Joséphine vendue par ses sœurs, Auguste Théâtre

Joséphine vendue par ses sœurs, Auguste Théâtre

Le duo du premier acte : Geoffroy Bertran, Marina Ruiz, Lou Benzoni Grosset (Photo Augustin Puzio)

La Compagnie Fortunio, sous la direction de Geoffroy Bertran, a eu l’excellente idée de reprendre, après Gillette de Narbonne (Audran) et La Botte secrète (Terrasse), un autre de ces grands succès du lyrique léger du XIXè siècle, Joséphine vendue par ses sœurs, le premier grand succès de Victor Roger1, un bel ouvrage oublié qui mérite une présentation avant de commenter la représentation.

Un opéra bouffe de bon aloi

Le livret de Paul Ferrier et Fabrice Carré, s’inspire évidemment de la légende biblique de Joseph vendu par ses frères. Parodie oblige, l’intrigue se déroule au XIXè siècle et débute dans la loge de Mère Jacob, une concierge d’immeuble parisien dont feu Père Jacob lui a laissé douze filles avant de rendre l’âme. L’une d’elles, Joséphine, élève en chant au Conservatoire, est amoureuse du baryton Montosol. Étant de loin la préférée de sa mère, elle est jalousée par la jeune et délurée Benjamine et ses autres sœurs ; ces demoiselles vont s’entendre pour faciliter son enlèvement par un potentat égyptien, Alfred Pacha, qui s’est entichée d’elle, provoquant ainsi l’indignation de son neveu Putiphar venu faire ses études à Paris. Évidemment, au deuxième acte, tout ce petit monde se retrouve au Caire dans le harem du pacha où les choses risquent de tourner très mal pour Montosol. Mais, au troisième acte, de retour à Paris, tout s’arrange grâce à l’ingéniosité de Benjamine : non seulement elle obtient la main du rétif Putiphar, Joséphine épouse Montosol et leurs sœurs dotées par Alfred Pacha ont été mariées. (Joséphine)

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La création : Mme Macé-Montrouge, Mily Meyer, Jeanne Thibault, Albert Piccaluga

Outre la cocasserie de l’intrigue, Alfred Pacha est le petit fils d’un auvergnat – d’où la présence de fouchtra ponctuant son air d’entrée – le livret est truffé de bons mots, d’allusions à l’actualité de l’époque et surtout de nombreuses citations du texte d’ouvrages lyriques célèbres mais dont la mise en musique par Victor Roger s’éloigne souvent de l’original. Ainsi le premier air de Putiphar, « À peine au sortir de l’enfance, quatorze ans au plus je comptais » est la copie exacte du début de la romance de Joseph dans l’opéra éponyme de Méhul. Sans citer tous ces clins d’œil, les mélomanes pourront reconnaître Samson et Dalila, Aïda, Martha, Paul et Virginie, La Favorite, L’Étoile (la scène du pal) La Favorite, La Périchole et même La Vie Parisienne dans le final où chacun s’écrit « Et toi, du haut du ciel ta demeure dernière, O feu Jacob, tu dois être content ! »

Sans être aussi spirituelle que le livret, la partition offre cependant de belles pages dont les parties enlevées font songer à Offenbach et surtout à Hervé, notamment pour la grande valse du I. Notons également l’ouverture, alerte et bien développée, les couplets pleins de suffisance d’Alfred Pacha, ceux sautillants de Benjamine et les mélodies attendries de Montosol dont la romance « Je ne vois que vous seule » compare Joséphine à Léonore, Marguerite, Rachel, Juliette, Lucie, ou Carmen. Mais les morceaux les plus remarquables sont les deux premiers finales particulièrement développés, celui de l’acte I, incorporant la valse du départ et celui du second, un 2/4 présentant gaiement le supplice du pal et des crocodiles du Nil sous forme de jeu de ping-pong des répliques. Et surtout, les deux sommets de la partition que sont le quintette des retrouvailles de l’acte II et le quatuor avec chœur du premier ; dans celui-ci, Joséphine et Montosol répètent un duo d’amour à rebondissement, typique des opéras-comiques de l’époque, que vient interrompre les remarques de Mère Jacob préférant les mélodies plus calmes du Directoire, illustrées par une barcarolle, et bientôt contredite par Benjamine entichée des chansons des cafés-concerts comme la scie « Ugène, tu m’ fais languir ». Le final de cet ensemble se termine par la superposition jubilatoire des trois mélodies bientôt complétée, en coulisses, par le chœur des voisins mécontents.

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La création : Albert Piccaluga, Jeanne Thibault, Mme Macé-Montrouge

La création de l’ouvrage, initialement prévue au Théâtre des Nouveautés, étant sans cesse repoussée à cause du succès de Serment d’amour d’Audran, les trois auteurs proposent alors leur ouvrage à Mme Ugalde, la directrice des Bouffes-Parisiens. Dès le premier soir le 20 mars 1886 (on donne alors Joseph à l’Opéra-Comique), le succès est immédiat, aussi bien de livret et de musique que par l’interprétation des solides comédiens du théâtre : Jeanne Thibault (Joséphine), Albert Piccaluga (Montosol, il sera le Paul de la création de Miss Helyett, 1890), Charles Lamy (Putiphar, le Fritellini de La Mascotte, 1880), Mme Macé-Montrouge (Mère Jacob), Édouard Maugé (Alfred Pharaon dit Pacha) et surtout d’Émilie Mily-Meyer (Benjamine, la petite duchesse du Petit Duc, 1878) un petit bout de femme incroyable sachant faire d’un rôle anodin (ce qui n’était pas ici le cas) un personnage de fantaisiste de premier plan. Le succès se prolongera pendant 201 représentations, avant d’être souvent repris.

