La Basoche

André Messager (1853-1929)

 

À la fin des années 1880, les dieux du lyrique n’avaient pas été très favorables à Messager.
Le Mari de la Reine (Bouffes-Parisiens, 1888), opérette en 3 actes, avait été rapidement retirée de l’affiche. À son sujet, Michel Augé-Laribé dans son livre « André Messager, musicien de théâtre » écrit que cette opérette « alimentaire » « n’était qu’une petite farce sans vigueur ».
De son côté, Henry Février dans « André Messager, mon maître, mon ami » nous apprend que Messager est un peu découragé :
« Outre sa déconvenue d’artiste, ils (Messager et sa femme) ne vivaient que de sa plume et leur existence matérielle dépendait du sort plus ou moins heureux de ses ouvrages… »

Après cette période difficile, Messager obtient une éclatante revanche avec la création à l’Opéra-Comique de La Basoche (30 mai 1890). Le livret avait été écrit par Albert Carré dont il avait fait connaissance en collaborant avec lui pour Les premières armes de Louis XV (1).  Acteur, dramaturge, écrivain, directeur – tour à tour ou simultanément – du théâtre de Nancy, de celui d’Aix-les-Bains, du Vaudeville, du Gymnase, de l’Opéra-Comique et administrateur de la Comédie Française… metteur en scène, professeur, journaliste, mémorialiste, Albert Carré a été, pendant plus de cinquante ans, une personnalité théâtrale et parisienne de tout premier plan (2).
La rencontre de Messager et d’Albert Carré se transforma en une solide amitié et leur collaboration se traduisit par de nombreux ouvrages artistiques communs dont… La Basoche. On lit dans le livre de souvenirs d’Albert Carré (2) : « La générale de La Basoche eut lieu le 29 mai. Elle fut triomphale. Le public qui avait perdu l’habitude de rire à l’Opéra-Comique fut agréablement surpris et y alla de bon cœur ; et l’enchantement de la partition opéra : certains airs furent bissés et même trissés.
À la fin, Messager et moi, au foyer des artistes, fûmes assaillis par une marée humaine venue nous féliciter.Je n’ai jamais oublié l’attitude de Messager qui eut la modestie – injustifiée d’ailleurs – de répondre à chacun : – C’est surtout le librettiste qu’il faut complimenter ».

La Basoche est donnée 51 fois lors d’une première série. À la création, la distribution réunissait Madame Molé-Truffier (Colette), Lise Landouzy (Marie), Soulacroix (Clément Marot) et Lucien Fugère (le duc de Longueville). L’ouvrage sera régulièrement repris à l’Opéra-Comique jusqu’en 1939 et totalisera quelque 200 représentations.
Plusieurs artistes connus s’illustreront dans les principaux rôles et contribueront à son succès. Dans le rôle de Clément Marot se succéderont Jean Périer (1900), Fernand Francell (1908), André Baugé (1919-1929). Colette sera repris par Edmée Favart en 1919 et Yvonne Brothier de 1921 à 1929. Marie d’Angleterre prendra le plus souvent les traits d’Antoinette Réville (1921), de Mlle Famin ou de Lily Grandval (1939) ; Carbonne, Pujol ou René Hérent chanteront Léveillé.

Mais le plus surprenant est la carrière que fera dans le rôle du duc de Longueville l’excellent baryton Lucien Fugère qui l’interprète à la création et le chantera toujours dans les années 30 à plus de 80 ans. À 84 ans exactement, il chante encore parfois jusqu’à six fois ses couplets de l’acte III « Elle m’aime”, enrichissant chaque interprétation d’intonations, de nuances et de jeux de scène différents.

La Basoche est un ouvrage qui demande de véritables chanteurs-acteurs et son succès est inséparable du choix qu’ont fait les meilleurs noms de s’y produire.

