Nous avons rencontré Estelle Danière à l’occasion de la reprise de son spectacle Passage en revue à la Divine comédie, mis en scène par Flannan Obé, spectacle qu’ils ont tous deux conçu. Elle y évoque avec émotion, tendresse et drôlerie une carrière qui n’a pas été sans embûches. C’est l’occasion pour cette artiste atypique de nous conter sa vie professionnelle mouvementée, voire un peu plus !
Quelles sont les raisons qui ont déterminé votre entrée dans la carrière de danseuse ?
J’ai baigné très tôt dans les milieux artistiques : ma mère Christine Carli était chanteuse lyrique soprano, tandis que mon père (Maurice Danière) était baryton basse. Cependant, je désirais embrasser la carrière de danseuse classique et cela obstinément, depuis l’âge de 6 ans. J’ai eu la chance, dans cette démarche, de bénéficier de professeurs de haut niveau, extrêmement perfectionnistes (Daniel Franck, Solange Golovine, Rita Thalia, Mme Goubé), mais hélas j’ai par deux fois échoué au concours d’entrée à l’école de l’Opéra de Paris.
Comment expliquez-vous cela ?
Vraisemblablement par une morphologie trop musclée pour une petite fille de mon âge et peut-être étais-je aussi un peu trop crispée pour parvenir à m’abandonner complètement… Je me suis donc résignée à 12 ans à mettre une croix sur « la grande maison ».
Vous avez néanmoins persévéré dans le domaine de la danse …
Oui fort heureusement ; Monique Clin m’a fait intégrer son groupe de danseuse à l’âge de 15 ans et m’a offert mon premier solo dans Le Pays du sourire… Tout s’est ensuite enchaîné vers le Music-hall. Je suis entrée à 16 ans à la Nouvelle Eve, puis j’ai eu le plaisir d’avoir un rôle de petit modèle dans Phi-Phi aux théâtre des Bouffes Parisiens. Parallèlement, j’ai démarré les cours de chant et de théâtre, en vue de compléter ma formation artistique qui ne s’orientait pas vers le lyrique, mais résolument vers le music-hall à ce moment là.
Une rencontre déterminante va marquer un fulgurant tournant…
J’auditionne en effet à 17 ans devant Monsieur Michel (Gyarmathy) aux Folies Bergère qui m’a engagée et m’a proposé très rapidement les remplacements de Norma Duval et de Lisette Malidor qui se partageaient la place de meneuse de revue à cette époque. Ce sera le début d’une grande histoire d’amour avec cette maison qui m’a apporté beaucoup de joies et de véritables reconnaissances professionnelles : pas-de-deux acrobatiques, numéro aérien de corde lisse, animation… et finalement la place de meneuse de revue pendant trois années.
D’autres personnes importantes vous viennent-elles à l’esprit ?
J’étais souvent pressentie dans les opérettes pour jouer les coquettes ou les vamps (Miss Hampton, Rita Florida, Conchita… dans les opérette de Francis Lopez). Carlo di Angelo, Jacques Filh ou encore Michel Dunand m’ont accordé toute leur confiance dans ce domaine et m’ont permis d’aborder ces rôles.
Quant à David Page, journaliste à RFI et RFO, il m’a donné l’occasion d’auditionner aux États-Unis ; une expérience courte mais qui m’a permis de participer au Festival Maine Statue Théâtre dans la comédie musicale Cabaret.
Je pense aussi au chorégraphe et metteur en scène Jacques Fabre, ainsi qu’à Claudette Walker dont l’exigence m’a beaucoup apporté.
Les années qui ont suivi furent marquées par de belles saisons aux Folies Bergère…
Tout à fait et elles ont été entrecoupées de programmes télévisés en Italie et en Espagne (expérience riche) où j’étais invité en tant que vedette Française où j’avais de beaux numéros à défendre et que j’animais entre deux revues. Dans le même temps, je continuais de me perfectionner dans des disciplines assez pointues, comme la corde lisse. Au total, environ six années intenses passées au Folies, ce n’est pas rien !
De l’opérette à la comédie musicale il n’y a qu’un pas ; vous ne me contredirez pas ?
Certes non ! Le hasard fit que Valerie, l’épouse de Jean-Louis Grinda à cette époque, avec qui je partageais les mêmes cours de danse étant enfants, l’emmena voir la revue que je menais ; dix années plus tard il me contacta pour me proposer de venir auditionner à Liège en Belgique pour un rôle dans Chantons sous la pluie. C’est ainsi que j’obtins le merveilleux rôle de Lina Lamont – trois années de succès jamais démentis, en tournée et à Paris (à la Porte St Martin), un vrai bonheur !
Quelques années plus tard, un autre rôle en or s’offrit à moi : celui tenu par Marilyn Monroe dans le film Certains l’aiment chaud, le musical s’appelant Sugar. Une production coûteuse qui hélas n’arriva pas jusqu’à la capitale, malgré d’élogieuses critiques.
Je pense aussi à L’Homme de la Mancha et au rôle de Dulcinée où j’ai eu comme partenaire le talentueux Nicolas Cavallier, cette aventure m’a – une fois encore – véritablement comblée. Sans oublier les productions de Jean Lacornerie auxquelles j’ai adoré participer (Lady in the Dark et Bells are ringing ).
Des regrets ?
Nous avons fait des lectures de la comédie musicale Le Baiser de la femme araignée, avec mes chers partenaires et amis Jacques Verzier et Fabian Richard. Non, je n’éprouve pas de regrets, mais un rêve : que ce beau projet aboutisse enfin ! L’adaptation de Stéphane Laporte se révèle tellement brillante.
Un rôle que vous aimeriez interpréter ?
Je laisse la vie me surprendre comme elle l’a fait avec une bonne partie des propositions auxquelles je ne m’attendais pas et qui m’ont comblée, alors j’attends la nouvelle belle surprise .
Propos recueillis par Philippe Pocidalo
16 février 2024.