Les Mus’Arts de Tourcoing ont ouvert la saison 2025-2026 avec une très agréable Veuve joyeuse, l’éternel succès de Fran
z Lehár.
Créée le 28 décembre 1905 à Vienne (livret de Leo Stein et Victor Léon d’après L’Attaché d’ambassade, vaudeville d’Henri Meilhac), l’opérette triomphe sans mal et se joue aussitôt sur toutes les scènes du monde. Traduite en français et « parisianisée » par Gaston Arman de Caillavet et Robert de Flers (la transcription des lyrics avait été confiée à Jean Bastia, alors secrétaire de Caillavet, mais son cité sur l’affiche), elle est jouée le 28 avril 1909 au théâtre de l’Apollo, avec dans les rôles principaux, Miss Constance Drever (créatrice de Missia à Londres l’année précédente) et Henri Defreyn. Depuis, cette opérette n’a jamais quitté le répertoire des théâtres français, malgré une légère bouderie après le deux guerres mondiales.
Philippe Ermelier à qui la mise en scène de cette Veuve a été confiée à Tourcoing, s’est montré respectueux du livret, purgé cependant de certaines longueurs du dialogue, et a monté l’ouvrage sans extravagances « moderniste » mais en y incluant quelques jeux de scène inédits, la réunion de toute la gens masculine dans le septuor-marche « Le jour qu’ Eve écouta le malin » ici devenu octuor, l’introduction d’un jeune homme barbu habillé en femme dans le milieu interlope de chez Maxim’s, et quelques clins d’œil discrets à l’actualité (tel le lapsus de macronie au lieu de Marsovie). Si le « duo du cavalier », agréable mais indépendant de l’intrigue, a été coupé, habitude désormais fréquente, le petit chœur féminin de l’acte III « Vieux papillon regarde » a été maintenu. Notons aussi les évolutions des nombreux choristes, jamais statiques, dont certaines chanteuses étaient chargées des petits rôles, notamment ceux des épouses auxquelles Danilo propose un éventail égaré.

Avant d’évoquer les prestations des interprètes donnons dès maintenant un grand coup de chapeau aux trois chorégraphies d’Annie Savouret dansées par le Carolo King Ballet ; tout d’abord les évolutions des danseuses étoffant la valse du bal de l’ambassade, puis le ballet aux superbes costumes précédant « la Chanson de Vilya » au début de l’acte deux et enfin le superbe cancan de chez Maxim’s, dansé sur un pot-pourri de tous les airs enlevés de l’ouvrage, numéro au cours duquel les 13 danseuses et danseurs nous ont offert un véritable catalogue des figures attendues : sauts, grands battements, chandelles, roues, cabrioles, ports d’arme, saute-moutons, pas de charge et bien sûr grands écarts, les danseurs se réservant les figures les plus acrobatiques. Un grand moment d’enthousiasme longuement applaudi que les spectateurs ne sont pas prêts d’oublier !

La réussite de cette représentation doit beaucoup, évidemment, au talent de ses interprètes et tout d’abord à Laurence Janot qui incarne une Missia Palmieri bonne fille blasée des mondanités et des convenances affectées et le montrant. Son chant raffiné démontre ses qualités de grande interprète, alliant vaillance dans les ensembles, sentiment retenu dans « Heure exquise », duo que je trouve toujours trop court, et superbes sons filés dans « la chanson de Vilya. »
Son partenaire, Xavier Flabat, campe un Danilo Danilovitch très crédible, aussi bien dans son jeu évoluant selon les rebondissements de l’action que dans son chant bien maîtrisé grâce à une tessiture large, passant du mondain décontracté et narquois dans son air d’entrée « Ninon, Manon, Suzon… » évoquant ses amours de cabaret, à l’amoureux se croyant trahi dans la chanson « Jean-Pierre adorait Jeannette » dans laquelle le héros transpose la déception amoureuse qu’il n’ose avouer ouvertement, et si le spectateur sait qu’elle n’est pas fondée, elle en reste néanmoins très touchante.

Le second couple ne manque pas non plus de qualités. Laura Baudelet (soprano chantant par ailleurs Faust ou le Requiem de Mozart) est une Nadia élégante, au chant soigné (mais à l’articulation à améliorer) et qui s’amuse à orner son air d’entrée de vocalises fantaisistes ; la voix est cependant assez solide pour dominer les ensembles de ses aigus puissants. Dans cet ouvrage, les duos de Nadia et de Camille de Coutançon, son soupirant, tiennent une place aussi importante que ceux de Missia et Danilo et ont ici été bien défendus avec son partenaire, le ténor Alfred Bironien, aussi agréable comédien (lors de sa présentation forcée à Missia), que chanteur, notamment dans le duo « Viens dans ce joli pavillon ».
Outre son travail de mise en scène, Philippe Ermelier interprétait un baron Popoff débonnaire et tout en rondeur, savourant les situations comiques des maris trompés avant de réaliser que c’était peut-être son cas, mais finalement rassuré par un écrit sur l’éventail de sa prudente épouse. Son secrétaire, Figg, revenait à Étienne Pladys et les deux prétendants à la fortune de Missia, à Sacha Chardon en D’Estillac et à Sylvain Durand-Soriano en Lérida ; quant à Manon, dont l’air « La chanson des petites femmes » ouvre l’acte III, elle était interprétée avec beaucoup d’entrain par Manon Cartier entourée par les danseuses en prélude au spectaculaire cancan.
Les vingt musiciens de l’orchestre étaient placés sous la direction du chef d’orchestre des Mus’Arts, Pascal Chardon qui sut animer cette partition de toute son énergie.
En fin de spectacle, un hommage fut rendu à Michel Ferrer qui, outre un Danilo mémorable, fut l’organisateur apprécié des spectacles lyriques du théâtre de Tourcoing pendant de très nombreuses années. Cet hommage fut suivi par la présentation par Étienne Pladys des deux spectacles à venir, Dédé (le 25 janvier 2026) et Méditerranée (le 1er mars suivant) dont les airs les plus connus furent repris par toute la salle.
Bernard Crétel
9 novembre 2025

La Veuve Joyeuse (Franz Lehár)
Mise en scène : Philippe Ermelier – Direction musicale : Pascal Chardon – Chorégraphie : Annie Savouret avec le Carolo King Ballet – Chœur des Mus’Arts – Costumes : ATL Productions.
Distribution :
Laurence Janot (Missia Palmieri) – Laura Baudelet (Nadia) – Xavier Flabat (Prince Danilo) – Alfred Bironien (Camille de Coutançon) – Philippe Ermelier (Baron Popoff).
Étienne Pladys (Figg) – Sylvain Durand-Soriano (Lérida) – Sacha Chardon (D’Estillac) – Patrick Montagne (Kromski) – Manon Cartier (Manon) – Dominique Payement (Olga) – Marie-Josée Tournon (Sylviane) –Chantal Chevaleyre (Prascovia) – Ludovic Crombé (Bogdanovitch) – Bernard Pladys (Pritschitch) – Romain Drouet (le gérant de chez Maxime).




