Cabaret, Festival de Baden
samedi 19 août 2023

Cabaret, Festival de Baden

« Cabaret »  Drew Sarich et le ballet (photo Christian Husar)

Au fil de toutes les représentations de ces comédies musicales auxquelles nous avons assisté en Autriche, nous pouvons tirer le constat que ces spectacles valent ceux que l’on peut voir à Londres et à New York d’autant que les orchestres sont ici beaucoup plus opulents que dans les productions actuelles Outre-Manche et Outre-Atlantique, et que les interprètes y sont de même valeur.

Cabaret (chef-d’œuvre de la comédie musicale de John Kander sur un livret de Joe Masteroff, paroles de Fred Ebb) décrit l’inéluctable montée du nazisme en Allemagne dans les années 30, entrecoupée de scènes de chant et de danse en référence aux cabarets berlinois de l’époque.

L’écrivain américain Cliff Bradshaw débarque à Berlin pour écrire un nouveau roman et entame une liaison avec une fille de cabaret, Sally Bowles ; en fait un amour impossible, elle refusant d’ouvrir les yeux sur la véritable dégradation de la situation politique, lui en prenant petit à petit la mesure, ce qui aboutira à leur séparation après que Sally ait avorté. Dans ce Kit-Kat-Club, Emcee, le maître de cérémonie, personnage trouble, androgyne, inquiétant, entouré de danseurs et danseuses, débite au long de la pièce des chansons grinçantes et à double sens. À l’épilogue, lorsque Clifford Bradshaw quitte Berlin, s’apprêtant à écrire le livre sur cette période aussi fascinante que malsaine, l’ensemble des danseurs du cabaret s’écroule, comme mitraillés.

Le directeur du festival de Baden, Michael Lakner, a confié la mise en scène à Leonard Prinsloo avec lequel il collaborait étroitement lorsqu’il qu’il était directeur du festival de Bad Ischl. Cet univers étrange correspond totalement à celui que sait traiter Prinsloo, ce qui nous vaut une mise en scène particulièrement envoûtante.

Drew Sarich incarne Emcee, maître de cérémonie inquiétant et magnétique. Son personnage « bicéphale » est présenté côté gauche à l’instar de celui d’une femme et côté droit de celui d’un homme, avec un costume moitié pantalon, moitié robe fendue. La coiffure et le maquillage sont naturellement à l’avenant. Le comé-dien – comme déjà dans Le Baiser de la femme araignée (2019) du même John Kander – impressionne aussi bien sur le plan du chant, de la danse que du théâtre.

Ann Mandrella devait interpréter Sally Bowles mais, le soir où nous assistions à la repré-sentation, souffrante, elle fut remplacée par Jasmin Eberl, elle aussi grande spécialiste du musical et connaissant parfaitement le rôle pour l’avoir joué dans divers théâtres. De tels remplacements laissent toujours rêveur, surtout dans une œuvre et une mise en scène aussi complexes. Lorsque l’on rapproche les photos des deux inter-prètes (qui dans la vie ne se ressemblent pas du tout) on est absolument bluffés car avec costumes, maquillage et perruque on a du mal les différencier. Mais ce qui est encore plus renversant c’est de constater comment Jasmin Eberl s’est absolument fondue dans cette production. Dans son interprétation musicale, chorégraphique et théâtrale, il n’y a aucun millimètre d’hésitation notamment dans le jeu avec ses partenaires et Dieu sait si Cabaret n’est pas une pièce simple !… Magie du théâtre qui nous laisse toujours émerveillé et, en pareille circonstance, un grand coup de chapeau à tirer à cette interprète féminine qui reçoit aux saluts une immense ovation, ô combien méritée !

Les autres interprètes sont tous dotés de rôles essentiels et capitaux. En émouvante Fräulein Schneider, on retrouve Maya Hakvoort qui, l’an passé, avait été la fabuleuse protagoniste de 42th Street. Son partenaire Artur Ortens joue le personnage particulièrement subtil de Herr Shultz, un juif persécuté mais qui pour autant n’entend pas renier son pays, l’Allemagne. Il y a aussi Iva Schell en Fräulein Kost particulièrement dévergondée et attirée par les marins en bordée, gravissant néanmoins les échelons du nazisme, tout comme le personnage ambigu d’Ernst Ludwig qui monte rapidement en grade dans le mouvement magnifiquement incarné par Jan Walter.

Les filles de cabaret et les boys omniprésents brillent dans la spectaculaire chorégraphie signée Christina Comtesse. Les décors (Alexandra Burgstaller) défilent par des changements à vue dans un rythme cinématographique.

L’orchestre, placé sous la baguette d’Andjelko Igrec, possède l’immense vertu d’une extrême souplesse pour passer, d’un jour à l’autre, d’une opérette viennoise classique comme Le Comte de Luxembourg à une comédie musicale telle que Cabaret.

Christian Jarniat

19 août 2023

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