(1) Les premières armes de Louis XV (1888) sont une nouvelle version de l’opérette Les Beignets du Roi, composée par Firmin Bernicat, décédé en 1883. Pour ce « remake” André Messager adapte et complète la partition de Bernicat, tandis que Albert Carré modifie le texte qu’il avait écrit en 1882.
(2) Préface des « Souvenirs de théâtre » de Albert Carré (Les Introuvables, 1976)

L’argument

Acte I

Devant l’auberge du Plat d’Etain sont réunis les clercs de la Basoche venus élire une sorte de roi folklorique. Pendant un an, l’heureux élu rendra la justice au Pré-aux-Clercs, mais surtout fera battre une monnaie de plomb dont le cours, même limité, adoucit le sort des êtres désargentés. Ces quelques prérogatives et les avantages matériels qu’il en retirera ont conduit en l’an 1514 le jeune poète Clément Marot à se présenter. L’élection acquise ne dissipe pas toutes les difficultés ; jalousé par Roland, le candidat malheureux évincé, le poète doit surtout cacher un mariage clandestin, la dignité royale ne pouvant échoir qu’à un célibataire, et cela au moment où arrive Colette, épousée en secret et qu’il retenait jusqu’alors à Chevreuse. L’intrigue nous ramène au plus haut niveau de l’Etat. Le Roi Louis XII, veuf depuis quelques mois, vient d’épouser par procuration Marie d’Angleterre, sœur du roi Henri VIII, que lui convoie pour l’heure le duc de Longueville. Arrivée sur le sol français, mais non présentée encore officiellement au Roi, la jeune femme entend avoir un avant-goût de Paris et peut-être apercevoir son époux ; elle entraîne le duc, qu’elle fait passer pour son mari, dans une escapade intra-muros et débarque incognito au Plat d’Etain. Clément envoie Léveillé expliquer à Colette que sa position l’oblige à tenir momentanément secrète leur union, promettant de s’expliquer plus tard ; comprenant qu’il y va du salut de son mari, la jeune femme obéit, mais ne quitte pas pour autant la place et s’engage au Plat d’Etain comme servante. C’est elle qui d’ailleurs reçoit Marie et le duc de Longueville, costumés en bourgeois normands.

Au moment où paraît le roi de la Basoche, Colette croit comprendre pourquoi son mari ne lui a pas révélé sa véritable identité et se croit promise aux plus hauts honneurs. Roland pense reconnaître en elle la femme de Clément ; les dénégations de Colette ne l’empêchent pas d’espérer surprendre les époux en tête-à-tête. Marie d’Angleterre en voyant le cavalier couronné s’est persuadée d’être en présence de son mari ; elle charge Colette de porter bouquet et message, ce qui plonge la jeune pastourelle dans la plus vive jalousie et son mari dans la plus grande perplexité.

Acte II

Dans la grande salle du Plat d’Etain les clercs de la Basoche festoient avec leurs amies. Alors que Roland ne désespère pas de démasquer les deux époux, Colette ne doute plus qu’elle est Reine et qu’il s’agit bien d’elle qu’attend Paris le lendemain. Marie la torture en lui confiant qu’elle est amoureuse du Roi. Le duc qui vient d’informer Louis XII de l’escapade de la future Reine est prié par Marie d’inviter son époux à souper le soir même avec elle. Marie en informe Colette et le duc repart pour le palais. Arrive Clément venu retrouver Colette : l’effusion lyrique ne peut tenir lieu d’explication entre les deux époux ; les éclaircissements sont remis à plus tard.

Marie à son tour paraît et se croit en présence du Roi qui aurait répondu à son invitation ; pour ne pas se compromettre, convaincu que la Reine est un espion de Roland, Clément feint en effet d’entrer dans son jeu ; bientôt Marie et Clément soupent en tête à tête, servis par Colette priée par son mari de ne pas le reconnaître. Le retour du duc, qui passe pour le mari, occasionne le départ de Clément, au grand dam de Marie, qui proteste vivement, et même du duc lui-même, parfaitement complaisant et qui se déclare satisfait que sa femme ait soupé avec le Roi.

C’est le moment choisi par Roland pour surprendre Colette et Clément; Colette se dissimule et c’est en compagnie de Marie que les clercs trouvent Clément ; or pareille aventure ne contrevient en rien aux lois de la Basoche. Un écuyer vient de la part du Roi chercher la Reine afin de la conduire au palais ; Colette se présente à lui de bonne foi et c’est la jeune paysanne qui est conduite à l’hôtel des Tournelles.

