vendredi 20 décembre 2024

Gypsy, Broadway

Jade Smith (© Julieta Cervantes)

Le catalogue des comédies musicales de Broadway possède un grand nombre d’œuvres qui se sont imposées au fil des ans et sont connues dans le monde entier, comme West Side Story, Hello, Dolly !, The Sound of Music ou Cabaret. Les experts s’accordent toutefois pour déclarer que l’exemple parfait du genre ce sont deux œuvres parfois moins familières, Guys and Dolls (Blanches Colombes et Vilains Messieurs) de Frank Loesser, qui allait devenir un film resté célèbre avec Marlon Brando et Frank Sinatra en tête d’affiche, et Gypsy, inspirée des souvenirs d’enfance de la strip-teaseuse Gypsy Rose Lee et dont l’action se passe dans le vaudeville des années 1920 et 1930.

5 GYPSY Zachary Daniel Jones Brendan Sheehan Audra McDonald Andrew Kober Danny Burstein Jordan Tyson Photo by Julieta Cervantes
Zachary Daniel Jones, Brendan Sheehan, Audra McDonald, Andrew Kober, Danny Burstein, Jordan Tyson (© Julieta Cervantes)

Créée en 1959, cette pièce allait être un gros succès et rester à l’affiche pendant 702 représentations. Malgré son titre, le personnage principal n’en est pas Rose Lee, mais sa mère, une stage mother dont la seule ambition est de faire de ses deux filles, Louise et June (qui sera connue à Hollywood sous le nom de June Havoc), des vedettes de la scène durant le chaos résultant de la Grande Dépression. Comme l’a décrite Arthur Laurents, auteur du livret, « c’est l’exemple parfait d’une mère branchée sur le spectacle, plus grande que nature, une marâtre surprenante et mythique, un monstre de mère délicatement appelée Rose ».

Lors de la sortie du livre, en 1957, le producteur David Merrick remarqua immédiatement l’intérêt qu’un tel sujet pourrait avoir dans le cadre d’une comédie musicale. Comme il cherchait un compositeur-parolier pour écrire les chansons, Jerome Robbins recommanda Stephen Sondheim, encore à ses débuts, avec lequel il venait de travailler dans West Side Story. Mais quand Merrick approcha l’actrice Ethel Merman, très connue des spectateurs pour son rôle dans Annie Get Your Gun et ses multiples prestations à l’écran, pour être la vedette du spectacle et lui mentionna Sondheim, cette dernière, qui venait d’essuyer un échec cinglant dans une comédie musicale écrite par des nouveaux-venus à Broadway, refusa de signer un contrat à moins que Jule Styne, le compositeur connu des chansons de Gentlemen Prefer Blondes (Les Hommes préfèrent les blondes), écrive celles de Gypsy.

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Audra McDonald (© Julieta Cervantes)

Sondheim, qui se voyait déjà créant pour la première fois les chansons, paroles et musique, et pensait se retrouver ainsi parmi les grands créateurs de comédies musicales, fit contre mauvaise fortune bon cœur. A la suggestion de son mentor, Oscar Hammerstein II, qui lui dit qu’écrire pour une vedette du calibre d’Ethel Merman était quand même une expérience unique en son genre, il céda la place. « Quelque chose en moi me dit que j’ai bien fait parce que je pense que c’est un spectacle de toute première qualité, » dit-il par la suite, « quoique je regrette d’un autre côté le fait que cela ait retardé ma première à Broadway en tant que compositeur. »

Merman, dans ce qui allait être le plus grand rôle de sa carrière, donna au personnage un style bien spécifique, et définit ses qualités et ses défauts. Son interprétation devait devenir légendaire au point que les actrices qui ont depuis repris le rôle sont restées dans les normes d’interprétations qu’elle avait en quelque sorte imposées.

