Franz Lehár (1870-1948)
Le festival de Baden, en Autriche, a remonté en 2020 une rareté de Franz Lehár, Die Blaue Mazur, opérette en 2 actes et 3 tableaux de Leo Stein et Bela Jenbach. Cette année 2020 correspondait au centenaire de sa création et au cent cinquantenaire de la naissance du compositeur.
Cet ouvrage quasi inconnu, se situe au milieu de la carrière de Lehár, après une suite de semi-succès : Die ideale Gattin (1913), Endlich allein ! (1914) et Der Stemgucker (1916). Il est directement précédé par Wo die Lerche Singt (1918, Le Chant de l’Alouette) et sera suivi de Die Tangokönigin (1921, La Reine du tango), marquant le retour du compositeur aux « opérettes dansantes ».
En fait, en 1920, Lehár travaille, comme souvent, sur deux livrets à la fois, celui de La Mazurka et celui de La Jaquette jaune qui deviendra par la suite Le Pays du sourire. Habitude dont il a fait la confidence lors d’un entretien : « Selon mon humeur, je me tourne vers le livret chinois ou vers le polonais. C’est beaucoup plus amusant et plus bénéfique pour une œuvre quand on ne la travaille pas en permanence. » Les deux librettistes de La Mazurka étaient dans le même cas de figure puisqu’ils écrivaient en même temps un livret pour le grand rival de Lehár, Kálmán, celui de Das Hollandweibchen (La Petite Hollandaise) qui commence lui aussi par un mariage au premier acte.
En effet, La Mazurka bleue, au titre quelque peu énigmatique, débute par l’événement avec lequel, en règle générale, toutes les opérettes se terminent : le mariage. Dans les opérettes classiquement bâties, le couple fait connaissance dans le premier acte, se sépare dans le deuxième et se réconcilie dans le troisième. (Ce retournement avait déjà été utilisé dans Rêve de valse d’Oscar Straus en 1907). Il en résulte un déplacement du poids dramaturgique. Ainsi, la danse qui donne son titre à l’opérette est entendue pour la première fois à la fin du troisième acte.
─ Résumé
Acte 1.
Dans son château des environs de Vienne, le comte polonais Julien Olinksi vient d’épouser la ravissante Blanka von Lossin. La jeune femme, orpheline, a hérité de sa mère un « talisman de bonheur conjugal », un médaillon qu’il est interdit d’ouvrir sauf en cas de gros chagrin. Ce qu’elle ignore c’est que son mari a mené, jusque là, une vie dissolue qui lui est révélée avec l’arrivée de la danseuse Gretl, sa dernière amante qui, furieuse de ce mariage, est venue faire du scandale.
C’est avec peine que l’ami de débauche de Julian, Adolar (personnage complexe à la double personnalité, tantôt le viveur Adolar, tantôt le strict étudiant Engelbert) essaie de calmer Gretl par des paroles maladroites mettant Julien en cause. Malheureusement Blanka a tout entendu et, dans son chagrin, ouvre le médaillon dans lequel un message de sa mère l’invite à se réfugier chez le baron von Reiger. Au retour de son mari, elle lui déclare leur mariage nul et non avenu mais, prenant sur elle, elle décide de participer à l’hommage aux mariés organisé, selon la tradition polonaise, par les paysans. Blanka joue le jeu et finit même par s’étourdir dans la danse exaltée avant de s’enfuir inaperçue.
Acte 2.
Dans sa villa viennoise, le baron von Reiger se remémore le passé avec deux amis, vieux garçons comme lui, notamment son amour pour la mère de Blanka. C’est alors que la jeune femme arrive et lui conte son histoire. Le baron lui présente ensuite son bon neveu Engelbert, ce qui laisse Blanka perplexe, vue sa ressemblance avec Adolar que l’étudiant, gêné, affirme être son frère jumeau. Restée seule, Blanka songe avec mélancolie à son amour fané mais des accents de valse éveillent en elle des sentiments cachés qui la font aspirer à l’amour avec une passion ardente. Submergée par la fatigue, elle finit par s’endormir, veillée par les vieux garçons.
