En plein centre de New York, à quelques pas de Times Square et des théâtres de Broadway, est un quartier, Hell’s Kitchen, ou La Cuisine de l’Enfer. Dans les années 1990, il était très mal fréquenté et bien connu des autorités pour ses lupanars et autres établissements sexuels, ses fréquentes agressions dans les rues, et où le trafic de drogues était un problème permanent. C’est là que se trouvait, et se trouve encore, le Manhattan Plaza, un immeuble qui accueillait des artistes, acteurs, danseurs et autres, en quête d’un emploi dans le théâtre et sans grands revenus, et où la célèbre chanteuse Alicia Keys vécut pendant quelques années avec sa mère, une jeune femme blanche, que son mari, un Noir, avait quittée, la laissant seule pour élever leur fille.
La nouvelle comédie musicale Hell’s Kitchen, qu’elle a écrite avec Kristoffer Diaz, (finaliste du prix Pulitzer The Elaborate Entrance of Chad Deity en 2010, et qui vient d’ouvrir à Broadway), utilise les souvenirs de son enfance dans ce cadre peu recommandable. Elle met en scène une adolescente, Ali, âgée de 17 ans, qui vit seule avec sa mère, Jersey, au 35ème étage de l’immeuble, après que Davis, un Noir, les ait abandonnées pour aller vivre ailleurs.
─ L’intrigue
Ali et ses deux amies, Tiny et Jessica, résidant dans le quartier, aiment se promener dans les rues et notamment pour écouter des musiciens d’occasion comme Knuck, un garçon un peu plus âgé qui gagne sa vie en nettoyant les carreaux et passe son temps libre avec ses copains en jouant de la musique comme batteur, utilisant un seau en guise de batterie. Ali s’entiche de lui et le poursuit jusqu’à ce qu’il cède. Mais quand Jersey découvre que sa fille a passé la nuit avec lui, elle le dénonce à la police qui l’arrête pour avoir eu des rapports avec une mineure et, dans un moment de colère, elle gifle sa fille en public. Il n’en faut pas plus pour qu’Ali, qui ne souhaite qu’une chose, devenir indépendante, quitte sa mère et cherche refuge dans une autre salle de l’immeuble, l’Ellington Room, un salon qui sert de salle de concert et où se trouve un piano.
À sa grande surprise, Ali découvre qu’une autre résidente, Miss Liza Jane, vient elle aussi fréquemment dans la salle quand elle st vide pour jouer du piano. D’abord peu portée à manifester un quelconque intérêt envers cette gamine, Miss Jane commence cependant à s’intéresser à elle, lui conseille de renouer ses liens avec sa mère, et lui donne quelques leçons de piano.
Entre-temps Jersey a repris contact avec Davis et lui demande de l’aider à calmer Ali et à la ramener chez elle. Le décès inattendu de Miss Jane touche profondément Ali qui revient auprès de sa mère pour faire face à cette épreuve.
─ Le spectacle
Pour rehausser l’intérêt de cette histoire, Alicia Keys a choisi d’utiliser plusieurs succès de son répertoire cadrant bien avec l’action, comme « Teenage Love Affair », « Fallin’ » « Girl on Fire », et elle leur a ajouté des airs nouveaux composés pour l’occasion, parmi lesquels « Work on It », « Love Looks Better » et « Authors of Forever » retiennent l’attention.
La pièce, vibrante et pleine de rebondissements, accroche d’autant plus que certaines de ces chansons donnent lieu à des ballets auxquels la troupe entière participe dans une chorégraphie pleine d’entrain signée par Camille A. Brown, déjà connue pour son travail dans des pièces comme For colored girls…, Once on This Island, et Porgy and Bess.
La distribution hors-pair permet à plusieurs interprètes débutant à Broadway de démontrer leurs talents multiples, notamment Maleah Joi Moon dans le rôle d’Ali, Chris Lee dans celui de Knuck, et Vanessa Ferguson et Jackie Leon, respectivement Tiny and Jessica. Parmi les acteurs plus connus, Shoshana Bean, dans le rôle de Jersey, est remarquable comme actrice, chanteuse et danseuse, ainsi que Brandon Victor Dixon dans celui de Davis. Mais l’actrice qui marque le plus par son interprétation pleine de sentiments et d’émotion est Kecia Lewis dans le rôle de Miss Liza Jane dont la voix qui couvre plusieurs octaves donne à la chanson « Perfect Way to Die » un relief extraordinaire et provoque l’admiration et quelques sanglots bien mérités.
L’accompagnement orchestral, sous la direction de Lily King, est considérablement rehaussé par la qualité instrumentale des musiciens, le tout amplifié par la sonorité maximale conçue par Gareth Owen.
La mise en scène sobre et directe de Michael Greif contrôle tous ces éléments avec beaucoup de savoir-faire, et fait de cette comédie musicale une réussite complète et l’un des meilleurs spectacles actuellement à l’affiche à Broadway.
Didier C. Deutsch
20 avril 2024©©
─ Fiche technique
Musique et paroles : Alicia Keys. Livret : Kristoffer Diaz. Chorégraphie : Camille A. Brown. Mise en scène : Michael Greif.
Rôles principaux : Shoshana Bean, Brandon Victor Dixon, Kecia Lewis, Chris Lee, et Maleah Joi Moon
Première le 20 avril 2024 au Sam S. Shubert Theatre, 225 West 44th Street, New York.