Acte III

Nous sommes à la résidence royale. Louis XII est étonné par le récit de Colette qui lui parle de son mari et compromet ainsi le duc de Longueville. Le Roi, pensant que ce dernier a profité de sa position, accorde Marie au duc de Longueville, ébahi, mais dont la prudence n’a pas permis de dissiper la méprise. Marie entre au palais ; Colette lui révèle qu’elle est mariée au Roi depuis un an ; Marie s’estime offensée…

Défile alors le cortège de la Basoche sous les fenêtres du Roi. Les deux femmes sont éclairées : elles découvrent que leur roi n’était qu’un roi de Carnaval ; Colette s’en console car son Clément lui plaît tout autant comme cela ; Marie regrette le faux roi, plus séduisant que le vrai. Le duc, mécontent du tour qu’ont pris les choses, veut faire pendre Clément. Mais c’est Roland qui est arrêté comme roi de la Basoche qu’il est devenu entre temps, depuis que Clément a avoué son mariage. Colette, par un dernier stratagème, obtient la grâce de tout le monde. Le Roi y met une seule condition : que Colette et Clément partent quelque temps en voyage.

Résumé de l’intrigue provenant d’un article de Didier Roumilhac rédigé pour la revue « Opérette ».

— La partition

Acte I :  Introduction ; « C’est aujourd’hui que la Basoche » (ensemble) ; Chanson de Clément « Je suis aimé de la plus belle » ; « En attendant l’heure de la bataille » (Guillot) ; « Quand tu connaîtra Colette » (Clément) ; Chœur « Midi, c’est l’heure qui nous ramène » ; Air de Colette « Volage ? Lui ? Clément ? » ; « Bonjour ami » (Colette, Clément, Roland, L’Eveillé, Chœur) ; Couplets de L’Eveillé « Dans ce grand Paris » ; « Nous reposer ? C’est impossible Altesse » (le duc, Marie) ; « Trop lourd est le poids du veuvage » (le duc) ; Final I « Vive le Roi ! » (chœur, Clément, Marie, Guillot, Colette)

Acte II : Chœur « A vous, belles maîtresses » ; Ensemble « Voici le guet qui passe » ; Duetto Marie-Colette « Si, de la souveraineté » ; Duo Clément-Colette « Ah ! Colette, c’est toi ? » ; Trio « A table ! auprès de moi » (Marie, Clément, Colette) ; « Eh ! que ne parliez-vous ? » (le duc) ; Ensemble « Il faut agir adroitement » ; Ensemble « Nous accourons, au lever du soleil », chant de la Basoche et chœur final

Acte III : « Jour de liesse et de réjouissance ? » (chœur, le Roi, l’écuyer) ; Couplets « En honneur de notre hyménée » (Colette, le Roi) ; « Elle m’aime » (le duc) ; Romance de Marie et trio (Marie, le duc, Colette) ; Couplets de Clément « A ton amour simple et sincère » ; Final III « Arrêtez ! s’il s’agit d’être pendu »

— Fiche technique

La Basoche
Opéra-comique en 3 actes de Albert Carré, musique de André Messager. Création à Paris, théâtre de l’Opéra-Comique, le 30 mai 1890. Avec :
Lise Landouzy (Marie d’Angleterre), Mmes Molé-Truffier (Colette), Leclercq et Nazem (les jeunes filles), Soulacroix (Clément Marot), Lucien Fugère (le duc de Longueville), Carbonne (L’Eveillé), Barnolt (Guillot), Bernaert (Roland), Maris (Louis XII). Direction musicale, Jules Danbé
Éditions Choudens

Discographie

Intégrale 

Nadine Sautereau, Camille Maurane, Irène Jaumillot, Louis Noguera, Lucien Lovano. Direction musicale, Tony Aubin
Musidisc 202572 (2CD)

Sélections

Nicole Broissin, Liliane Berton, Henri Legay, Michel Dens. Direction musicale, Jacques Pernoo
EMI C 15153 332/36 (coffret 5 disques vinyl, comprenant également Les P’tites Michu, Véronique, Monsieur Beaucaire, Fortunio)

Même version en CD : Nicole Broissin, Liliane Berton, Henri Legay, Michel Dens. Direction musicale, Jacques Pernoo
EPM/Emi 568 295 2 (2CD) (+ Fortunio + Le Petit Duc)

Références

Vous retrouverez La Basoche dans « Opérette » n° 82. Si cet article vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »

Dernière modification: 26/02/2024

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