Après La Veuve joyeuse et La Vie parisienne (et avant Gipsy en mars) les « Nouveautés Lyriques » poursuivent leur saison donnée au Casino Barrière de Toulouse avec Les Mousquetaires au couvent de Louis Varney (une production de TLA). La salle pleine et les applaudissements nourris montrent que la programmation répond à une attente artistique et de divertissement qui n’a pas toujours sa place dans les maisons d’opéra traditionnelles. Avant d’en venir au spectacle lui-même, réussi en tous points, on voudrait noter combien il est légitime de puiser dans le répertoire de l’opérette dite classique, trop oublié de nos jours, qui eut son heure de gloire et auquel on ne rend pas les honneurs qu’il mérite.
Quelques aperçus
L’opérette classique, que leurs auteurs dénomment opéra-comique (1870-1914), choisit une voie nouvelle en rompant en partie avec l’opéra bouffe de la fête impériale. En l’occurrence pour Les Mousquetaires au couvent les auteurs s’appuient sur un vaudeville à couplets de 1835, L’Habit ne fait pas le moine, de Saint-Hilaire et Duport. Si Lecocq adapta le répertoire poissard dans La Fille de Madame Angot, et Audran un conte de Boccace dans Gillette de Narbonne… d’autres ouvrages auront des bases purement inventées par leurs auteurs.
Les règles de l’opérette bourgeoise sont en place dès La Fille de Madame Angot en 1872. Elles concernent en premier les emplois vocaux. Les tableaux de troupe font apparaître une distribution des rôles qui restera relativement rigide. Dans Les Mousquetaires au couvent c’est Frédéric Achard, un comédien (qui sait chanter!) qui interprète Brissac. Mais lorsque le baryton Louis Morlet venu de l’Opéra-Comique remplace le premier titulaire du rôle à la faveur de la pause estivale, Varney s’empresse de lui composer deux nouveaux airs qui replaceront le rôle à un niveau vocal conforme au paradigme dominant.
L’histoire sentimentale, sans démesure, est dictée par les profils vocaux. C’est souvent un baryton qui s’éprend de la « deuxième chanteuse » (dans Les Mousquetaires, c’est Gontran, un ténor !), la « première chanteuse » étant investie de valeurs plus lestes comme Serpolette, dans Les Cloches de Corneville. L’univers sentimental est ainsi fonction de la typologie des voix.
La mise en scène à Toulouse
La mise en scène de Renaud Sorel est classique au meilleur sens du terme. Elle est attentive au climat et à la couleur musicale de chaque acte (qui s’ouvre sur les applaudissement du public). Le premier évoque la douceur tourangelle « à la brune » traversée par les péripéties politiques (l’arrivée du Gouverneur) ou d’intrigue (l’entrée des moines mendiants, les vrais, puis les faux). Le chœur joue pleinement son rôle dans son chant et la chorégraphie mimant les gestes des « bons vieux » des « bonnes vieilles » ou encore son effroi face au spectre de l’« homme rouge ». La mise en place du final est particulièrement appréciée. Brissac et Gontran sont mis doublement en abyme par leur déguisement et le recours au latin macaronique face à la prière sulpicienne des villageois plongés dans la ferveur. Les alertes couplets de Simone encadrent la scène avec la note festive en contrepoint.
L’acte II offre une toute autre atmosphère et le metteur en scène s’en donne à cœur joie pour rendre la fantaisie d’un couvent pas comme les autres. La caricature des scènes de classe est un incontournable du théâtre de genre. Très amusant est le chœur où les pensionnaires font circuler la liste des pêchés. Très ironiques et efficaces le choix d’une sœur Opportune jouée par un homme ou le comique de la Supérieure déambulant sur des motifs musicaux exogènes propres à souligner son égarement. Très émouvants aussi les moments où Marie et Gontran se retrouvent, surmontant les barrières par des lettres, la fausse pouvant être un clin d’œil à Luisa Miller de Verdi. Le final de l’acte est toujours attendu. Ce n’est pas l’ivresse de Brissac qui avait choqué à l’époque mais le sermon conduisant à rapprocher les pensionnaires des faux moines. Mais une sorte d’énergie et de santé morale (comme si les débats du Parlement sur les congrégations y faisaient écho) avaient donné droit de cité à cette scène virtuose que Renaud Sorel rend épique, sans renoncer à sa rigoureuse mise en place. Le public a salué cette fin d’acte.
