Quand enfants et adolescents se retrouvent pour rêver une histoire dont l’écrivain Adrien Borne fait un livret d’opéra, on obtient une œuvre originale, inclassable, qui nous transporte dans un monde imaginaire, fantastique, loin des réalités du quotidien, et en même temps si proche des aspirations, des interrogations sur la vie de ces jeunes qui, au sein de la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique, réussissent une véritable performance musicale et scénique.
– L’intrigue
Archipel(s), c’est d’abord une foule d’enfants, amicaux et joyeux, sur une île lumineuse, mais au sein d’une société figée dans laquelle il est interdit de penser ; lorsque les jeunes atteignent 20 ans, ils se voient enfin attribuer un prénom, donc une identité, et sont projetés hors de leur colonie, vers l’inconnu, par un rite de passage.
Il y a cependant un enfant rebelle qui refuse de grandir et veut rester maître de son destin ; il est alors confié à un sorcier maléfique, « le puiseur », qui s’aperçoit que, contrairement aux membres de la colonie, cet enfant est porteur de sentiments, dont l’amour, et du désir d’indépendance. L’enfant est exilé sur une autre île sombre et mystérieuse, où survivent dans un univers glauque d’autres enfants exclus, livides et hagards, qui jouent toute la journée avec la poupée de laine que leur attribue le « tricoteur », avant de la jeter chaque soir dans un puits, où ils noient leurs souvenirs et leurs émotions.
Enfin, dans un retour à la lumière, l’enfant rencontre un autre rebelle, Mavrick, qui le conduit vers une issue secrète par laquelle il partira sur l’océan, entouré de lucioles qui éclairent le chemin de son destin.
– Le spectacle
Dans des décors oniriques, les spectateurs sont entraînés d’une île à l autre, dans un archipel magique, tandis que les dialogues parlés alternent avec le chant, que solistes et chœurs s’enchaînent, tout en exécutant d’impressionnantes chorégraphies. Ces jeunes savent tout faire, ils ont investi tous les arts de la scène et, qu’ils chantent, dansent ou jouent, ils le font avec brio et conviction et font montre d’un véritable professionnalisme.
Ce qui pourrait n’être qu’un beau conte initiatique est enchanté par la musique d’Isabelle Aboulker, qui a su en saisir toutes les dimensions, les illustrer et même les décrire avec le talent qu’on lui connaît. Que les airs soient légers, enjoués ou plus graves, ils sont parfaitement adaptés aux voix enfantines et s’inscrivent aussitôt en nous pour nous accompagner dans un univers enchanté par de subtiles harmonies.
Cet ouvrage, présenté comme un spectacle d’enfants pour les enfants, est tout aussi séduisant pour les adultes ; qui n’a pas rêvé d’une éternelle jeunesse dans un monde fraternel ? Et quel plaisir que d’entendre au fil de la partition de discrètes réminiscences de musiques du répertoire intemporel qui a peuplé nos jeunes et moins jeunes années.
La mise en scène dynamique de James Bonas fait que tous se déplacent avec précision et élégance, tandis que les chorégraphies individuelles ou de groupe de Ewan Jones sont très réussies.
Les costumes de Thibault Vancraenenbroeck s’inscrivent parfaitement dans l’atmosphère des trois actes de cet ouvrage, en jouant sur les symboles des couleurs, en particulier du blanc et du noir.
L’orchestre des Frivolités Parisiennes est dirigé avec une grande sensibilité par Mathieu Romano.
Tous les interprètes mériteraient d’être cités, quel que soit leur rôle, ils ont donné le meilleur d’eux mêmes ; certains d’entre eux sont peut-être en route pour une véritable carrière artistique et pour tous, il leur restera le souvenir d’une belle réussite.
Rappel : Créée en 2016, réunissant enfants et adolescents de 8 à 25 ans, la Maîtrise Populaire de l’Opéra Comique est sous la direction de Sarah Koné. Le projet, à la fois éducatif et social, réunit des jeunes d’horizons divers, motivés par l’enseignement pluridisciplinaire qu’ils reçoivent tout en continuant leur parcours scolaire.
Christiane Izel
28 avril 2024©