Le Festival Opération Opérette a permis, pour cette édition 2024, à l’association « La Follembûche » de proposer, à l’espace Jean Gagnant de Limoges et en version scénique, Les Bavards, un opéra-bouffe en 2 actes de Jacques Offenbach, rarement repris de nos jours.
─ L’ouvrage
Créés entre Orphée aux Enfers (1858), Le Pont des soupirs (1861) et La Belle Hélène (1864), Bavard et Bavarde voit le jour en juin 1862 à Bad Ems, station thermale d’outre-Rhin où Offenbach, chaque année, a ses habitudes. C’est la saison suivante que l’ouvrage, allongé en 2 actes et renforcé de chœurs, sera monté à Paris aux Bouffes Parisiens, le 20 février 1863, sous le titre Les Bavards.
Dotés d’une riche partition et d’un livret de Charles Nuitter tiré d’un scénario de Cervantes, Les Bavards nous plongent dans une Espagne pseudo-réaliste et une action où se succèdent les péripéties les plus rocambolesques.
L’histoire met aux prises avec les autorités Roland, un jeune hidalgo criblé de dettes et amoureux d’Inès, nièce d’un couple conventionnel, Sarmiento et Béatrix. En recueillant chez lui Roland Sarmiento pense que le jeune homme, dont les dispositions à parler lui paraissent étonnantes, pourra faire pièce à sa femme, une incorrigible bavarde. Il introduit ainsi chez lui l’amoureux de sa nièce. Lorsque Béatrix, excédée par la verve de son alter-ego, sera mise au courant du subterfuge imaginé par son mari pour la faire taire, elle acceptera de mettre au point une scène où toute la famille et les autorités opposeront à Sarmiento une sorte de mur du silence qui le plongera dans l’effroi. Il acceptera en contrepartie du retour à l’ordre et de la confiance réassurée de la fidélité de sa femme, autre source de son trouble, le mariage d’Inès avec Roland et épongera les dettes du jeune homme.
─ Une mise en scène digne de celle d’un opéra
Jean-Pierre Descheix, le metteur en scène, propose un spectacle visuellement élégant, rythmé où le théâtre comme la musique sont sublimés. Si le décor de Martine Goutte reste un peu abstrait (une porte pour le premier acte, un intérieur pour le second) la scénographie s’enrichit de nombreux accessoires fonctionnels (colifichet, éventails, sièges emberlificotés, repas de noces…), des éclairages de Franck Roncière épousant significativement l’intrigue et de superbes costumes issus du fonds du théâtre de la Passerelle.
Découle de ce dispositif totalement maîtrisé une impression de fresque sur laquelle se détachent des personnages bien typés pris dans une action échevelée, la pauvreté de Roland déclenchant les courses poursuites, le bavardage, réel de Béatrix et feint du jeune hidalgo désargenté, les rencontres intempestives.
À l’acte I les registres sont traités avec une théâtralité très vivante : d’abord pour les passages où le chœur intervient, une chorégraphie des pas cadencés pour la poursuite, avant, au final, le ballet très illustratif de « la chaleur accablante ». L’ensemble des créanciers face aux autorités que ponctue l’énergique clausule « Quand on doit il faut qu’on paie » est lui aussi une pure réussite. L’excentricité scénarisée avec justesse caractérise l’entrée de Béatrix, puis celle de Cristobal, l’alcade, et de Torribio. En contraste c’est une mise en scène d’opéra très esthétique qui est privilégiée dans le duetto Inès Roland et le numéro du pacte que nouent Sarmiento et Roland.
L’acte II est une nouvelle montée en puissance. À l’air de Béatrix (« Ouf ! Quel métier ») succède une scène de repas sous la forme d’un très beau quatuor. L’animation, l’amphigouri, les revirements font de cette situation un grand moment de théâtre musical, traité avec maestria. Les textes parlés qui ne dépareraient pas dans une pièce de Molière passent avec un naturel parfait. Jean-Pierre Descheix qui varie les climats fait de la seconde partie de l’acte un moment de loufoquerie scénique (ceux qui ont tant parlé n’aspirent plus qu’à se taire), ouvert par le trio (« Taisons-nous, pas un mot ») et prolongé par les retours de l’alcade et des créanciers (le plateau se remplit comme chez Feydeau) ligués contre Sarmiento.
Cette proposition de mise en scène stylistiquement juste, jouissive et amusante sans racolage, a conquis le public.
─ Une distribution idéale
Après une saison estivale où on l’a applaudi dans La Flûte enchantée, La Bohème et divers concerts, Alfred Bironien est un Roland au jeu vif-argent et filmique ; dans les couplets d’entrée, les duos, l’air en exergue du quatuor (« C’est l’Espagne qui nous donne… », un tube d’Offenbach), c’est toujours la même clarté du timbre et la virtuosité vocale, tout comme dans le dialogue parlé (celui d’un occasionnel bavard!) le phrasé du comédien, qui caractérisent l’appropriation impeccable d’un rôle pas évident.
À ses côtés on ne peut qu’encenser la voix agile et cristalline de Lison Ratier, jeune artiste déjà aguerrie à des rôles difficiles ; on a apprécié le raffinement de la comédienne qui joue malicieusement avec les codes de l’obéissance.
On reste dans le contexte de l’opéra avec la voix large et puissante, au legato sûr, de Fabien Leriche ; son personnage de Sarmiento convainc d’autant plus que l’interprète n’a pas l’âge d’un père d’opéra-bouffe !
Desclauzas avant l’heure, Nathalie Courtioux-Robinier est une Béatrix enflammée, truculente et déjantée à souhait, mais non dépourvue d’accents vocaux bien projetés. L’applaudimètre confirme la performance.
Christophe Gateau est un alcade des mieux croqués, irrésistible, que n’impose pas moins une voix de ténor sonore et ductile. Dans Torribio, Dominique Desmons a cette superbe efficacité scénique qu’on lui connaît, ici dans un rôle dont il souligne les répétitions mécaniques par une voix percutante.
Le chœur ramené à huit interprètes ne prend que plus de relief, chacun assurant une réelle responsabilité vocale. Luc Boutin, Audrey Pépin-Boutin, Morgane Kabiry, Sabine Gandrey trouvent la couleur exacte et l’entrain qu’il faut pour chanter leurs requêtes.
Lola Giry sait au piano faire oublier l’orchestre en restituant une partition d’Offenbach (où l’extension des numéros va au-delà des procédés habituels de l’opéra-bouffe tel que le compositeur le pratique à la même époque) empreinte de sensibilité, de langage comique et de rythme.
Le public venu nombreux sur deux représentations a longuement applaudi la production.
Didier Roumilhac
30 août 2024
Fiche technique
Les Bavards
Piano : Lola Giry – Mise en scène : Jean-Pierre Descheix – Lumières : Franck Roncière – Décor : Martine Goutte – Costumes : Fonds théâtre de La Passerelle
Avec : Lison Ratier (Inès) – Nathalie Courtioux-Robinier (Béatrix) – Alfred Bironien (Roland) – Fabien Leriche (Sarmiento) – Christophe Gateau ((Cristobal) – Dominique Desmons (Torribio)
Les créanciers : Luc Boutin (Figaro), Audrey Pépin-Boutin (Carmen), Morgane Kabiry (Sganarella), Sabine Gandrey (Sacha Pança), Simon Fradet (Pedro), et Florestan Vergnaud, Agnès Gouton, Charles Duverneix.