Ars Lyrica, compagnie dont nous avions gardé un excellent souvenir avec leur précédent spectacle, Chantons sous la pluie, nous propose une nouvelle production avec La Mélodie du bonheur. Son fondateur Mohamed Yamani (également directeur artistique et scénographe) assure depuis 2006 la promotion des jeunes talents belges.
L’ouvrage voit sa création à Broadway en 1959 (1443 représentations en continu) et constitue en quelque sorte le testament du duo gagnant Rodgers et Hammerstein qui avait livré, dès 1943, des chefs-d’œuvre tels qu’Oklahoma ! Carousel, The King and I ou South Pacific.
Mary Martin, égérie des auteurs, tint le rôle-titre de Maria durant de longs mois, avant qu’une non moins triomphale adaptation cinématographique ne voie le jour en 1965, hissant Julie Andrews au sommet de la gloire. Le film remportera cinq oscars, devenant ainsi la comédie musicale la plus populaire jamais réalisée.
De nombreuses reprises eurent également lieu à Londres – dont une en 1981 avec Petula Clark en vedette – et la Belgique et la France la montent régulièrement depuis les années 70 ; signalons la production du Théâtre du Châtelet de 2009, particulièrement réussie, dont une des Maria n’était autre que la soprano Julie Fuchs.
Ars Lyrica, fondée en 2006, avait déjà mis à son répertoire l’ouvrage par deux fois, en 2009 et 2013. Johann Nus, metteur en scène et chorégraphe, nous propose cette nouvelle présentation. Spécialiste du genre (Les Parapluies de Cherbourg, Into the woods, Les Producteurs…), il fait le choix de restituer, par une scénographie dépouillée et par un éclairage froid, la tension qui régnait à l’avènement du nazisme en Europe. Le parallèle s’impose ainsi avec celle qu’hélas, nous vivons actuellement, à travers les pays tristement envahis.
Maria, notre héroïne, symbolise l’espoir d’une paix à reconquérir et d’une liberté en danger qu’il est urgent de retrouver. Elle illuminera le quotidien de la famille Von Trapp par son optimisme et sa grande joie de vivre, étayés par une confiance en elle, communicative et bienveillante. Dans ce rôle attachant, nous retrouvons Marina Pangos, interprète idéale pour les moments de bonne humeur et d’émotion, comme elle sait si bien le faire à chacune de ses prises de rôle (Eliza de My Fair Lady, Cathie de Chantons sous la pluie, Anita de West Side Story…). Sa finesse de jeu et sa voix enchanteresse font de cette artiste un élément incontournable dans le répertoire tellement exigeant de la comédie musicale. Elle alterne avec fluidité le parler français et l’anglais pour les chansons (excepté le fameux Do Re Mi).
(photo Pierre Bolle)
Le choix de ses partenaires reste au même niveau d’exigence. Gaétan Borg incarne un sombre Capitaine Von Trapp, dépassé et désespéré de voir son pays basculer dans le chaos. Récemment applaudi dans Sunset Boulevard ou dans Anatole et les manèges de l’amour, il nous convainc totalement.
Il en va de même pour les ambitieux, calculateurs et diaboliques complices joués par Marie Glorieux (Elsa Schraider) et David Jean [voir son interview dans cette rubrique] (Max Detweller). Ce duo, uni dans l’opportunisme le plus total, flaire très vite le vent du nazisme qui se lève sur l’Autriche. Ils se révèlent – comme toujours – parfaits dans leur emploi et nous sommes heureux de les retrouver dans cette aventure. Nous avons apprécié leur chanson How can love survive ? Cependant, quel regret de voir passer à la trappe leur deuxième air, No way to stop it (qu’ils sont censés interpréter avec le Capitaine), qui éclaire mieux, au sein de l’intrigue, la situation désastreuse se profilant à l’horizon.
Marie-Catherine Baclin campe une Mère Abbesse fort crédible, les jeunes tourtereaux Léa Verbrugghen (Liesl) et Jean-Charles Gosseries (Franz) s’avèrent tout à fait charmants dans leur numéro musical You are sixteen going on seventeen.
Nous connaissons et apprécions la comédienne Anne Richard ; elle se trouve ici aux manettes de la direction d’acteurs ainsi que de la mise en scène aux côtés de Johann Nus, laquelle mise en scène est réglée au cordeau, sans aucun temps mort.
La vigoureuse direction musicale, assurée par le chef Daniel Glet, permet de savourer à nouveau tous ces airs – gravés à jamais dans nos mémoires ! Nous n’avons hélas pas pu applaudir à la fin du spectacle les musiciens (restés au fond de la scène) : nous en sommes bien désolés.
Cette Mélodie du bonheur prendra la route dès 2024 et fera la joie de nombreux spectateurs au cours de cette tournée.
Désormais un classique indémodable, dont l’intrigue est malheureusement redevenue d’actualité, cet ouvrage met le doigt sur la vigilance que nous devons garder en 2023. Les événements dépeints ne sont – hélas ! – pas si lointains, et porteurs des conséquences que nous connaissons. Ce spectacle plus que réussi nous a réellement comblés !
Philippe Pocidalo
17 décembre 2023