2 GYPSY Danny Burstein Joy Woods Audra McDonald Photo by Julieta Cervantes
Danny Burstein, Joy Woods & Audra McDonald (© Julieta Cervantes)

Solidement édifié par le livret d’Arthur Laurents et les paroles des chansons qui cadrent avec l’action, le spectacle lui-même reste toujours attirant, comme en témoigne cette nouvelle reprise, la cinquième depuis sa création. Ce qui, cette fois, en fait le grand intérêt c’est la présence d’Audra McDonald, bien connue pour ses prestations étincelantes dans des œuvres comme Ragtime, Porgy and Bess et Marie-Christine. Dans son interprétation, elle se rapproche davantage du genre opérette que de la comédie musicale à proprement parler, mais elle est absolument sensationnelle et donne au personnage une attitude nouvelle qui semble plus définie que celles qui l’avaient précédée dans le rôle.

A tous points de vue, cette production est à la fois misérable et riche. Les milieux dans lesquels Rose et ses filles se trouvent, des appartements minables au début, puis des coulisses de théâtres de vaudeville d’une ambiance douteuse, et enfin des loges ruisselantes de lumière, sont agréablement exposés grâce aux décors de Santo Loquasto, aux éclairages divers de Jules Fisher et Peggy Eisenhauer, et aux costumes de Toni-Leslie James. Tout cela donne à l’ensemble un cachet de qualité qui fait honneur à sa tête d’affiche et se traduit par un très grand succès.

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Zachary Daniel Jones, Tony d’Alelio, Jordan Tyson, Kevin Csolak, Brendan Sheehan (© Julieta Cervantes)

L’importante distribution permet à de jeunes acteurs de se manifester dans le cadre de l’action, dont une actrice précoce d’une dizaine d’années, Jade Smith, qui incarne Baby June et démontre d’immenses talents de comédienne et de danseuse, et qui est suivie dans ce rôle par Jordan Tyson, également très attachante. Danny Burstein, dans le rôle de Herbie, le manager des deux filles de Rose, reste sobre et convaincant dans son interprétation et se plie aisément aux exigences de cette dernière jusqu’à ce qu’il décide de la quitter ; et Joy Woods incarne une Louise apparemment perdue dans l’univers créé par sa mère, mais solidement ancrée une fois lancée dans l’univers saumâtre des théâtres de vaudeville des années 1920-1930.
Mais ce sont les trois strippers qui enseignent à cette dernière les dessous du métier dans un numéro comique à la perfection, Lesli Margherita, Lili Thomas et Mylinda Hull incarnant respectivement Tessie Tura, Mazeppa et Electra ; elles créent un numéro fracassant dans lequel tous les moyens ont été utilisés pour lui donner un mélange libidineux et ultra comique. C’est l’un des clous du spectacle, reçu avec enthousiasme. Autres bons numéros : le moment final accordé à Rose, « Rose’s Turn », dans lequel elle répond elle-même aux questions qu’elle se pose sur ses deux filles qui l’ont délaissée, et le solo qui donne à Audra McDonald l’occasion d’interpréter l’une des chansons les plus classiques dans le registre des comédies musicales.

La chorégraphie de Camille A. Brown et surtout la mise en scène sobre et éloquente de George C. Wolfe donnent au spectacle un aspect traditionnel et très personnel en même temps qui lui convient très bien. Il est certain que cette reprise devrait poursuivre une longue carrière.

Didier C. Deutsch
20 décembre 2024

Gypsy (Jule Styne)
Direction musicale : Andy Einhorn – Mise en scène : George C. Wolfe – Chorégraphie : Camille A. Brown – Décors : Santo Loquasto – Costumes : Toni-Lesli James – Livret : Arthur Laurents – Musique : Jule Styne – Paroles : Stephen Sondheim
Avec :
Audra McDonald (Rose) – Jordan Tyson (June) – Lesli Margherita (Tessie Tura) – Lili Thomas (Mazeppa) – Mylinda Hull (Electra) – Joy Woods (Louise) – Danny Burstein (Herbie)

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