La Flûte enchantée, Soustons
mardi 16 juillet 2024

La Flûte enchantée, Soustons

“La Flûte enchantée”  (© Vincent Lajus)

La 23ème édition du Festival Opéra des Landes, à Soustons, se déroule du 15 au 25 juillet 2024 sous la nouvelle direction de Yassine Benameur. En plus d’un vaste programme de concerts, récitals et chœurs, deux ouvrages lyriques, parmi les plus prisés du public, ont été proposés : La Vie parisienne de Jacques Offenbach, production, ayant déjà largement rencontré son public et provenant d’« Opéra éclaté », et La Flûte enchantée (Die Zauberflöte) de Mozart,  une reprise de la mise en scène d’Éric Perez donnée, après Saint-Céré, dans de nombreux théâtres mais, ici, avec une nouvelle distribution.

Doit-on reconnaître un ouvrage léger (un opéra-comique ou une opérette, par exemple) à ce qu’il y ait des parties parlées conséquentes ? La Flûte enchantée créée en 1791 au theater auf der Wieden, situé dans les faubourgs de Vienne, en comporte de substantiels dans les premières parties des deux actes (les finales développés occupant ensuite une bonne place). Ces textes parlés relient airs, trios, quintettes et contribue à la lisibilité de l’intrigue. Dans le cadre d’un opéra national que Mozart voulait créer dans la forme du singspiel, le texte était en allemand. D’où l’idée très pertinente d’en donner, à Soustons, une traduction et adaptation françaises. La totalité de La Flûte enchantée a d’ailleurs bénéficié de plusieurs versions dans notre langue.(/span>

L’ouvrage

Il a longtemps été donné en français. La première occurrence est une version tronquée donnée à la salle Montansier sous le titre des Mystères d’Isis (1801). Viendront ensuite les versions du Théâtre Lyrique du Châtelet de Nuitter et Beaumont (1865), celles de l’Opéra-Comique en 1879, puis 1909 (livret de Ferrier et Brisson). À la Gaîté Lyrique en 1912, retour à Nuitter et Beaumont. Jusqu’aux années 1960 l’ouvrage sera donné au Palais Garnier toujours avec un texte français (Prodhomme et Kienlin) et pour la première, en décembre 1922, sous la direction musicale de Reynaldo Hahn.

Très paradoxalement La Flûte enchantée est une œuvre testament représentée le 30 septembre 1791 (quelques jours après La Clémence de Titus à Prague) alors que Mozart devait décéder le 5 décembre suivant. Le message universaliste délivré fait penser à Parsifal dont le contenu spirituel avait conduit Wagner à demander qu’on n’applaudît pas à la fin de la représentation. Dans La Flûte la philosophie de l’Aufklärung (notre Siècle des Lumières) est insérée dans une intrigue échevelée, féerique, comique, carnavalesque.

Qu’on en juge par le survol de l’intrigue. Grand invariant du conte, au départ le conflit entre La Reine de la Nuit, dépossédée de son pouvoir, et Sarastro, le gardien du temple de la Sagesse. Ce dernier a enlevé Pamina à la Reine de la Nuit, sa mère, pour la protéger des maléfices. La Reine de la Nuit demande à Tamino, un prince qu’elle rend épris de sa fille, de lui ramener Pamina. Tamino, d’abord rebelle face à Sarastro, va accepter de se faire initier aux mystères d’Isis et Osiris en y associant Pamina. Le personnage repoussoir de Papageno, futur partenaire de Papagena, donne du relief au parcours triomphant des deux impétrants alors que lui-même échoue piteusement.

La mise en scène d’Éric Perez

Constamment animée, vivante et colorée, la mise en scène est placée sous le signe du masque et du jeu. La proposition sait nous intéresser à l’action. Le choix de transposer le texte allemand (il s’agit en l’occurrence de parlé et non de récitatifs) en français rapproche le récit du spectateur qui pénètre dans l’univers des personnages.

La scénographie de Patrice Gouron est simple mais pertinente. Le dispositif part d’un damier qui verra ses couleurs et sa configuration évoluer avec les épreuves que traversent les personnages qui s’échappent pour mieux revenir, se dérobent pour mieux se montrer. La magie provoquée par la flûte ou le glockenspiel fait entrer dans le monde féerique queLa Flûte enchantée met au premier plan. L’instrument à vent génère les animaux masqués, le glockenspiel déclenche la folie d’esclaves déjantés (l’effet a été applaudi). Le côté singspiel est souligné par l’entrain et la légèreté des personnages, Pamina et Tamino en costumes très commedia dell’arte au deuxième acte, Papageno et Papagena en mode comédie musicale aux costumes et allures pop, les trois dames excentriques à souhait. Les costumes très imaginatifs sont signés Jean-Michel Angays.

