La Périchole, Festival de Bruniquel

La Périchole, Festival de Bruniquel

Photos : Joëlle Faure

Le Festival des Châteaux de Bruniquel poursuit allègrement son œuvre salutaire de vivification du répertoire offenbachien. Après le rare Château à Toto de l’été passé c’est vers un ouvrage bien assis sur sa réputation que l’attention s’est tournée cette année avec la Périchole.

L’intitulé opéra bouffe n’est pas anodin. Il témoigne moins d’une bouffonnerie débridée que de l’aspiration à un statut dramatique d’une certaine ambition. Entre une première mouture de 1868 et la version définitive de 1874 le vent de l’histoire a soufflé brutalement. Sedan a signé la mort du Second Empire et la Troisième République prend son essor tant bien que mal après les événements sanglants de la Commune. Le caractère mi-figue-mi-raisin de l’histoire de ce couple de gueux malmenés par un autocrate sans scrupules, loin de s’adoucir avec la version révisée et complétée, tend à prendre des couleurs quelque peu sombres. Le refus très offenbachien de s’abandonner au pathos, compensé par une ironie élégante bien que féroce, fait de cette Périchole un modèle du genre. Le sujet de par sa nature conserve (hélas!) une actualité qui dispense de tout souci d’actualisation laborieuse.

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Photos : Joëlle Faure

Frank T’Hézan, assisté de Thibaut et César T’Hézan, a opté pour une adaptation et une mise en scène très soucieuses de ne pas dénaturer l’ouvrage. Elles s’appuient sur l’esprit « il était une fois… » : Une volée de gamins réclame à un Pantalone, curieusement japonisant et très haut sur pattes (Thibaut T’Hézan), de tenir la promesse de donner vie à quelques marionnettes grandeur nature : une chanteuse des rues et son amoureux, un vice-roi etc. Les éléments du conte sont là avec un de ces objets pourvoyeurs de rêves qui lui sont propres : le coffre dans lequel les petits subissent les métamorphoses qui accompagnent l’entrée dans ce domaine. Les marionnettes humaines à leur tour se feront marionnettistes au cours de leurs aventures (« Mise en abyme » dirait-on sur France Culture). Aussitôt surgit de la nuit à peine tombée toute une troupe chatoyante de couleurs et de gaieté, et c’est parti dans un tourbillon de musique !

Ce qui frappe d’emblée c’est la richesse des costumes, leur fantaisie, leur beauté aussi. Le Pérou est un nom comme un autre pour ce (vice)royaume qui n’a rien à faire d’un quelconque réalisme ethnologique ou historique. On voit à quel point sont proches précisément le conte et l’opérette dans leur géopolitique. L’un comme l’autre d’ailleurs ont bien des choses à dire sans avoir à pontifier. Cela n’empêche pas une belle adéquation entre les protagonistes et leur tenue, sans folklorisme aucun. On ne peut entrer dans le détail mais on remarque le côté hispanisant du couple central, ou le côté très réussi du tandem Gouverneur-Premier gentilhomme où le costume accentue le contraste physique dans un style justement très illustration de conte de fée.

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Photos : Joëlle Faure

Il en va de même pour la scénographie qui adopte les codes attendus : le trône est doré, la prison n’est que barreaux et chaînes. L’option de départ des marionnettes à fils trouve un très original et stimulant prolongement symbolique dans la présence marquante de toutes formes de liens : cordes et chaînes. Il y a bien sûr la corde au cou du pauvre Piquillo, mais aussi celle qui attache l’héroïne, puis le Vice-Roi. Contrairement au livret où le geôlier déclare : « il n’est pas lié madame » ici au contraire Piquillo est non seulement attaché à de (lourdes) chaînes mais le geôlier précise « il est enchaîné comme tous ici ». Il y a aussi les deux cordes qui en guise de rênes brident deux fougueux hommes à tête de cheval, étrange et onirique image accompagnant « Le muletier et la jeune personne ». Un psychanalyste s’en régalerait ! Voulu ou non, conscient ou non, heureux hasard ou contrainte matérielle, inspiration, (le spectateur n’en sait rien) ce thème visuel est bel et bien là, il n’est pas sans répercussion sur l’effet général et constitue une belle charpente dramaturgique à l’ensemble.
On le retrouve dans l’apparition, surgissant du coffre du départ, d’un vieux prisonnier devenu pour l’occasion « vieille prisonnière nymphomane » entourée des chaînes qu’elle a sciées et qui s’en trouve tout à fait déchaînée. Cette conversion de genre inattendue fonctionne parfaitement, sans doute parce que poussée jusqu’au bout de sa logique qui est précisément celle de la libération des pulsions. Le Vice-Roi ne présente-t-il pas le manque d’inhibition propre aux enfants capricieux et aux dictateurs de tout poil ?

Le travestissement initial du Vice-Roi en « docteur » devenu travestissement en « artiste peintre » permet d’expliciter plus nettement les rapports du prédateur à la personne physique de sa proie et les stratégies pour y parvenir. La transposition semble cependant moins convaincante même si elle donne lieu à de belles images.