Les représentations à l’Auguste Théâtre

Certes le lieu est petit, nécessitant des adaptations ; ainsi les douze filles ne sont plus que six (mais comment auraient-elles pu tenir toutes sur la scène ?) et le chœur des voisins disparaît du quatuor du I, l’orchestre est remplacé par un piano et une flûte, les décors sont réduits, mais fonctionnels et évocateurs et, par mesure de prudence le texte a été modifié dans l’air d’entrée d’Alfred Pacha, faisant un marseillais du descendant d’Auvergnat, et le terzetto du III a été supprimé. Cependant l’esprit de l’opéra bouffe est bien là, et grâce au talent de chacun, nous avons passé une excellente soirée.

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Finale de l’acte I (© Estelle Danière)

 

Un grand merci donc à la Compagnie Fortunio pour le choix de cet ouvrage, à Geoffroy Bertran, par ailleurs interprète du rôle de Montosol, pour les décors et l’excellente mise en scène dans laquelle les péripéties s’enchaînent sans lourdeur et sans mauvais goût. Saluons également Estelle Danière pour les chorégraphies, notamment celle des almées du second acte où le pseudo strip-tease oriental pendant l’écoute du second entracte. Et surtout bravo à l’accompagnement musical : Romain Vaille au piano ne se contente pas d’accompagner, il fait vivre la partition, me faisant penser à la chronique musicale de Willy commentant l’accompagnement du très jeune Maurice Yvain pour la création de Tell père, Tell fils (de Guitry/Richepin) « Le pianiste Yvain pleyèle de façon à remplacer tout un orchestre » ; dans les moments plus doux, il partage l’accompagnement avec l’élégante flûtiste Gaëlle Amice.

2 Lou Benzoni Grosset Brice Poulot Derache Dorothee Thivet Photo Augustin Puzio
Lou Benzoni Grosset, Brice Poulot Derache, Dorothée Thivet (© Augustin Puzio)

Quand aux interprètes, ils sont tous remarquables dans le chant comme dans le jeu, sachant faire bien sans en faire trop. Joséphine est incarnée par Marina Ruiz, très bon soprano lyrique (la Gillette de Narbonne d’un précédent spectacle) même dans les notes graves de son second duo avec Geoffroy Bertran qui, dans le troisième air de Montosol « Souvenez-vous du temps où, jeune, fraîche et belle… » brille dans la flatterie pour Mère Jacob. Celle-ci est incarnée par Dorothée Thivet, parfaite concierge, le ballet menaçant mais n’hésitant pas à s’essayer à la danse du ventre. Très bon comédien également et chant agréable, Brice Poulot Derache incarne un Alfred Pacha à l’accent marseillais (remplaçant celui auvergnat original) et dépassé par les évènements. Son neveu Putiphar (seul le nom est biblique) permet à Xavier Meyrand, de se remettre (après le Prince de Gillette de Narbonne), dans la peau d’un adolescent, mais teigneux, cette fois, et à l’aise dans son air d’entrée comme dans son duetto de la réconciliation avec Benjamine. J’ai gardé pour la fin l’éloge pour Lou Benzoni Grosset (également remarquée dans la Rosita de Gillette) pour sa finesse de jeu, son émission franche et parfois percutante dans son chant, dans son air « D’abord on part d’un pied léger… » inclus dans le premier chœur au cours duquel ses sœurs, rassérénées par sa bonne humeur, la rejoignent une à une dans un petit pas de danse, puis dans l’allègre “Ugène, tu m’ fais languir”. Bien sûr les deux grands finales étaient parfaitement maîtrisés.

4 Putiphar et Benjamine
Xavier Meyrand & Lou Benzoni Grosset – (© Estelle Danière)

Joséphine vendue par ses sœurs sera repris les 11, 12 janvier et 7 février à l’Auguste Théâtre, puis les 24 et 25 janvier à la Halle Pajol, dans le 18e arrondissement.

Bernard Crétel
10 janvier 2025

1) Si la partition est officiellement attribuée à Victor Roger mais, selon Albert Carré elle est entièrement de la main de Raoul Pugno (le professeur d’orgue de Roger à l’École Niedermeyer) et selon Édouard Sitzmann, Clément Lippacher en est le compositeur. Philidor dans le Gil Blas affirme que le nom de Victor Roger représente un groupe de musiciens qui se sont syndiqués sous ce titre pour l’exploitation d’une opérette en trois actes avec, en première ligne, MM. Raoul Pugno et Lippacher. Que croire ?

Joséphine vendue par ses sœurs (Victor Roger)
Adaptation, mise en scène et décors : Geoffroy Bertran – Piano : Romain Vaille – Flûte : Gaëlle Amice – Chorégraphie : Estelle Danière.Distribution :
Marina Ruiz (Joséphine) – Lou Benzoni Grosset (Benjamine) – Dorothée Thivet (Mère Jacob) – Guillemette Roy (Rébecca, une almée) – Anne-Sophie Le Roux (Déborah, une almée) – Marie Chardonnet (Siméonne, une almée) – Julie Lempernesse (Rachel, une almée)
Geoffroy Bertran (Montosol) – Brice Poulot Derache (Alfred Pacha) – Xavier Meyrand (Putiphar) –  Stéphane Clément (un voisin, un janissaire, un gendre) – Stéphane Dri (un voisin, un janissaire, un gendre) – François-Joseph Bourbon (Feu Jacob, un voisin, le grand Eunuque, un gendre).

 

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