Flute 2
(© Vincent Lajus)

Le pan liturgique de l’œuvre n’est pas pour autant laissé de côté même si une réduction a dû être opérée pour ne pas amoindrir l’effet du chœur des prêtres avec un effectif qui n’en n’aurait pas eu l’ampleur et la noblesse. Néanmoins le chœur installé en contrebas enchâsse le spectacle et en fait un objet d’enjeux philosophiques. Les trois portes des temples sont là et la pensée de l’Aufklärung est d’autant mieux ressentie qu’elle n’est pas pompeuse. Les épreuves sont bien identifiées et leur mise en scène est représentée pour les deux dernières sous les espèces du Feu et de l’Eau, cette dernière puisée comme l’eau d’une onction. L’ acte II, initiatique de bout en bout et qui voit les personnages allongés, rappelle (dans une pièce aux enjeux souvent tragiques) le thème central de La Flûte enchantée : celui de la mort à soi-même. Éric Perez a su ne pas faire de ses personnages des allégories, des emblèmes, mais les fait exister avec leur personnalité propre. Si Monostatos n’est que caricature, la Reine de la Nuit n’est sans doute pas que colère et méchanceté ; Tamino et Pamina ont la fibre d’adolescents écorchés vifs qui vivent au rythme d’événements qui les dépassent avant qu’ils n’en reprennent la maîtrise ; Sarastro est double, les trois dames aguicheuses en diable, les Enfants bons génies malicieux…

Les voix

Les voix de La Flûte enchantée semblent entrer dans des cases relatives à différents types musicaux, mais que bien des interprètes transcendent, ce qui est le cas du plateau engagé, jeune et brillant, réuni à l’Opéra des Landes.

Tamino et Pamina incarnent l’« opéra seria ». Le ténor américain Mark Van Arsdale a le timbre plein et articulé qui donne à Tamino l’empreinte musicale d’un rôle qui va passer du sentiment amoureux de son premier aria (l’air du portrait) aux accents héroïques qui culmineront dans les dernières épreuves après avoir traduit dans de fabuleux ariosos les interrogations surgies dans son parcours ; la voix est rayonnante, le personnage est au plus juste dans ses affects et sa théâtralité.
Pamina passe elle aussi par toutes sortes d’étapes. Coupée de sa mère au premier acte, elle n’avance vers la sagesse et l’amour qu’après un deuxième acte avec ses retours en arrière. Sonia Menem est la Pamina idéale aux harmoniques riches, au timbre clair et à la projection toute en élégance ; le personnage est à la fois dans l’intensité et le beau chant comme en témoigne l’air « Ach, ich fühl’s » très applaudi à l’acte II.
On a aussi les rôles hors normes qu’illustre avec une maestria sans égale la Reine de la Nuit de Marlène Assayag ; les vocalises jointes aux hauteurs stratosphériques (contre fa) n’ôtent rien au personnage de son engagement, tout en soulignant les déterminismes qui différencient psychologiquement ses deux airs.

Matthieu Toulouse est un Sarastro d’une réelle présence, à la ligne de chant pure, aux accents nobles et puissants.
Le Pagageno de Lysandre Châlon a indiscutablement marqué le public ; on voit ce qu’apporte à ce rôle la voix de baryton basse baignée dans le baroque et que l’interprète met au service de l’emploi bouffe avec un art accompli ; le jeu réjouissant couronne l’éclat vocal. Le public ne s’y est pas trompé à l’applaudimètre.
Morgane Bertrand habituée à triompher dans l’opérette vocale (elle est une Gabrielle survoltée dans La Vie parisienne dans ce même festival) est parfaite en Papagena.

Monostatos entre moins dans une catégorie vocale prédéterminée, ce qui laisse une certaine latitude à l’interprète. Le remarquable comédien (avec des expressions dignes des meilleurs hits fantastiques) comme le chanteur percutant qu’est Alfred Bironien ne peut faire du rôle qu’un grand moment de théâtre chanté.
Les trois dames Pauline Jolly, Aviva Manenti, Olga Bystrova interviennent avec toute la vigueur vocale voulue et le jeu dynamique qui va avec.
Andoni Etcharren met un très beau phrasé au service du Sprecher et de l’homme d’armes ; dans ce rôle gémellaire Fabio Sitzia est également doté du legato voulu, les deux interprètes apportant un plus dramatique.
Le public a fait un sort particulier aux enfants du conservatoire des Landes, Elie Marmier, Léna Smaili et Luis Casamayou, qui excellent dans des rôles qui n’ont rien d’évidents.

La direction musicale de Gaspard Brécourt fait ressortir la musique pure (qui regarde vers les pièces instrumentales de Mozart et l’oratorio pour le pan liturgique) mais elle est aussi soucieuse du théâtre propre à l’univers du singspiel ; les 15 pupitres sont autant de solistes faisant étinceler la partition.

À l’orchestre et son chef comme à l’ensemble du spectacle ont été les applaudissements nombreux d’un public qui semble viscéralement attaché à ce beau Festival Opéra des Landes.

Didier Roumilhac
16 juillet 2024

Fiche technique

La Flûte enchantée
Direction musicale : Gaspard Brécourt – Mise en scène : Éric Perez – Chef des chœurs : Valérie Esparre – Décor : Patrice Gouron – Costumes : Jean-Michel Angays – Lumière : Joël Fabing Chœur et orchestre Opéra des Landes.

Avec : Sonia Menen (Pamina) Marlène Assayag (La Reine de la Nuit) – Morgane Bertrand (Papagena) – Pauline Jolly (1èredame) Aviva Manenti (2e dame) –  Olga Bystrova (3e dame)
Mark Van Arsdale (Tamino) Lysandre Châlon (Papageno) Matthieu Toulouse (Sarastro) Alfred Bironien (Monostatos) –  Andoni Etcharren (Sprecher, homme d’armes) – Fabio Sitzia (Homme d’armes) – Enfants du conservatoire des Landes : Elie Marmier (1er enfant) – Léna Smail – (2e enfant) – Louise Casamayou (3e enfant)

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