La Belle Hélène, Clermont-Ferrand
samedi 12 octobre 2024

La Belle Hélène, Clermont-Ferrand

Ahlima Mhamdi et Raphaël Jardin (@ Yann Cabello)

Autant crever l’abcès d’entrée de jeu et par une métaphore culinaire : “ce n’est pas en déversant une louche de ketchup sur le plat d’un grand cuisinier qu’on le revisite à son avantage”. Les grandes réussites d’Offenbach tiennent beaucoup au génie de ses librettistes Meilhac et Halévy, à leur subtilité, à la finesse de leur esprit, à leur art de l’ambiguïté, à leurs incursions dans le domaine poétique, voire mélancolique qui correspondent à la sensibilité profonde du compositeur. Pourquoi faut-il qu’on s’obstine à virer tout ces choses pour mettre à leur place du vulgaire, du lourdingue, du facile, comme si le public n’était qu’un ramassis de blaireaux qu’il faut aller chatouiller sous les aisselles à coup de bons mots dans le style « poil au nez », ou d’ados abrutis d’écran à qui il faut à tout prix prouver qu’on connaît Aya Nakamura, qu’on sait ce qu’est un youtubeur et une influenceuse et qu’on a vu des femens à la télé. Comme le dit si bien Guitry, qui savait de quoi il parlait (Le Comédien), vingt personnes qui rient ça fait du bruit mais il en reste quelques centaines qui ne rient pas et ne font pas de bruit. On ne les entends pas sauf à laisser traîner ses oreilles dans la cohue du foyer à l’entracte et ça n’est pas toujours flatteur. Le malheur c’est que le public à qui on sert systématiquement cette tambouille n’a pas idée de ce qu’il perd et s’en satisfait. Ça n’est pas de cette façon qu’on le tire vers le haut.

Ceci dit, la virulence de ce qui précède est due aussi au fait qu’Opéra Éclaté fait un superbe boulot pour permettre une vraie démocratisation du lyrique, dans des conditions pas toujours aisées. On est bien content qu’il existe et on voudrait bien qu’il ne passe pas à côté d’un sans faute pour avoir cédé à la tentation de la réécriture à gros sabots.

En effet, cette production de la Belle Hélène a de bien beaux atouts.

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Les interprètes (@ Yann Cabello)

La transposition à laquelle il est difficile d’échapper, car le malheureux qui ne s’y plierait pas perdrait illico le statut de créatif (c’est à dire qui fait ce que tout le monde fait), cette transposition, grâce en particulier à l’inventivité joyeuse des costumes, fonctionne plutôt bien. L’hybridation des époques joue en partie sur des constantes du vêtement à travers les âges et au-delà des modes. On voit sur le tapis rouge de Cannes des robes dont on trouve le modèle sur des statues hellénistiques. Il y a de l’intemporel et de l’universel dont on ne se rend pas toujours compte. Très stimulante trouvaille par exemple que le kilt écossais des deux Ajax dont on se rend compte que, couleur à part, il a équipé une multitude de guerriers à travers les âges et les lieux. Belle idée que de retrouver dans le berger basque (avec béret) le successeur du berger grec et de conserver à ce dernier sous sa pelure le costume grec classique. L’hybridation haut-de-forme/couronne va dans ce sens et retrouve l’esprit des costumes des créations offenbachiennes. On pourrait multiplier les exemples. On est au-delà de l’anachronisme facile. Ajoutons à cela une jubilation de couleurs en un moment où la chromophobie règne en tyranne sur les scènes (et les salons de coiffure). C’est un des aspects les plus riches de l’opérette que cet universel sous l’anecdotique. Ici on y est.

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Ahlima Mhamdi, Alfred Bironien et Raphaël Jardin (@ Yann Cabello)

Opéra Éclaté fait toujours preuve d’une grande habilité dans la transformation des contraintes d’adaptabilité et de transport en épure ingénieuse de la scénographie. L’adoption de praticables noirs, d’écrans blancs animés par projection, ont toutes ces qualités d’épure. Ils donnent du relief aux costumes et offrent de grandes opportunités de spatialisation du jeu au metteur en scène. Quelques colonnes esquissées projetées sont largement plus efficaces que toute tentative réaliste. La déclinaison du matelassage des fauteuils et tête de lit avec son spectaculaire cygne (veillant aux ébats et peut-être aux rêves de sa fille), est visuellement impactante et forme une sorte de contre-chant visuel à la rigueur du noir et blanc du reste de la scénographie. Les cubes façon cubes de jeu de cubes enfantins portant des images de bord de mer sont une des plus ingénieuses façons de mettre en image la balnéaire Cythère. Cela, même inconsciemment, reconduit le spectateur à un ludisme candide qui fait merveille. Le dernier acte en est totalement dynamisé avec des acteurs contraints à sauter de l’un à l’autre comme les gamins sur les rocher de bord de mer.

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Alexis Brison et Eduard Ferenczi Gurban (@ Yann Cabello)

Une des qualités frappantes de cette mise en scène est la gestion justement des placements et déplacements. Olivier Desbordes ne laisse rien au hasard, tout y réglé infailliblement avec une fluidité qui donne l’impression de naître d’elle-même. Ce n’est pas un moindre mérite. Le passage des épisodes parlés aux épisodes chantés ne se remarque nullement tant la continuité et l’unité sont constants. Les ensembles sont totalement maîtrisés. On a des moments de très grande réussite comme en particulier le « trio patriotique » où la symbiose entre musique, paroles, costumes et jeu sur les cubes est totale. Il y a de la virtuosité là-dedans.

