Bourvil (1917-1970), fantaisiste

Bourvil (1917-1970), fantaisiste

Bourvil et l’Opérette

Bourvil nous a quittés le 23 septembre 1970, quelques semaines seulement après Luis Mariano avec lequel il avait tourné deux films musicaux Le Chanteur de Mexico (1956) et Sérénade au Texas (1958). Si la postérité garde surtout le souvenir en Bourvil d’un acteur de cinéma, interprète de rôles comiques souvent, dramatiques parfois, il faut se rappeler que de son vivant le populaire comédien fut d’abord un homme de théâtre. Le public lui était indispensable ; c’était sa drogue, sa joie de vivre.

Et il aimait chanter. Les pièces de théâtre (La Bonne Planque) ou les films de la première partie de sa carrière comportaient toujours des chansons. Sur scène, jamais de rôle dramatique. Faire rire était sa devise. Et il aimait jouer l’opérette. Bourvil en a créé six. La plus célèbre d’entre elles, La Route fleurie, lui a d’ailleurs permis de revenir au tout premier plan à un moment où sa carrière marquait le pas.   

Né le 27 juillet 1917 en Normandie, André Raimbourg – il prendra plus tard comme pseudonyme le nom de la petite bourgade où il a été élevé – obtient sans peine son certificat d’études et son brevet. S’il entre comme apprenti-boulanger à Rouen, c’est malgré tout avec l’idée de faire carrière, plus tard, dans la chanson. Bon musicien, il joue de l’accordéon et du piston… En 1938/1939, il participe à de nombreux crochets et gagne le premier prix de l’un d’entre eux présenté par Georges Briquet pour le Poste Parisien.

Pendant la guerre, il fait la connaissance de l’accordéoniste et compositeur Etienne Lorin, avec lequel il restera toujours très lié. En 1943, il épouse Jeanne, qui l’attendait au village. Après la guerre, sa carrière professionnelle progresse peu à peu. Il passe dans plusieurs cabarets. Grâce à Jean-Jacques Vital et son émission « Pêle-Mêle », il est bientôt célèbre pour ses sketches de paysan matois (c’est bête, hein ?) et ses chansons fort peu intellectuelles il faut l’avouer (« Pour sûr », « Les Crayons »).

C’est en 1946 qu’il aborde l’opérette en participant à la création du premier ouvrage composé par Bruno Coquatrix – le futur directeur de l’Olympia -, La Bonne Hôtesse, dont le livret est dû à Jean-Jacques Vital et Serge Véber. Les répétitions sont assez moroses car la plupart des artistes engagés, André Claveau, Bourvil, Duvaleix, Grégoire Aslan, Alice Tissot, Gisèle Pascal et Irène de Trébert n’ont guère ou n’ont pas, pour la plupart, d’expérience dans le domaine du théâtre musical. La Bonne Hôtesse est créée le 26 décembre 1946 sur la scène de l’Alhambra. Le spectacle est mieux accueilli du public que de la presse. De la distribution, c’est Bourvil qui tire le mieux son épingle du jeu : « Bourvil, c’est un grand bonhomme » (Jean Silvan).

Un an plus tard – le 19 décembre 1947 – l’association Coquatrix-Vital-Véber se reforme pour Le Maharadjah donné dans le même théâtre. Cette fois Bourvil est la seule vedette. Il a auprès de lui Alice Tissot, Lysiane Rey, Dréan, Jacques Bodouin et… Henri Legay qui va bientôt faire les beaux soirs de la salle Favart. La critique n’est pas tendre pour la pièce. Les principaux acteurs sont assez bien perçus sauf Bourvil dont la prestation est discutée !

Nous nous retrouvons ensuite sur la scène du théâtre de l’Étoile, le 23 décembre 1950, pour la première représentation de M’sieur Nanar, deux actes de Bruno Coquatrix, Jean-Jacques Vital, Pierre Ferrari et André Hornez. Entouré de Tilda Thamar, Geneviève Kervine et du champion de catch Charles Rigoulot, Bourvil, modeste inventeur d’un essuie-glace à musique qui est pris pour un grand savant atomiste, parcourt la pièce au milieu de situations les plus extravagantes qu’il soit, sur des textes de cette veine : – Vous n’êtes pas beau quand vous vous concentrez !  – Non : je suis un laid concentré…La presse n’apprécie guère, c’est une habitude : « La bêtise à ce degré-là devient incommensurable » écrit André Warnod dans « Le Figaro » en reconnaissant toutefois que Bourvil paye généreusement de sa personne. Qu’importe ! Le public aime Bourvil et le succès est tel que l’ouvrage sera repris l’année suivante au théâtre des Variétés.

En ce début des années cinquante, Bourvil est à un tournant de sa carrière. Les films qu’il a tournés, les opérettes qu’il a interprétées, ses prestations au music-hall ou à la radio n’ont pas encore permis de faire évoluer son personnage.Sa « cote de popularité » s’essouffle et sa tournée d’été 1952 s’avère fort peu brillante.