Acte 3.
Une fête est donnée dans le domaine campagnard du baron. Restée à l’écart, Blanka reçoit un superbe bouquet de roses qui précède l’arrivée de son mari venu lui rendre sa liberté mais, ceci, après après qu’ils auront partagé une dernière danse. Gretl fait à nouveau irruption mais cette fois pour réparer les dégâts qu’elle a commis la veille ; elle renonce d’autant plus facilement à Julien qu’Adolar lui offre son cœur, toutefois sans passer par l’autel. La danse accordée par Blanka à son mari est une mazurka, la mazurka bleue qui donne son titre à l’œuvre. Elle correspond au souvenir de la première rencontre des deux héros au cours d’un bal mais, de plus, dans le folklore fictif de l’œuvre elle se danse à l’aube, quand le ciel devient bleu, et par un homme qui jure fidélité à celle qu’il aime. Blanka, ayant compris le message, pardonne et renonce au divorce.
─ La partition
Elle assez courte, 15 numéros, et comme toujours délicatement orchestrée, avec de nombreux détails ornementaux qui donnent une impression de légèreté même dans les passages plus dramatiques.
Acte I. L’introduction est bâtie sur un rythme de polonaise que l’on retrouve dans le chœur d’entrée. Suit un duo entre Julien et Blanka, qui évoque la légende du médaillon. Le numéro suivant est un duo-marche plein de vie entre Adolar et Gretl suivi d’un air chanté par Adolar et le chœur. Julien exprime ensuite son amour pour Blanka dans un lied en forme de valse et l’on arrive au long final du I où s’enchaînent de nombreux motifs, une nouvelle évocation du médaillon suivi d’un duo entre les deux époux interrompu par la mazurka d’hommage des paysans et une danse rapide. Un long passage orchestral aboutit aux regrets de Julien après la fuite de Blanka.
Le 2e tableau (4 numéros) comprend un court entracte, un trio sur un rythme de gavotte réunissant les trois vieux amis, un élégant quintette en forme de madrigal complété par Blanka et Adolar et enfin un final essentiellement chanté par Blanka dont les souvenirs pleins de passion s’expriment sur une nouvelle valse à laquelle se mêlent les réminiscences de la voix de Julien.
Acte II. (6 morceaux) débute par une introduction orchestrale valsée suivie du duo de la séparation entre Julien et Blanka. Le retour de Gretl s’accompagne d’un lied valsé et dansé puis nous entendons enfin l’attendue et très vive Mazurka bleue, chantée par Julien et Blanka. Un nouveau duo réunit une fois encore Adolar et Gretl sur des rythmes de polka et de marche, avant de conclure l’opérette par un joyeux final développé autour du duo de la réconciliation.
─ La création
Die Blaue Mazur a été créée au théâtre An der Wien de Vienne le 28 mai 1920 avec, dans les rôles principaux, Hubert Marischka (Olinski), Betty Fisher (Blanka), Ernst Tautenhayn (Adolar) et Louise Kartousch (Gretl). Le succès fut au rendez-vous, plus de 300 représentations, avec une ovation pour le compositeur qui fêtait le soir de la création, bien qu’un peu tardivement, son 50e anniversaire.
La version française en 3 actes de Marcel Danau appelée La Mazourka bleue (1) fut donnée à Paris, au Bataclan, le 8 février 1929 où elle fut chanté par Pépa Bonafé, Victor du Pond, Jean Sorbier, Henri Monval et Paul Darnois qui sauvèrent l’opérette, du moins selon Bruyas qui la juge sévèrement.
(1) Le nom de mazourka est une variante de mazurka ou mazurke donnée à cette danse polonaise à trois temps. À ne pas confondre avec la polka-mazurka.
─ Discographie
Johanna Stojkovich, Julia Bauer, Johan Weigel, Jan Kobow, Hans Christoph Begemann. Direction Frank Beermann
2 CD cpo 777 331-2, 2007
─ Références
Vous retrouverez Die Blaue Mazur dans « Opérette » n° 198. Si cet article vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
Bernard Crétel
Dernière modification: 07/04/2024