japonais en deux actes donné le 9 février1904 au Capitole de Toulouse, Au temps jadis, un ballet-opéra avec chœurs créé en avril 1905 à Monte-Carlo ; puis, donnés en 1906 dans la capitale : Paris-Fêtard, une fantaisie-ballet en un acte dansée le 3 février à l’Olympia et surtout Le Timbre d’or, autre fantaisie, en quatre tableaux, qui connut une brillante carrière aux Folies-Bergère à partir du 31 août.
Dès le début de sa carrière, Clérice songea à composer pour la scène. Sa première création, Le Meunier d’Alcala, opéra-comique donné le 11 avril 1887 au Théâtre Trinidad de Lisbonne, lui servit de test. Le succès remporté le décida à poursuivre dans cette voie. Il débuta à Paris en 1889 aux Bouffes-Parisiens avec un opéra-comique en un acte, Figarella qui fit une modeste carrière. Ces débuts peu remarqués furent suivis de cinq années « vides » sur le plan scénique, hormis les deux ballets déjà cités.
En 1894, Clérice se lança à nouveau, avec une opérette militaire à grand spectacle, créée le 14 mars à la Gaîté. Pour assurer le succès de ce Troisième Hussard, la publicité n’avait pas manqué, mais, malgré une distribution de valeur, l’ouvrage ne réussit pas à dépasser les 26 représentations.
Cet échec lui ferma pour un temps les portes des grands théâtres d’opérettes et Clérice dut se contenter des scènes secondaires, des cafés-concerts, comme celle de Parisiana où il fit représenter divers petits ouvrages en un acte au succès éphémère : Phrynette (1895), Léda (1896) qui fut affiché pendant deux mois, La Vie du soldat (1897), Le Roi Carnaval (1898). Citons encore, donnés à Bataclan : Hardi les Bleus ! (1895) et Pavie (opéra-comique, 1897) ainsi que L’Oncle Jean (Dunkerque, 1897).
Ces petites pièces finirent par attirer l’attention sur Clérice, qui fut invité à se produire à Londres où l’opérette Royal Star, traduction de La Petite Vénus réussit fort bien (16 septembre 1898 au théâtre Prince de Galles). L’œuvre fut donnée trois mois, ce qui incita le directeur, Henry Lowenfeld, à monter Le Meunier d’Alcala, dans une version anglaise rebaptisée The Coquette.
À partir de 1900 les succès se firent plus marqués avec notamment la réussite des Petites Vestales, opérette bouffe, donnée à la Renaissance le 22 novembre. Pour cet ouvrage, Clérice s’était associé au compositeur Frédéric Le Rey. L’œuvre fut ensuite jouée, l’année suivante, en Hongrie et en 1902 à Munich. Ordre de l’Empereur permit à Clérice de faire son retour aux Bouffes-Parisiens (4 mars 1902).
L’époque n’était plus à l’opérette en ce début du siècle et les théâtres affichaient le plus souvent des comédies. La crise dura plusieurs années et ne prit fin qu’à partir de 1909, lorsque l’opérette viennoise commença à envahir les scènes parisiennes. En attendant, il était difficile pour un compositeur de se faire jouer dans la capitale, hormis sur les petites scènes des music-halls et pour des œuvres de format réduit ; seule la province offrait encore quelques débouchés.
Clérice subit les conséquences de cette crise au moment où son talent commençait à s’affirmer. Malgré les difficultés, il réussit la gageure de faire jouer huit ouvrages en deux ans. 1904 vit la création heureuse du Béguin de Messaline, donné à la Cigale. L’ouvrage fut suivit de trois opérettes en un acte : Les Robinsonnes (Eldorado), Otéro chez elle (Mathurins) et Une Journée à Paris (Gaîté). L’année se termina par la création, le 9 décembre au théâtre de la Galerie St-Hubert de Bruxelles, du Voyage de la mariée, une opérette composée en collaboration avec Edmond Diet.
L’année 1905 vit encore trois fois le nom de Clérice à l’affiche car, outre un ballet-opéra donné à Monte-Carlo, il signa une petite opérette en deux actes : Minne donnée avec succès le 25 février à la Boîte à Fursy, une revue en deux actes : Paris s’amuse à Parisiana, et enfin une grande opérette : Les Filles Jackson et Cie, créée aux Bouffes-Parisiens qui, pour l’occasion, revenaient à l’opérette. Ce fut un demi-succès.
Clérice, mises à part deux revues auxquelles il participa, n’assista plus qu’à la création de Oeil de gazelle, opérette donnée le 6 janvier 1908 à Monte-Carlo. Quelques mois plus tard, le 9 septembre 1908, il s’éteignait à l’âge de 44 ans, dans la ville de Toulouse. Clérice laissait plusieurs partitions à divers états d’avancement : Le Baiser de Ninon, opérette en un acte jouée le 6 septembre 1909 à Saint-Cloud avant d’être reprise le 25 novembre suivant au Trocadéro, et trois ouvrages inachevés.
C’est donc un artiste en pleine possession de ses moyens et très sollicité que la mort fauchait brusquement un bon compositeur qui, faute d’un « gros » succès, est rapidement tombé dans l’oubli
Résumé et adaptation d’un article de Bernard Crétel
— Références
Vous retrouverez Justin Clérice dans « Opérette » n° 119. Si cet article vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
— Œuvres lyriques
Légende : oc = opéra-comique, opé = opérette, opé b = opérette bouffe, v = vaudeville, pant = pantomime, sc = scène, c = comédie, o ball = opéra-ballet, fant = fantaisie, rev = revue
Le chiffre indique le nombre d’actes.