Le troisième acte comporte des tirades parlées, comme celle moliéresque sur « le pauvre homme ». Si sont retenus pour Simone les couplets « À la porte des révérends » plutôt que la valse « On se rendait à la chapelle », le duetto Marie Gontran « Il faut fuir, le danger nous presse » est restitué. L’acte précédé d’un entracte trouve sa cohérence. Il court vers le dénouement rendant aussi légitimes le dialogue parlé que les numéros musicaux moins nombreux que dans les actes précédents. Cette mise en scène a totalement convaincu.
Une distribution au service de l’ouvrage
Le rôle de Simone est peu développé au plan dramatique, ce qui ne prive pas le personnage d’une réelle présence. Dans les anciens tableaux de troupe Simone était la « première chanteuse ». Caroline Géa la conçoit presque en meneuse de revue, avec entrain, mais aussi avec une belle couleur de voix, de la projection et du style.
Morgane Bertrand est idéale dans Marie. Les parties vocales du rôle intrinsèquement très belles sont magnifiées par la ligne vocale et le timbre très intense adaptés aux affects du personnage ; sa romance, ses parties dans les ensembles ou son duo avec Gontran portent la marque d’une vraie cantatrice habitée par son personnage.
Perrine Cabassud joue une Louise très vivante, espiègle à souhait. La voix bien conduite, l’agilité et la diction parfaite donnent au rôle tout son impact.
On ne perd jamais de vue la Supérieure d’Annie Dacher, l’invention scénique et les airs improvisés étant constitutifs d’un personnage abouti. Il faut citer Claude Deschamps ici, tant le travesti joué est à l’image de cet interprète toujours si créatif. Sa sœur Opportune dégingandée et bien silhouettée sait aller vers le public.
Après Guglielmo dans Così fan tutte interprété quinze jours plus tôt à Arcachon, Mikhael Piccone est un remarquable Brissac ; la voix éloquente, puissante et mordante est celle que requièrent l’opéra-comique (dans les deux airs ajoutés dans ce sens par Varney), mais aussi le vaudeville aux tournures comiques et non moins vocales. Les couplets du sermon sont un grand moment du spectacle.
Jérémy Duffau qui vient d’être distribué dans le prince Saphir de Barbe Bleue à l’Opéra de Lyon est un Gontran de luxe, le timbre charmeur de la voix est bienvenu dans la romance de l’acte II, comme dans tous les autres moments où la sensibilité et le raffinement de l’interprète sont mis en avant.
L’abbé Bridaine de Jean-François Vinciguerra est sonore, mais aussi musical et expressif. C’est en grand comédien aux effets comiques efficaces et visant juste que l’interprète impose le personnage du mythique curé.
Renaud Sorel est parfait en Gouverneur.
L’orchestre dirigé par Claude Lourties rend sa vraie couleur et le rythme voulu à l’ouvrage même si on peut regretter que les cordes ne soient pas plus étoffées pour une opérette classique.
N’oublions pas l’immense progrès des chœurs Mélopée de Toulouse dirigés par Cyril Kubler qui auront eux aussi par leur sonorité et leur implication scénique contribué à faire du spectacle un succès scandé par le public.
Didier Roumilhac
18 février 2024
Fiche technique
Les Mousquetaires au couvent (Varney)
Direction musicale : Claude Lourties – Mise en scène : Renaud Sorel – Chef des chœurs : Cyril Kubler – Costumes : Maison Grout – Décors : ATL Productions – Orchestre Melodia – Chœurs Mélopée de Toulouse – Production TLA
Distribution :
Caroline Géa (Simone) – Morgane Bertrand (Marie) – Perrine Cabassud (Louise) – Annie Dacher (La Mère Supérieure ) – Sandrine Lecaille (Agathe)
Mikhael Piccone (Narcisse de Brissac) – Jérémy Duffau (Gontran de Solange) – Jean-François Vinciguerra (Bridaine) – Renaud Sorel (Le Gouverneur) – Claude Deschamps (Sœur Opportune)