D’un diable à l’autre : l’Opéra Comique clôturait la saison dernière avec un Faust particulièrement remarqué avant de nous offrir aujourd’hui une audacieuse présentation des Contes d’Hoffmann venue de l’Opéra National du Rhin.
Titre phare du répertoire, absent pratiquement depuis la production de 1982 (mise en scène par Jean-Pierre Ponnelle), ces Contes nous reviennent enfin.
Œuvre posthume de Jacques Offenbach, créée le 10 février 1881 dans cette même salle, le compositeur n’en verra hélas pas le triomphe dont il rêvait, emporté par la mort quatre mois plus tôt, le 5 octobre 1880.


L’intrigue parfois un peu absconse peut se résumer ainsi :
Nous nous trouvons en lever de rideau dans une taverne proche de l’Opéra de Berlin. Le poète désabusé Hoffmann, flanqué d’une joyeuse troupe d’étudiants, est accompagné de son ami Nicklausse (en fait, sa muse). Il décide de narrer trois de ses intrigues amoureuses, Olympia, Antonia, Giulietta qui ont été source de souffrances, d’autant que son aventure en cours avec la chanteuse Stella ne se présente pas non plus sous de meilleurs auspices.
Ces histoires se terminent mal, scellant le destin malheureux de notre poète.
On découvre avec cette œuvre ambitieuse, dont le livret (inspiré par les contes fantastiques du poète E.T.A. Hoffmann, disparu en 1822) condense plusieurs récits, un Offenbach romantique méconnu (mais que laissaient pressentir Les Fées du Rhin ou Fantasio), loin des opérettes joyeuses et débridées dont il était le maître sous le Second Empire.
Notre avis sur cette représentation
Cette production créée en début d’année à l’Opéra National du Rhin surprend dès le démarrage par l’austérité de la scénographie. Nous nous trouvons dans un espace aux parois peu à peu rétrécies, habillées d’un papier peint défraîchi ; le ton est ainsi donné. Lotte de Beer, la metteuse en scène, nous plonge dans un sombre univers fantastique, aux accents résolument dramatiques. Ce même décor abritera les différentes histoires qui composent l’opéra.

On y admire une poupée géante animée qu’Olympia accompagnera durant son air, puis de nouveau des cadres emplis de noir annonciateurs de la mort d’Antonia, pour enfin retrouver un peu de fantaisie avec Giulietta qui arbore un costume excentrique digne des meilleures revues de music-hall. Ce parti pris de gravité trouve tout son sens dans le regard de Lotte de Beer qui signe avec son équipe créative un spectacle de premier ordre.
Pierre Dumoussaud, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et du chœur Aedes (toujours en mouvements chorégraphiés) donne de belles couleurs à la partition ciselée – jusqu’alors musicalement insoupçonnée – d’Offenbach.
Quant au ténor Michael Spyres en Hoffmann, il revient briller sur la scène de la salle Favart pour la cinquième fois, après (entre autres) les succès du Postillon de Lonjumeau en 2019 ou de Fidelio en 2021. Son indéniable puissance vocale ne cesse de nous surprendre, incarnant un incomparable Hoffmann.

Face à lui, il fallait une soprano tout aussi solide pour figurer l’héroïne. Amina Edris, possédant déjà un riche palmarès de jeune artiste lyrique (Marguerite, Violetta ou Juliette), offre une impressionnante expertise en chant et en dramaturgie. Les quatre héroïnes de ces Contes se fondent, avec cette délicate artiste, en une seule.
Héloïse Mas (dont on salue enfin l’arrivée sur une scène parisienne) en muse et Nicklausse tient avec brio ces fonctions tellement éclairantes dans l’œuvre. Elle nous captive d’emblée par son élégance et par ses talents de conteuse et de chanteuse. Les multi-rôles endossés par Jean-Sébastien Bou (encore un fidèle de la salle Favart), Raphaël Brémard ou Nicolas Cavallier assurent une unité parfaite au plateau, sans oublier Matthieu Justine ou Matthieu Walendzik.
Nous avons été séduits par l’ingéniosité de ce spectacle revisité ; le troisième acte montrant Hoffmann et ses doubles se révèle tout particulièrement inventif et clarifie ces Contes parfois trop intellectualisés dans leur forme.
Philippe Pocidalo
25 septembre 2025
Les Contes d’Hoffmann (Jacques Offenbach)
Orchestre philharmonique de Strasbourg et Ensemble Aedes : direction musicale : Pierre Dumoussaud – Mise en scène : Lotte de Beer.
Décors : Christof Hetzer – Costumes : Jorine van Beek – Lumières : Alex Brok – Réécriture des dialogues et dramaturgie : Peter te Nuyl – Traduction française des dialogues : Frank Harders – Collaboration à la dramaturgie : Christian Longchamp.
Distribution
Hoffmann : Michael Spyres – Stella / Olympia / Antonia / Giulietta : Amina Edris – La Muse / Nicklausse : Héloïse Mas.
Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto : Jean-Sébastien Bou – Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio : Raphaël Brémard – Luther / Crespel : Nicolas Cavallier – Nathanël / Spalanzani : Matthieu Justine – Herrmann / Schlémil : Matthieu Walendzik – La Voix de la Mère : Marie-Ange Todorovitch
Production Opéra national du Rhin – Coproduction Théâtre national de l’Opéra-Comique, Volksoper Wien, Opéra de Reims. Avec le soutien de la Fondation Signature pour la création des décors.