Dans son livre de souvenirs, Georges Guétary assure que c’est grâce à lui que la carrière de Bourvil a été relancée. Depuis son retour des États-Unis où il a chanté l’opérette et tourné le film Un Américain à Paris, il prétend avoir des idées bien précises sur la manière de réussir une comédie musicale. À l’instar du tandem Bing Crosby-Bob Hope dont le succès cinématographique est exemplaire, il estime que le « jeune premier » doit partager la vedette avec un fantaisiste de premier plan. Idée excellente, mais pas tout à fait nouvelle. Avant 1940, Maurice Lehmann l’avait mise en pratique au Châtelet avec le tandem Baugé-Bach. De son côté, Francis Lopez affirme lui aussi avoir eu l’idée de faire appel à Bourvil pour tenir le rôle comique dans l’opérette qu’il préparait pour Georges Guétary avec son librettiste habituel Raymond Vincy. Qui croire ?
Quoiqu’il en soit, après quelques réticences des producteurs, Bourvil est engagé. Les contrats sont signés. Georges Guétary aura 100 000 F (d’avant 1960) par représentation, Bourvil, 15000, Annie Cordy, la petite débutante, 5 000 et Claude Arvelle, la jeune première, moins encore. Pendant les répétitions, les interprètes sont inquiets et craignent le pire : « Ce n’est pas très fin », dit Bourvil. « Tu crois que les gens riront avec ça ? », ajoute Annie Cordy.Craintes non fondées car, après quelques représentations de rodage aux Célestins de Lyon, La Route Fleurie fait un tabac à l’ABC (19 décembre 1952). Triomphe pour Guétary, triomphe pour Bourvil qui, du jour au lendemain retrouve la première place qu’il conservera jusqu’à sa disparition, triomphe pour Annie Cordy qui connaît aussitôt une notoriété qui ne fera que croître. Et pour une fois, la presse est à l’unisson du public.

Le tandem Guétary-Bourvil, après quelques grincements au début, fonctionne à merveille et les deux hommes s’entendent parfaitement tant à la scène qu’à la ville. Le succès se poursuit pendant quatre années. Guétary et à un degré moindre Bourvil, parviendront à s’échapper parfois pour honorer des contrats cinématographiques.

Le 10 décembre 1958, le couple Guétary-Bourvil se reforme pour Pacifico, musique de Jo Moutet, livret de Paul Nivoix, lyrics de Camille François et Robert Chabrier. Une fois de plus, la critique éreinte l’ouvrage. Claude Baignères dans le Figaro écrit :
« Jamais on entendit un livret plus indigent, musique plus anodine bien que son auteur ait battu le rappel de tous les rythmes sud-américains… »
    Mais le public ne ratifie pas ce jugement. Le dynamisme de Georges Guétary et Corinne Marchand, la fantaisie de Bourvil et de Pierrette Bruno, le ballet de Marie-Jo Weldon, assurent le succès de l’ouvrage qui se joue trois années consécutives.
Claude Sarraute, dans « Le Monde », écrit :
« …mais la carte maîtresse, évidemment, c’est Bourvil. Un Bourvil nonchalant, épanoui, détendu, un grand comédien révélé à lui-même et aux autres par le cinéma, qui peut se permettre de faire le pitre sur scène quand il lui en prend l’envie… ».

La dernière opérette créée par Bourvil, Ouah ! Ouah !, n’est pas la plus réussie (Alhambra, 31 octobre 1965). Notre héros avait pourtant retrouvé, pour cet ouvrage, Annie Cordy, sa partenaire de La Route Fleurie. La musique d’Etienne Lorin et Gaby Wagenheim, le livret de Michel André et les lyrics de Max François, n’eurent, une fois encore, pas l’heur de plaire à la critique qui pourtant salua les prestations d’Annie Cordy et de Bourvil, en regrettant que ce dernier se complaise dans pareilles pitreries. Le public, cette fois, ne fit pas un triomphe à l’ouvrage qui dû être retiré de l’affiche plus tôt que prévu. Une tournée, au cours du premier trimestre 1966, prolongea un peu en province la vie d’une pièce dont le souvenir est aujourd’hui bien estompé.

Bon musicien, chanteur adroit, excellent comédien, Bourvil ne pouvait que réussir dans l’opérette. Dommage que l’intérêt des ouvrages qu’il a créés – La Route Fleurie exceptée – n’ait pas été à la hauteur de cet interprète inégalable dans sa spécialité.

Que n’a-t-il joué sur scène Phidias ou Léopold, rôles qu’il a gravés sur microsillon. Que n’a t-il interprété Célestin-Floridor, Calchas voire Gaspard des Cloches de Corneville ?

Et pour conclure, citons Georges Guétary (1) : « Quatre ans La Route Fleurie et trois ans Pacifico. Sans doute sept des plus belles années de ma vie où j’ai fait provision de rire et de gaîté ».

Jean-Claude Fournier

(1) Opérette n° 37

Références

Vous retrouverez Bourvil dans « Opérette » n° 37, 76, 95 & 117. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »

Dernière modification : 25/02/2024

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