L’Opéra de Monte-Carlo a repris la production du délicieux Elisir d’Amore représentée in loco en février 2014. Rappelons que celle-ci avait été créée à l’Opéra de Lausanne en octobre 2012 avec des reprises à l’Opéra de Tours en mars 2018 et à l’Opéra de Bordeaux en avril 2022 et même – de manière plus inattendue – aux Chorégies d’Orange en 2023.
L’œuvre de Donizetti comme sa fine écriture belcantiste semble, à priori, mieux s’adapter à la mesure d’une salle fermée plutôt que d’un imposante enceinte de plein air bien qu’à Orange elle s’accommodait néanmoins, avec un certain bonheur, du vaste plateau du Théâtre Antique.
Toutefois, et par nature, L’Elisir d’Amore demeure, par essence, une œuvre intimiste. Cette comédie lyrique qui met en scène les amours contrariés d’un paysan naïf, Nemorino, et de la riche et coquette villageoise Adina, donne lieu à l’intervention de personnages pittoresques comme le sergent Belcore particulièrement prétentieux et infatué de sa personne comme de ses prétendus mérites, et le bonimenteur Dulcamara qui abuse avec une faconde intarissable de la crédibilité des villageois pour leur vendre divers breuvages qualifiés péremptoirement « d’élixir » propre à guérir toutes les maladies physiques et mentales et à apporter le bonheur à tous (alors qu’il ne s’agit en fait que de vin de Bordeaux !)
Les impressionnants éléments décoratifs de Cristian Taraborrelli occupent tout l’espace : L’habituel village où gravitent les paysans de la contrée sont ici en fait, des lilliputiens (qui auraient émigré dans un pays de géants) pareils à de petits insectes qui, par le magnifique tour de main du décorateur, apparaissent de fait comme minuscules face aux éléments de décor : une monumentale roue de tracteur qui occupe l’espace du plancher jusqu’aux extrêmes hauteurs de la scène, une immense pelle incrustée dans le sol, des épis de blé géants sur lequel grimpent de jeunes gens ou un coquelicot démesuré, ainsi que d’énormes fruits comme des fraises, des grains de raisins et autres… Chacun des personnages arbore également un maquillage à la manière des animaux qu’il est censé incarner.
Le metteur en scène Adriano Sinivia nous offre dans une brillante bande dessinée une délirante fantaisie où surgissent de drôles de machines : boite de conserve en forme de tank pour les conscrits de Belcore ou encore celle utilisée par le docteur Dulcamara pour faire une entrée remarquée. Elle est confectionnée autour d’une énorme bouteille de vin propulsée par un ventilateur sous laquelle est installé le rideau d’un mini-théâtre ambulant s’ouvrant sur le flacon précieux. Les costumes de Enzo Iorio séduisent par leur originalité comme les suggestives lumières de Fabrice Kebour. Tout au long de l’ouvrage, le public se trouve sans cesse sollicité par cette faune/flore foisonnante et ces mini personnages. Au deuxième acte, au centre du plateau, un manège tourne avec deux chevaux de bois empruntés d’abord par les enfants (qui sont en quelque sorte les clones de Nemorino et d’Adina) lesquels laissent ensuite place à une séquence particulièrement cocasse où Belcore tente de convaincre Nemorino de s’engager comme soldat.
Le manège se mettant à tourner à l’envers finit par déséquilibrer le présomptueux sergent qui n’en peut mais. Et on pourrait citer encore une multiplicité d’exemples de ce type tant cette production sollicite de manière permanente l’œil du spectateur… Pour tout ce peuple en miniature dont les habitants ne cessent de grouiller à chaque instant, Adriano Sinivia a créé une sorte de chorégraphie entraînant dans un tourbillon effréné l’ensemble des protagonistes et du chœur, le tout réglé au cordeau comme sa direction d’acteur toujours extrêmement pertinente. La proximité de tous les artistes et des choristes dans la salle de l’Opéra de Monte-Carlo permet d’apprécier cette comédie burlesque ainsi que la direction d’acteurs extrêmement précise d’Adriano Sinivia.
Particularité de cet Elisir d’Amore : l’exécution de la partition de Donizetti jouée sur des instruments d’époque : ceux de l’Orchestre des musiciens du Prince-Monaco créé à l’initiative de la directrice Cécilia Bartoli. Pour ceux qui sont habitués à entendre une exécution par des instruments d’aujourd’hui, cela peut surprendre l’oreille mais il faut bien se dire que l’on entend une musique qui se rapproche sans doute à peu près à celle de la création de l’œuvre. Elle est fort bien dirigée par Gianluca Capuano, particulièrement attentif aux instrumentistes comme aux chanteurs.
D’ailleurs ces derniers se révèlent excellents à commencer par Vittorio Grigolo, proposant un Nemorino différent de ce que l’on peut entendre habituellement avec des ténors plus légers (mais n’oublions pas que de Giuseppe di Stefano à Roberto Alagna en passant par Luciano Pavarotti, des ténors disposant d’une voix de consistance davantage « lyrique » ont tous chanté le rôle du jeune paysan ). Avec Vittorio Grigolo – que nous avions particulièrement apprécié, entre autres, dans le rôle de Roméo de Roméo et Juliette aux Arènes de Vérone – nous avons retrouvé cet artiste au tempérament extraverti, au phrasé particulièrement expressif, excellent comédien à la voix ample et sonore et au timbre enjôleur. Ses duos avec Adina sont un pur régal, d’autant que la jeune soprano Francesca Pia Vitale, dotée d’un timbre de charme, fait valoir des qualités de fine musicienne et entendre les nuances requises dans pareil emploi.
Tout le reste de la distribution s’insère dans un rythme pétillant, et comment ne pas admirer pour la énième fois Nicola Alaimo en un Dulcamara irrésistible par sa faconde et son abattage lui qui délivra, sur cette même scène, un Falstaff d’anthologique mais qui s’illustra si brillamment également en Figaro du Barbier de Séville, en Gianni Schicchi mais aussi dans L’Italienne à Alger de Rossini et dans un récital époustouflant où il abordait des rôles des opéras de Verdi. Belle prestation également de Davide Luciano sonore et fringant Belcore. La distribution est complétée par l’efficace Gianetta d’Aitana Sanz. Quant aux choristes, (chef de chœur : Stefano Visconti) – ici véritables protagonistes sans cesse entraînés dans le tourbillon de l’action – ils se sont révélés aussi remarquables sur le plan du théâtre que du chant.
λ tous égards un Elixir succulent que le public conquis a consommé, à juste titre, sans modération.
Christian Jarniat
27 décembre 2024
L’Elizir d’Amore
Direction musicale : Gianluca Capuano – Mise en scène : Adriano Sinivia – Décors : Cristian Taraborrelli – Costumes : Enzo Iorio – Lumières : Fabrice Kebour
Distribution :
Francesca Pia Vitale (Adina)- Aitana Sanz (Giannetta)
Vittorio Grigolo (Nemorino) – Davide Luciano (Belcore)- Nicola Alaimo (Dulcamara)
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo – Les Musiciens du Prince–Monaco