Création | Titre | Auteurs | Nature | Lieu de la création |
? | Bohémiens (Les) | Cain (Henri), Adenis (Jules) | oc 4 | Paris, non représenté |
1887 10 avr |
Meunier d’Alcala (Le) [O moliero d’Alcala] |
Garrido (Euardo), Laffrique (Armand) | oc 3/4 | Portugal, Lisbonne, Th. de la Trinidad [en français] |
1889 3 juin |
Figarella | Grandmougin (Charles), Méry (Joseph) | oc 1 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1889 3 oct |
Monsieur Huchot | Térésand (Jacques) | v 1 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1894 14 mars |
Troisième hussard (Le) | Mars (Antony), Hennequin (Maurice) | oc 3 | Paris, Gaîté (r. D.Papin) |
1895 28 janv |
Phrynette | Beissier (Fernand) | opé 1 | Paris, Parisiana |
1895 24 oct |
Hardi! les Bleus! | Garnier (Léon), Lhoste (Albert) | oc 1 | Paris, Bataclan (nlle version 1913?) |
1896 29 fév |
Léda | Beissier (Fernand) | pant 1 | Paris, Parisiana |
1897 28 janv |
Pavie ou La retraite de Pavie | Garnier (Léon), Joubert (J.) | oc 2 | Paris, Bataclan [Nice, Casino Municipal 1897] |
1897 17 avr |
Vie du soldat (La) | ? | sc | Paris, Parisiana |
1897 4 déc |
Oncle Jean (L’) | Méria (de) | oc 1 | Dunkerque |
1898 1°fév |
Roi Carnaval (Le) | Bannel, Puech (Lucien) | opé 1 | Paris, Parisiana |
1898 16 sept |
Royal star (The) [La petite Vénus] |
Ordonneau (Maurice), Richardson (Francis) | opé | Angleterre, Londres, Prince of Wales’s |
1900 22 nov |
Petites Vestales (Les) [1] | Dupré (Ernest), Bernède (Arthur) | opé b 3 | Paris, Renaissance |
1902 31 janv |
Agence Léa (L’) [2] | Zamacois (Miguel) | opé 1 | Paris, Capucines |
1902 4 mars |
Ordre de l’Empereur | Ferrier (Paul) | oc 3/4 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1902 4 juil |
Mimi Pinson | Vylars (Lilia de), Le Verdier, Ulrich (Jules) | c 3 | Villerville |
1904 30 janv |
Béguin de Messaline (Le) | Féraudy (Maurice de), Kolb (Jean), Yver (Marcel) | opé 2/5 | Paris, Cigale (La) |
1904 8 sept |
Robinsonnes (Les) | Garbagni (Paul), Delay (Paul) | opé 1 | Paris, Eldorado |
1904 10 oct |
Otéro chez elle | Germain (Auguste), Moncousin (Paul) | opé 1 | Paris, Mathurins |
1904 1°déc |
Journée à Paris (Une) | Germain (Auguste), Moncousin (Paul) | opé 1 | Paris, Gaîté (r. D.Papin) |
1904 9 déc |
Voyage de la mariée (Le) [3] | Ferrier (Paul), Ordonneau (Maurice) | opé 3 | Belgique, Bruxelles, Galeries-St-Hubert [Monte Carlo ?] |
1905 6 fév |
Minne | Willy | opé 2 | Paris, Boîte à Fursy |
1905 16 avr |
Au temps jadis | Vaucaire (Maurice) | o ball 3 | Monte-Carlo |
1905 29 nov |
Filles Jackson et Cie (Les) | Ordonneau (Maurice), Burel (Paul) | opé 3 | Paris, Bouffes-Parisiens (Choiseul) |
1905 | Paris s’amuse | Joullot (Eugène) | rev 2/7 | Paris, Parisiana |
1906 3 fév |
Paris-Fêtard | Grenet-Dancourt (E.), Gaugiran-Nanteuil (Charles) | fant 1 | Paris, Olympia |
1906 6 mars |
Plaques de l’année (Les) [4] | Ferrier (Paul), Delorme (Hugues), Depré (Ernest), Desvallières (Maurice),Kéroul (Henri), Mars (Anthony), Provins (M.) | rev 2 | Paris, Paul Boyer (salle) |
1907 16 janv |
Vive la Parisienne [5] | Froyez (Maurice) | opé 5 | Paris, Parisiana |
1908 6 janv |
Oeil de gazelle | Ferrier (Paul) | opé 3 (ou 1) | Monte-Carlo |
1909 25 nov |
Baiser de Ninon (Le) [6] | Moncousin (Paul) | opé 1 | Paris, Trocadéro (Th. de Chaillot) [Saint-Cloud 5 sept 1909] |
[1] avec Le Rey (Frédéric)
[2] avec Mathé (Edouard), Berger (Rodolphe)
[3] avec Diet (Edmond)
[4] avec Banès (Antoine), Diet (Edmond), Ganne (Louis), Hirchmann (Henri), Laurens
[5] avec Borel-Clerc (Charles), Bonnamy (Emile), Colo-Bonnet
[6] posthume
Dernière modification: 29/02/2024