Globalement la distribution est largement à la hauteur dans tous les domaines. Ahlima Mhamdi dans Hélène se taille le part du lion. Voix puissante et homogène dans toute la tessiture avec un timbre plein d’éclats elle correspond vocalement à ces voix charnues de mezzo qu’affectionnait Offenbach et pour qui il a si bien écrit. On mesure par moment, en l’écoutant, combien, sans qu’il y paraisse, Massenet (qui envoya Emma Calvé prendre des leçons d’articulation auprès d’Hortense Schneider) doit à Offenbach. Son Hélène par certains côtés annonce Thaïs, rôle dans lequel on aimerait l’entendre.
Raphaël Jardin a le parfait profil vocal du ténor de demi-caractère à la française, la délicatesse de la ligne de chant, ne lui interdit pas les aigus percutants pas plus que de très beaux mezza-voce très maîtrisés. Le reste de la distribution qui fait la part plus belle aux voix masculines trouve une vraie unité stylistique dans la diversité des personnalités. On remarque les qualités d’articulation assez générales et fondamentales dans ce type de répertoire.

On avait une certaine appréhension à l’annonce d’une réécriture de la partition pour une formation à la composition peu conventionnelle, sans cordes autres qu’une contrebasse, avec une flûte, une clarinette (plus clarinette basse), un cornet à piston, des claviers (tenus par le chef) et deux percussionnistes. Dès l’ouverture le constat est immédiat : ça fonctionne ! Non seulement ça fonctionne, mais cela, oui, revisite, dans le meilleur sens du terme, l’ouvrage. La présence des percussions assure la trépidation et la pétillance propres à Offenbach, tandis que les phrases mélodiques ne perdent rien à leur interprétation par flûte ou clarinette. On retrouve là l’épure propre au décor. Le jeu des timbres très inventif s’accorde quant à lui à celui des couleurs sur le plateau.La présence du cornet (affectionné par Offenbach), apporte un côté flonflons présent dans les gènes historiques de l’opérette, tandis qu’une seule note de clarinette basse suffit à poser une touche de modernité d’écoute surprenante. De même qu’Offenbach et ses librettistes s’amusent à glisser des allusions historiques ou artistiques façon « comprenne qui peut », on a la surprise au détour d’une mesure de surprendre une bouffée venue d’ailleurs et là-aussi « comprenne qui peut ». C’est dans l’esprit général.

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Matthieu Toulouse, Alfred Bironien et Thibault de Damas @ Yann Cabello)


On ne peut que saluer le talent du compositeur Stéphane Pelegri qui réussit le tour de force de servir totalement la musique d’un autre tout en affirmant fortement une personnalité propre. Gaspard Brécourt, qui sait rattraper au vol les inévitables amorces de petits décalages du plateau, fuit les effets faciles. Sa direction allie toujours rigueur et finesse. Son interprétation, par exemple, de la belle valse chromatique (dont assurément Tchaïkovski s’est souvenu dans la Belle au Bois Dormant) ne cède pas à la tentation d’un débordement de rubato, elle y gagne en inexorabilité, ce qui convient parfaitement à une œuvre où la fatalité est évoquée sans cesse avec plus de sérieux qu’il n’y paraît. Elle y gagne aussi en poésie. Ce sont des impondérables mais ils existent. Il en va de même pour l’ensemble de la partition. La mise en valeur des pupitres est constante ainsi que leur dosage et aboutit à une pâte sonore de caractère, agréable à la fois à l’oreille et à l’esprit et en parfait accord avec ce qui se joue sur le plateau (quand n’y éclate pas le patatras des vulgarités !)

Le public a fait un très bon accueil à ce spectacle. En aurait-il fait un mauvais sans cela ? On remarquera seulement que les plus francs éclats de rire soulevant vraiment la salle étaient dus au texte original.

Gérard Loubinoux
12 octobre 2022

La Belle Hélène (Offenbach)
Direction musicale : Gaspard Brécourt – Orchestration : Stéphane Pelegri – Mise en scène et adaptation du livret : Olivier Desbordes – Assistant mise en scène : Yassine Benameur – Costumes : Stella Croce.
Distribution :
Ahlima Mhamdi (Hélène) – Analia Téléga (Oreste) – Aviva Manenti (Parthenis) – Pauline Jolly (Léæna), Flora Boixel (Bacchis), Nathalie Schaaf (La princesse du Pirée).
Raphaël Jardin (Pâris) – Matthieu Toulouse (Calchas) – Thibault de Damas (Agamemnon) – Alfred Bironien (Ménélas) – Fabio Sitzia (Achille) – Alexis Brison (Ajax 1) – Eduard Ferenczi Gurban (Ajax 2).

Orchestre Opéra Éclaté  – Flûte : Lucie Humbrecht – Clarinette et clarinette basse : Mathieu Steffanus – Cornet : Jérôme Lacquet – Contrebasse : Aurélien Martin – Percussions : Olivier Pham Van Tham et Emilie Buttazzoni.

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