Il y a tout juste un siècle, à une journée près, Maurice Yvain faisait représenter, le 17 février 1925, au théâtre des Nouveautés à Paris, sa 5e opérette, Pas sur la bouche, ouvrage très rarement repris de nos jours mais que les Mus’Arts de Tourcoing ont eu l’excellente idée de redonner ce dimanche 16 février 2025.
D’abord connu comme compositeur de chansons pour Mistinguett, Maurice Chevalier et autres vedettes des « années folles », Maurice Yvain débute dans l’opérette avec Ta bouche (1922) et Là-haut (1923) qui seront deux grands succès populaires. Puis il se lance dans des ouvrages plus lyriques, La Dame en décolleté (1923) et Gosse de riche (1924) qui ne suscitent pas le même enthousiasme, aussi revient-il, dès l’ouvrage suivant, Pas sur la bouche, au style qui lui a si bien réussi et connaît à nouveau un grand succès. L’opérette aligne les tubes : « Je suis venu te dire bonjour », « Ça c’est gentil », « Pas sur la bouche », « Sur le quai Malaquais », « Par le trou de la serrure », airs ou ensembles défendus par une brochette d’artistes dont Pauline Carton dans le rôle de la concierge Madame Foin.

L’action, en fait plus une suite de situations peignant les occupations d’une bourgeoisie aisée et décomplexée, se déroule à Paris dans ces années d’après-guerre. ©
Gilberte Valandray, une vraie mondaine, a caché à Georges, son époux, qu’elle a autrefois été mariée à un Américain, Eric Thomson. Aussi est-elle très embarrassée lorsque ce dernier, pour affaires, surgit dans leur vie, d’autant plus qu’Eric sent renaître ses sentiments à son égard. Georges, qui pense être le premier homme dans la vie de son épouse, est néanmoins un instant soupçonneux, mais il est rassuré par l’intervention de Mlle Poumaillac, la tante de Gilberte, une vieille fille bien conservée qui réussit à séduire Eric qui, jusque là, refusait de se laisser embrasser sur la bouche
Contrairement à Ta bouche ou Là-haut où le spectateur entre de plain pied dans l’action, l’intérêt pour la pièce, bien que tous les airs soit des plus agréables et l’implication des artistes évidente, ne naît que progressivement et l’engouement du public n’apparaît vraiment qu’au cours du second acte et surtout au troisième. Ceci est peut-être dû à des dialogues qui peuvent paraître bien longs par la suppression de plusieurs des airs (non essentiels) d’une partition par ailleurs copieuse.

Ceci dit, le spectacle a été très apprécié car il est toujours très agréable de se replonger dans l’ambiance des plus décontractées des « années folles » avec son langage libéré (pétillant livret d’André Barde), ses robes charleston ou habillées et ses rythmes américains débridés, one-step, charleston, boston… auxquels se mêlent quelques tempi de java, le tout enlevé par un orchestre réduit (8 musiciens) mais très motivé et conduit par le chef Pascal Chardon s’éclatant parfois avec des soli jazzys de clarinette enfiévrée. Certains morceaux ont en outre été réorchestrés pour servir de support musical à un ballet, à la chorégraphie toujours soignée d’Annie Savouret et dont les danseuses et danseurs ont plusieurs fois prêté leur concours, dans de ravissants costumes variés, à divers entourages et au chatoyant final.

La mise en scène classique et soignée de Philippe Padovani, au service des artistes autant que du texte, a permis à chacun de briller dans la comédie et dans le chant, même si celui-ci, à l’origine essentiellement confié à des comédiens, n’impose pas une tessiture très étendue. Les personnages évoluent essentiellement par couples ; ainsi Julie Lemas incarne une Huguette pétillante aux côtés du Charley bon genre d’Étienne Pladys, n’hésitant pas à terminer leurs duos par quelques pas de danse. Corinne Gautier, en Demoiselle Poumaillac cachant sous un aspect frivole son déficit sentimental, finit par trouver son bonheur auprès de l’imperturbable Thomson, qui finit par être perturbé, et dont le personnage est parfaitement mis en valeur par Ludovic Crombé. Son air principal, « Pas sur la bouche » permet un bel effet de mise en scène ; alors que le héros s’effarouche du baiser réclamé par les danseuses s’agrippant à lui, les autres personnages, dissimulés dans les coulisses de part et d’autre de la scène, la tête dépassant seule des rideaux, font chorus avec le refrain « Un baiser, un baiser, un baiser, un baiser, pas sur la bouche… Ça l’effarouche… ».
Dernier couple, celui de Gilberte Valandray, s’amusant ou s’agaçant de ses soupirants, permet à Emmanuelle Fruchart (déjà applaudie sur cette scène l’année dernière dans La Belle Hélène), de donner un cachet élégant aussi bien que désinvolte à la parisienne mondaine, tout en restant fidèle à son mari ici joué par Philippe Padovani qui, sous sa casquette de metteur en scène, s’est privé de son air « Je me suis laissé embouteillé ». Le jeune Faradel, amoureux sans succès de toutes les femmes mais prêt à se plier en quatre pour leur complaire, était bien saisi par Gabriel Chauvet-Peillex, par ailleurs privé de son air « Le hoquet ». Et n’oublions surtout pas le personnage de Madame Foin avec lequel Lydia Fabien a su mettre le public dans sa poche dès son entrée en scène au troisième acte.
Alors que l’orchestre reprend les principaux airs de la pièce pour accompagner la sortie du public, celui-ci, encore sous le charme, se laisse aller à fredonner « Ça c’est gentil », « Un baiser, un baiser… » ou « Sur le quai, le quai Malaquais, au 23 vous entrez tout droit… »
Le dernier spectacle de la saison des Mus’Arts, Valses de Vienne, sera donné le 6 avril 2025.
Bernard Crétel
16 février 2025
Pas sur la bouche (Maurice Yvain)
Direction musicale : Pascal Chardon – Mise en scène : Philippe Padovani – Carolo King Ballet, chorégraphie d’Annie Savouret – Décors : Yvon Moreau, Bernard Pladys, Alain Woerstym – Techniciens du Théâtre Raymond Devos.
Distribution :
Emmanuelle Fruchart (Gilberte Valandray) – Julie Lemas (Huguette Verberie) – Corinne Gautier (Arlette Poumaillac) – Lydia Fabien (Madame Foin)
Philippe Padovani (Georges Valandray) – Ludovic Crombé (Eric Thomson) – Étienne Pladys (Charley) – Gabriel Chavet-Peillex (Faradel).