Suzy Delair en toute liberté

Suzy Delair en toute liberté

« Je suis une fille de rien qui n’aime que la qualité ».
L’a-t-elle dit vraiment ? C’est tout l’exercice de style de ce livre de « Mémoires » dans lequel l’auteur se propose d’incarner Suzy Delair et de la faire parler à la première personne. L’auteur, excusez du peu, n’est autre que Jacqueline Willemetz, proche entre les proches, puisque petite-fille d’Albert, prince des Années folles et comptant à son actif, plus de cent livrets d’opérette !

Disparue en 2020, à l’âge de 102 ans, Suzy est de cette cohorte d’artistes inassignables, intenses, ardentes qui se reconnaissent par la ferveur qu’elles suscitent.
Suzy est née à Paname, boulevard Barbès, mais c’est à Asnières qu’elle grandit. Elle en a gardé toute sa vie l’accent, ce timbre de voix inimitable. C’est là qu’elle entendit Raquel Meller interpréter « la Violetera ». Le déclic d’une vie, de toute une vie dédiée au chant, au théâtre, à la danse, à la comédie. Et au cinéma, qui la vit débuter en 1932, à l’âge de 15 ans, en soubrette, dans Un caprice de la Pompadour. Le ton est donné. Celle qui n’est pas encore « Lady Paname », en a le charme, l’insolence, le franc-parler, la joie un peu triste. Suzy séduit au premier regard.
Willemetz qui dirige les Bouffes-Parisiens l’engage. Suivront l’ABC, Bobino, les Deux Ânes… Enfin Henri-Georges Clouzot, l’homme à la pipe, journaliste, scénariste, cinéaste, tombe à son tour sous le charme. Il sera son pygmalion. Curieux de tout, fin et cultivé, c’est lui qui l’oriente vers le cabaret. Mistinguett, Suzy Solidor, Maurice Yvain… Avant-guerre, elle est une vraie vedette, reconnue, avec laquelle il faut compter.

Comme Arletty, Suzy ne fut pas très « résistante ». L’art et l’amour passaient avant tout. L’Assassin habite au 21 est tourné en 1942, entre deux tours de chant et un fameux voyage en Allemagne. Sous contrat avec la Continental, elle fait partie du groupe d’artistes invités à Munich, Berlin et Vienne. Survient l’épuration et l’interdiction d’exercer la profession d’artiste dramatique pendant une période de trois mois, seulement. D’autres seront plus sérieusement inquiétés. Sacha Guitry fera un séjour à Fresnes, Germaine Lubin, elle, ne s’en relèvera pas. Notre Suzy rebondit : Quai des orfèvres, toujours Clouzot, avant la rupture, définitive.

En 1950, on la retrouve à l’affiche de Atoll K, entre Stan Laurel et Oliver Hardy. La vie reprend des couleurs. Au milieu des tours de chant, des galas, des émissions de radio, Suzy pense à graver quelques microsillons. Incomparable dans La Vie parisienne et La Périchole,1 elle connaîtra la consécration en France, au Canada, aux États-Unis, toujours avec ce même succès, garanti par la gouaille, la prestance et la présence vocale. En 1948, à Nice, au Négresco, elle interprète la chanson « C’est si bon ». Louis Amstrong est présent dans la salle, s’en empare, l’enregistre, on connaît la suite, le tube fera le tour du monde !
L
e chant, le théâtre, le cinéma priment tout. Visconti l’invite. Suivent huit jours de tournage à Milan, pour un rôle de blanchisseuse, ce sera Rocco et ses frères. Et comme il n’y a qu’une grandeur, cela assure à jamais la gloire à Suzy Delair. Elle surprend toujours. On la retrouve partager les désopilantes Aventures de Rabbi Jacob, aux côtés de Louis de Funès. Visconti/ Gérard Oury, même combat ! Pas de clap de fin pour Suzy ?
Insatiable, à l’aube des années 1980, la revoilà, cette fois, sur le petit écran ! Elle trouve le temps, l’énergie et la fantaisie de tourner une série de téléfilms policiers, signés Alphonse Boudard, où rien ne semble pouvoir arrêter cette savoureuse grande duchesse croqueuse de diamants !

« Bien faire et laisser dire ! », devise ou aphorisme attribué à Suzy, une épitaphe toute trouvée pour celle qui n’avait pas de haine ni d’envie. Gageons que ce livre qui se lit comme un roman, le roman d’une vie, puissamment illustré et documenté, saura trouver son public, le plus large possible. À noter, la préface signée du regretté Benoît Duteurtre, grand admirateur de Suzy, disparu brutalement en ce mois de juillet 2024.

François Caunac

« Suzy Delair, mémoires », par Jacqueline Willemetz (éditions L’Harmattan, Paris, 2022).

(1) Rappelons que Suzy Delair a enregistré une sélection de Trois valses, aux côtés de Jean Desailly, sous la direction de Richard Blareau.
Citons également le CD paru dans la collection Accord (Universal Classic France, 2003) regroupant des extraits de La Belle Hélène, La Vie parisienne, La Grande Duchesse de Gérolstein, La Périchole, mais aussi deux extraits de Trois valses et 7 chansons.

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