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Photos : Joëlle Faure

C’est une production bien rodée que l’équipe de Bruniquel présenta ce 6 juillet, marquée par le tour de force de Sébastien Lemoine (Le Vice-Roi) qui tint son rôle jusqu’au bout en dépit d’un très handicapant lumbago, épaulé efficacement, mine de rien, par ses camarades. Son chant n’en fut pas perturbé et prit au contraire de beaux accents dans la scène de la prison. Le personnage acquit de ce fait une couleur inattendue, il y avait un peu du Roi se meurt dans la visible peine à aller de l’avant malgré tout. C’est ce qu’on appelle la conscience professionnelle.

Toute la distribution collait physiquement, vocalement, dramatiquement aux personnages. Emmanuelle Zoldan possède la tessiture et la couleur vocale qui conviennent parfaitement au rôle. Elle sait, chose difficile, allier le beau son à l’expressivité. Elle possède l’intelligence et la technique du dire en chantant et rend palpable le génie de l’écriture vocale offenbachienne.
Xavier Mauconduit de son côté incarne un Piquillo aux sentiments instables. Il y a du Don José en puissance dans ses accès de jalousie ou de désespoir. Il garde cependant toujours la maîtrise de son chant et sait passer de l’élégiaque à la vaillance avec de beaux aigus percutants. Leur confrontation dans les moments de tension est d’autant plus puissante que l’inévitable sonorisation leur permet des face à face libérés du souci de projection de la voix vers le public.

Jeanne-Marie Lévy se détriple en se faisant tour à tour cabaretière d’opérette, duègne teutonisante et surtout vieille prisonnière emportée par un tsunami sensuel. Son numéro est d’une drôlerie irrésistible. Les trois cousines (Aurélie Fargues, Morgane Bertrand, Margot Fillol) semblent assez être de vraies cousines tant au physique qu’au vocal, avec une appréciable diction. Le tandem Christophe Crapez/Till Fechner est plus que convaincant c’est un vrai numéro de duettistes auquel ils se livrent. Le binôme notarial (Frank T’Hézan/Dominique Desmons), sert de faussement austère contrepoint. Dominique Desmons changeant de défroque est un assez pervers Seigneur Tarapote. Les contes de fées et les opérettes sont pleins de ces mauvais génies. Thibaut T’Hézan en grand tireur de ficelles établit un lien de complicité palpable avec les enfants qui jouent avec un naturel réjouissant.

On ne peut détailler ni le réglage et la fluidité des déplacements des « masses », ni l’engagement des chœurs, ni les épisodes dansés, les jeux de scénographie et de lumière. Tout cela va de l’avant sans temps morts. Les condition du plein air et leur conséquent recours à la sonorisation (bien gérée) crée toujours une petite frustration qui doit d’ailleurs varier suivant la distance entre spectateur et chanteurs. On fait avec.

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Photos : Joëlle Faure

Jean-Christophe Keck tire lui aussi, à sa façon les ficelles maîtresses de cette très belle Périchole, et lui insuffle ce qui en fait l’âme. On retrouve la même reconfiguration orchestrale déjà appréciée par le passé. Elle se démarque d’une routinière réduction par son originalité marquée par une dominante de vents limitant les cordes à un seul violon (et une contrebasse) auquel s’adjoint un clavier. L’ensemble sonne très bien dans le cadre particulier de Bruniquel. Curieusement les interventions du violon en sont rehaussées et lyriquement potentialisées. La forte intimité du chef avec le compositeur se perçoit dans l’évidence qui se dégage de l’ensemble de ce qu’on entend. C’est le cas par exemple dans le tempo irrésistible du « Je t’adore brigand… ». Ce sont des choses qui se sentent et ne peuvent s’analyser, il porte littéralement la lente avancée de la Périchole vers un Piquillo dépassé par les événements et élève le personnage à une tout autre dimension humaine. Les intermèdes musicaux permettent de découvrir ce qu’on pourrait peut-être, faute de mieux et sans ironie aucune, appeler audacieusement le flonflon élégant. Ils sont autant de respirations bienvenues.

Belle réussite donc que cette Périchole programmée pour huit représentations.

Gérard Loubinoux
6 juillet 2025

La Périchole, Jacques Offenbach

Adaptation et mise en scène : Frank T’Hézan et Thibaut et César T’Hézan – Direction musicale et orchestration : Jean-Christophe Keck – Ensemble orchestral et chœur du Festival des châteaux de Bruniquel – Pianiste chef de chant : Yoshiko Morial – Chefs de choeur : Jeanne-Marie Lévy et Till Fechner – Costumes : Guillaume Attwood et son équipe – Eclairages : Richard Escargota
Distribution :
La Périchole : Emmanuelle Zoltan – Anathilda, Ninetta, la vieille prisonnière :Jeanne-Marie Lévy – Guadalena : Aurélie Fargues – Berginella : Morgane Bertrand – Mastrilla :Margot Fillol
Piquillo :Xavier Mauconduit – Don Andres : Sébastien Lemoine – Gouverneur de Lima :Cristophe Crapez – Premier gentilhomme :Till Fechner – Premier notaire :Frank T’Hézan – Second notaire, Tarapote : Dominique Desmons – Pantalone :Thibaut T’Hézan.

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