Pietro Mascagni, un compositeur plus prolixe et varié qu’on ne le croit
Lorsque l’on évoque le nom de Pietro Mascagni, la plupart des amateurs d’art lyrique pensent immédiatement à son opéra le plus célèbre : Cavalleria Rusticana (1890), drame sicilien âpre et incandescent devenu emblématique du vérisme. Cette œuvre fulgurante a éclipsé bien des facettes du compositeur italien, le réduisant souvent à ce seul coup de maître.
Pourtant Pietro Mascagni est un musicien bien plus varié et prolixe, capable d’explorer des sujets plus délicats, poétiques ou franchement légers, des ouvrages pleins de grâce, de charme et d’humour. Parmi ces œuvres injustement méconnues : Zanetto (1896) une partition emplie de tendresse et de clairs-obscurs, évitant toute emphase. Autre exemple de cette veine plus légère et théâtrale : Le Maschere (1901), pastiche raffiné de la commedia dell’arte, assortie de rythmes vivaces, et d’une verve satirique qui n’est pas sans rappeler celle d’un Ravel ou d’un Strauss.
Enfin, dans une veine plus populaire encore, Mascagni a composé une véritable opérette, avec Sì (1919), multipliant les danses enlevées, les ensembles pétillants et les mélodies séduisantes. L’orchestration s’y montre piquante, inventive, rythmée, dans un esprit proche des opérettes viennoises ou parisiennes. C’est là un Mascagni malicieux, désireux de séduire sans forcer le trait, qui s’offre à l’auditeur ou au spectateur.

C’est dans cette perspective qu’il faut reconsidérer L’Amico Fritz, comédie lyrique composé à la suite du succès phénoménal de Cavalleria Rusticana, et qui en constitue presque l’antithèse.

L’Amico Fritz : une pastorale lyrique aux accents d’opérette française
Composé en 1891, L’Amico Fritz (d’après le roman de Erckmann et Chatrian) est une œuvre lumineuse, douce et bucolique, l’action se déroule dans un paisible village au rythme des saisons et des amours naissantes. L’histoire est simple à dessein : un riche célibataire, Fritz Kobus, finit par tomber amoureux de Suzel, jeune fille du village, malgré ses protestations initiales contre le mariage. David, personnage bienveillant et malicieux, agit comme entremetteur dans cette intrigue sentimentale aux allures de comédie légère.
Tout dans cette œuvre évoque le ton de l’opérette française, élégante, souriante et empreinte d’un charme discret. Il y a dans L’Amico Fritz quelque chose d’une Véronique d’André Messager ou d’une Ciboulette de Reynaldo Hahn, tant par la nature champêtre du cadre que par la tendresse des relations humaines esquissées. Le raffinement orchestral, les couleurs légères, les danses rustiques subtilement stylisées, les dialogues chantés insérés avec naturel ; tout cela aurait pu jaillir de la plume d’un compositeur parisien amoureux des paysages du terroir et des sentiments candides. Le célèbre duo des cerises de l’acte 2 est devenu emblématique de cette atmosphère tendre et lumineuse. Plus qu’un simple moment de séduction, c’est un véritable poème pastoral, dans lequel les lignes mélodiques se tressent avec la délicatesse d’un chant populaire idéalisé.
Une mise en scène au diapason de l’œuvre
Le pari était risqué : comment maintenir l’intérêt dramatique dans une œuvre dont le ressort narratif principal réside dans la lente germination d’un sentiment amoureux ?
Dans sa mise en scène, Jeanne Pansard-Besson a eu l’intelligence de ne jamais forcer le trait comique ni sentimental : tout repose en l’occurrence sur des gestes mesurés, des regards échangés, des hésitations délicates. Le jeu théâtral, sobre et fluide, laisse respirer la musique, et permet à l’émotion de s’installer sans artifice. Le personnage de David – ici le maire du village – souvent traité comme un simple amuseur, gagne en profondeur, son rôle de catalyseur de l’amour prenant une belle dimension affective.
Une prestation musicale d’une rare finesse
L’un des plus grands mérites de cette production réside dans la prestation musicale. L’excellent Orchestre Philharmonique de Nice et ses talentueux musiciens, rompus à un large répertoire symphonique et lyrique déploient en la circonstance une palette de couleurs d’une richesse constante, jamais clinquante, toujours soucieuse d’une parfaite osmose et d’un subtil équilibre avec les voix sous la baguette de la cheffe polonaise Barbara Dragan

Une distribution vocale équilibrée et investie
Le ténor Davide Batiniello incarnant Fritz Kobus fait valoir une voix au timbre clair, une émission souple et nuancée et une interprétation scénique opportunément en réserve.
Tout concourt à faire de la Suzel de Charlotte Bonnet une révélation dans pareil rôle : fraîcheur vocale, naturel scénique, émotion pudique : une héroïne à la fois crédible et touchante d’un naturel scénique remarquable doublée d’une voix ductile et puissante. Son air du deuxième acte, au moment de la cueillette des cerises, fut un sommet de musicalité.
En David, le baryton, Ivan Thirion, voix puissante et expressive, dessine avec brio et humour un personnage central de la trame. Noelia Ibanez campe un pittoresque et bien chantant Beppe faisant merveille dans son aria précédé du solo interprété avec sensibilité par la première violoniste de l’orchestre. Les personnages secondaires sont incarnés avec un soin particulier : chacun d’eux contribuant à créer un univers vivant, attachant, sans jamais surjouer.

Le public du Festival Opus Opéra a été ému par la grâce de cette « journée ensoleillée d’été » comme la qualifie le programme de salle de cet Amico Fritz réservant à l’ensemble des protagonistes des applaudissements prolongés, preuve que l’œuvre, dans cette interprétation, a su toucher par sa douceur, sa sincérité, et son charme.
Philippe Pocidalo
17 Juillet 2025
L’Amico Fritz (Pietro Mascagni)
Orchestre Philharmonique de Nice, direction musicale : Barbara Dragan – Mise en scène : Jeanne Pansard-Besson.
Distribution :
Davide Battiniello (Fritz) – Charlotte Bonnet (Suzel) – Ivan Thirion (David) – Noelia Ibáñez (Beppe) – Alan Starovoitov (Hanezò) – Pierre Eladlia (Federico) – Milena Lohachova (Caterina).