Paganini, Marseille (Odéon)
dimanche 25 février 2024

Paganini, Marseille (Odéon)

© Christian Dresse

Genèse de l’œuvre

Rappelons, pour l’anecdote, que l’éditeur viennois Paul Knepler avait adressé anonymement à Franz Lehár, un livret intitulé Hexenmeister sur un texte de Béla Jenbach. Knepler avait effectué cet envoi de manière anonyme car il avait l’intention première de mettre le texte en musique lui-même. Toutefois, il avait rapidement pris conscience que la tâche le dépassait et Franz Lehár écrira finalement la partition, tout en demandant à Béla Jenbach de revoir son texte.

Dans un premier temps, le compositeur avait imaginé confier le rôle-titre à Richard Tauber qui avait déjà interprété Amour Tzigane et Frasquita. L’œuvre devait être créée à Vienne au Théâtre Johann Strauss, mais, malheureusement, Richard Tauber ne put assurer cette première le 30 octobre 1925. Il ne la chanta que quelques mois plus tard le 30 janvier 1926 à Berlin et c’est bien en cette ville que Paganini obtint un triomphe. La soprano autrichienne Véra Schwarz était, pour la circonstance, la partenaire de Richard Tauber (et il n’est pas inutile de préciser que cette cantatrice possédait à son répertoire, à l’Opéra de Vienne, Tosca, Carmen, Eva des Maîtres-chanteurs de Nuremberg, ou Rachel de La Juive).

Franz Lehár a répété à de multiples reprises, que sous des apparences légères (en partie seulement) ses opérettes étaient en fait, de véritables opéras. Outre, la nature des livrets, la musique ne fait que confirmer cette assertion, comme en témoigne largement la splendeur de son écriture et le caractère élaboré de son orchestration foisonnante (combien de fois pense-t-on à Richard Strauss ou à son cher ami Puccini !). C’est la raison pour laquelle, la plupart des chanteurs d’opéra se sont confrontés à ces ouvrages, d’où la difficulté de les monter sans des moyens musicaux et orchestraux adéquats.

Paganini 2
Perrine Madoeuf et Samy Camps (© Christian Dresse)

Paganini, comme dans les œuvres de maturité de Lehár : la faillite de l’amour

L’œuvre de Franz Lehár évoque un épisode de la vie de Paganini, lequel débuta effectivement comme violoniste de l’Orchestre de Lucques au tout début du 19ème siècle, ville dans laquelle Napoléon avait attribué la principauté à sa sœur Maria-Anna Elisa Bonaparte. À Lucques, Paganini dirigea également des opéras puis démissionna en 1909 pour entamer la brillante carrière de violoniste que l’on sait.

Les librettistes avaient imaginé une intrigue sentimentale entre le musicien et la princesse, bien que celle-ci ait été mariée. Mais il s’agissait surtout, en l’occurrence, de céder au cliché romantique du créateur « qui ne peut s’attacher à rien ni à personne pour accomplir son destin ». Mais il en va ainsi pour la plupart des opérettes tardives de Lehár qui se terminent mal (contrairement à la « spécificité » de ce genre d’ouvrage). Dans Le Pays du Sourire c’est l’incompatibilité des races qui détruit la relation amoureuse entre le prince chinois et la fille d’un aristocrate viennois. Dans Le Tsarevitch la danseuse Sonia ne saurait épouser son amant proclamé tsar. Dans Friederike la jeune fille du pasteur renonce à Goethe devenu écrivain célèbre. Et dans Giuditta il est trop tard pour les deux héros pour pouvoir former un couple, trop de blessures sentimentales ayant semé leur parcours.

Les personnages sont souvent d’ailleurs psychologiquement complexes, comme celui de Sou-Chong du Pays du Sourire. Quant à Paganini il faut voir dans ce musicien surdoué un « maître-violon », cyclothymique, capable de brusques colères suivies de soudaines exaltations, lunatique, intransigeant et tourmenté et c’est d’ailleurs l’image d’un compositeur et musicien semblable à un sorcier fiévreux qu’il a laissé. Tout comme les génies, Paganini est souvent représenté comme une sorte de démon noir, ici catapulté dans le monde factice et frelaté de la cour du prince Felice, le mari d’Anna-Elisa.

Paganini : un rôle de ténor et les vicissitudes de l’adaptation française

Le rôle de Paganini a été écrit – comme pour beaucoup de héros masculins de l’œuvre de Franz Lehár – pour un ténor. Parmi les interprètes qui l’ont soit chanté, soit enregistré, on trouve notamment le créateur de la version viennoise Carl Clewing (qui se produisit au Festival de Bayreuth dans Les Maîtres Chanteurs et Parsifal ) et celui de la création berlinoise Richard Tauber (qui interpréta pas moins de neuf œuvres du compositeur au rang desquelles Amour Tzigane (1921) Frasquita (1922), Le Tsarevitch (1927), Friederike (1928) Le Pays du sourire (1929), Schön ist die Welt (Le Monde est beau) (1930) et Giuditta (1934). D’autres ténors se sont illustrés évidement dans ce rôle comme par exemple Nicolaï Gedda, Peter Anders, Antonio Theba (auquel on doit un enregistrement en DVD aux côtés de la soprano Teresa Stratas), Rudolf Schock.

Comme il a été souligné maintes fois, et pour des raisons qui demeurent incompréhensibles, la traduction des œuvres de Lehár en français – outre les mutilations apportées au texte (l’un des exemples les plus caractéristiques étant celui du Comte de Luxembourg) – les rôles-titres ont la plupart du temps été confiés à des barytons, ce qui altère évidemment et profondément la partition mais aussi le sens de l’œuvre. C’est ainsi que lors de la création en France (1928) le rôle de Paganini a été confié à André Baugé lui-même baryton. Cette tradition s’est par la suite perpétuée, puisque trois enregistrements discographiques ont été confiés à ce type de voix, celui de Michel Dens avec Andrine Forli pour la firme EMI, de Jean Pomarez aux côtés de Denise Duval (égérie de Francis Poulenc) pour la firme Polydor et de Robert Massard avec pour partenaire Colette Riedinger pour le label Decca. Il convient de bien insister sur la tessiture de ténor du rôle car pour confier cet emploi à un baryton, on est contraint de se livrer à des transpositions dans la version française voire de supprimer musicalement tous les passages où la tessiture aiguë (au demeurant parfois très tendue) est largement sollicitée.

Paganini 3
Ensemble (© Christian Dresse)

Paganini à l’Odéon de Marseille

Paganini apparaît pour la première fois à l’Opéra de Marseille le 5 avril 1952 avec Robert Mage et Odette Boin. L’une des difficultés de cet ouvrage consiste à représenter le violoniste exécutant ses compositions et, dans l’idéal, il faudrait trouver un interprète capable de jouer du violon comme un virtuose (1) ce qui constitue un pari insensé (2). C’est la raison pour laquelle pour le concerto qui clôt le deuxième acte, Carole Clin a eu le bon goût de faire baisser les lumières jusqu’à ce que Paganini ne devienne qu’une ombre, ce qui permet au protagoniste de laisser entrevoir les gestes du musicien tandis qu’en coulisse le violon-solo de l’orchestre interprète en fait, ce concerto. Un très grand bravo donc pour le talent de la violoniste Alexandra Jouannié.
P
ar ailleurs, la scénographie imaginée par Carole Clin va à l’essentiel sur le plateau relativement étroit du Théâtre de l’Odéon : des profils de maisons pour la place d’un village, quelques rideaux pour la salle de jeux et la projection d’une taverne pour le 3ème acte. Cela est suffisamment évocateur.

L’évolution vocale, ces dernières années, de Samy Camps qui arbore désormais une voix beaucoup plus corsée au timbre d’une couleur plus sombre, lui permet d’aborder le rôle de Paganini dont on a dit plus haut qu’il était régulièrement en France confié à une voix de baryton. En outre, l’interprète est théâtralement crédible tout comme d’ailleurs sa partenaire Perrine Madoeuf, entendue à plusieurs reprises sur cette scène et dont on rappellera qu’aux cotés du ténor Pene Pati elle fit un triomphe en décembre 2021 dans Juliette à l’Opéra Comique (qui affichait le Roméo et Juliette de Gounod). Dotée d’une voix prenante elle délivre des aigus lumineux et puissants.

On assista également à deux prises de rôle d’habitués de l’opérette Fabrice Todaro en Pimpinelli et Julie Morgane en Bella Giretti, épatants à tous points de vue et brûlant les planches grâce à leur dynamisme dans la fantaisie. Tout le reste de la distribution est à louer grâce à des professionnels éprouvés qui forment une véritable troupe d’habitués de ce théâtre prisés à juste titre du public.

Excellente direction musicale de Federico Tibone, chef assistant de l’Opéra de Marseille, qui avec une formation d’une vingtaine de musiciens, parvient à traduire l’essentiel de l’œuvre de Franz Lehár, et une mention à l’attrayante chorégraphie d’Anne-Céline Pic-Savary et à ses danseurs.

Christian Jarniat
25 février 2024

1) Rappelons que Franz Lehár a étudié dans son jeune âge le violon auquel il portait une particulière affection d’où les solos que l’on retrouve dans cette opérette à la gloire de celui qui fut le musicien le plus représentatif de cet instrument.
2) Jean Darnez avait néanmoins accompli cet exploit car il était violoniste, prix de Rome et baryton et dans Paganini il chantait et jouait aussi les solos de violon. Artiste complet il a, en outre, comme chef d’orchestre dirigé au Châtelet Rose de Noël de Franz Lehár et Volga de Francis Lopez.

Fiche technique

Paganini (Lehár)
Direction musicale : Federico Tibone Mise en scène : Carole Clin Chorégraphie : Anne-Céline Pic-Savary
Distribution :
Perrine Madoeuf (Anna Elisa) – Julie Morgane (Bella) – Cécile Galois (La Comtesse de Laplace / Caroline)
Samy Camps (Paganini) Jean-Claude Calon (Bartucci) Fabrice Todaro (Pimpinelli) Philippe Béranger (Beppo / Marco) Jean-Luc Épitalon (Le Général d’Hédouville) Joris Conquet (Le Prince Felice) Dominique Desmons (Foletto/ Emmanuel) Antoine Bonelli (L‘Aubergiste/ Le premier gendarme)
Chœur Phocéen – Orchestre de l‘Odéon

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.