Der Vogelhändler, Theater-am-Gärtnerplatz de Munich
mercredi 31 janvier 2024

Der Vogelhändler, Theater-am-Gärtnerplatz de Munich

Le compositeur Carl Zeller

L’opérette viennoise doit plusieurs de ses plus grands succès au compositeur autrichien Carl Zeller (1842-1898), entre autres le Contremaître (der Obersteiger) et le Marchand d’oiseaux (der Vogelhändler). La carrière de Carl Zeller fut des plus brillantes. Légiste distingué, il obtint rapidement une haute situation au ministère des cultes et de l’instruction publique, et y exerça pendant quelques années les fonctions de directeur des Beaux-Arts. En même temps il gagna par ses compositions la faveur du public viennois, car son aimable talent, gracieux et insinuant, avait le goût du terroir. En dehors de quelques mélodies et de quelques chœurs pour orphéons, Zeller a surtout cultivé le théâtre. Son chef-d’œuvre le Marchand d’oiseaux (parfois aussi traduit en français par L’Oiseleur), dont la valse est presque aussi populaire que celle de La Tsigane de Johann Strauss, caractérise non seulement le talent de son auteur mais aussi l’opérette viennoise. 

Les dernières années de Zeller furent contristées par une question d’héritage dans laquelle il fut accusé d’avoir prêté un faux serment pour augmenter sa part dans une succession et condamné par défaut. La cour de cassation avait annulé ce jugement et renvoyé l’affaire devant une autre cour d’assises, mais Zeller était déjà trop malade pour pouvoir comparaître devant le jury et il est mort sans avoir pu se justifier. Atteint de paralysie générale, Zeller décéda en mai 1898 à Baden, près de Vienne, après avoir enduré depuis deux ans des souffrances terribles. Il a laissé une fortune considérable, gagnée en partie avec ses opérettes.

Carl Zeller composa la musique du Vogelhändler sur un texte de Moritz West et Ludwig Held, inspiré de la comédie-vaudeville française Ce que deviennent les roses de Victor Varin et Edmond de Biéville. Avec son opérette créée en 1891, Carl Zeller a réussi à créer le prototype de la “Heimatoperette” (l’opérette de terroir) autrichienne, écrite pour un public urbain pour lequel il a évoqué un passé rural glorifié. L’œuvre connut immédiatement un grand succès. Quelques-uns des 17 numéros de la partition firent bientôt le tour du monde, notamment ” Grüß euch Gott, alle miteinander “, “Ich bin die Christel von der Post”, “Schenkt man sich Rosen in Tirol” ou “Fröhlich Pfalz, Gott erhalt’s”. La chanson d’Adam “Wie mein Ahnl zwanzig Jahr” avec la comptine “No amal, no amal sing nur sing, Nachtigall!” fit un tabac.  Der Vogelhändler fait partie de la demi-douzaine d’opérettes qui, depuis leur création, se sont maintenues sans interruption au répertoire des scènes germanophones.

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L’action

L’oiseleur tyrolien Adam et sa factrice “Christel von der Post” sont très amoureux. Ils aimeraient se marier, mais ils ne disposent pas des moyens financiers pour fonder une famille. Le métier d’oiseleur est loin d’être lucratif. Lorsque l’ingénieuse Christel, à la recherche d’un emploi pour Adam, s’approche un peu trop ouvertement du (prétendu) prince électeur et qu’Adam fait les yeux doux à la princesse électrice, les deux amoureux  “pètent un câble”. Cela finira-t-il par s’arranger ?

Der Vogelhändler est l’histoire d’un jeune amour qui doit pour s’affirmer affronter les intrigues stupides de la classe sociale supérieure dont les membres se livrent à des manigances peu reluisantes : les pots-de-vin, la prévarication, la concussion ou le  favoritisme sont, c’est le cas de le dire, monnaie courante, de même que l’organisation de mariages d’intérêt et les avances sexuelles intimidantes. Mais en fin de compte la fraîcheur pleine de sève de l’amour juvénile finit par triompher.

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D’Schwuhplattler  (© Marie-Laure Briane)

La mise en scène

La mise en scène de Bernd Mottl nous offre une réinterprétation pétillante et authentiquement bavaroise  de l’opérette dont l’action se déroulait selon le livret original dans le Palatinat électoral (Kurpfalz). Mottl l’a déplacée en Haute-Bavière dans la municipalité de Bayrischzell, une riante localité montagnarde de Haute-Bavière située au pied du Wendelstein, pour la porter ensuite dans la Résidence munichoise. L’ouverture propose une scène de mime qui préfigure l’action et qui a lieu sous les armoiries actuelles de la Bavière aux centre desquelles se trouve le fameux blason de fusils obliques (des losanges) bleus et blancs, surmonté d’une couronne qui souligne l’attachement indéfectible des Bavarois au souvenir de la royauté wittelsbachienne. Les Bavarois sont restés sentimentalement monarchistes. Toute la production est placée sous le signe du kitsch et de l’ironie la plus absolue : il s’agit de se gausser gentiment des traditions auxquelles on est le plus attachés, ce qui en soi constitue une manière de les affirmer joyeusement. Ce sont les décors de Friedrich Eggert entièrement losangés de bleu et de blanc, c’est le crucifix qui pend dans la salle où des experts corrompus examinent les candidatures à des postes de fonctionnaires, réunis ici en l’occurrence pour désigner un directeur de la ménagerie, poste qui reviendra nécessairement au marchand d’oiseaux. La présence du crucifix dans les bâtiments publics est sujette à polémique mais n’est pas considérée comme contraire à la neutralité de l’état en matière de religion dans cet État libre (Freistaat) à la tradition catholique bien ancrée. Ce sont les costumes synthétiques qui reproduisent en tissus de plastique toute une série de tenues typiquement bavaroises, les hommes avec les Lederhosen en polymères, les nobles en costumes, les vêtements servant à établir la hiérarchie des classes sociales. L’or est réservé au prince et à la princesse : costume et bagage dorés pour le prince, lit doré et tentures de lamé or pour la chambre de la princesse. Le conte Stanislaus est un bellâtre tout de rose vêtu. La postière Christel est en jaune et bleu brillants, les couleurs de la poste bavaroise. En plastique encore les robes de mariées de la baronne Adélaïde et de Christel. Tout cela est du meilleur mauvais goût et contribue avec bonhomie à l’amusement. L’excellent chœur, groupe de personnages au cœur de l’action, est extrêmement présent dans cette opérette, et il faut tout le talent de  Karl Alfred Schreiner, le chorégraphe de la maison, pour en organiser les danses et les déplacements sur la scène assez réduite du théâtre, d’autant que la production a sollicité la contribution de six Schuhplattler, du groupe D’Schwuhplattler, pour rendre encore mieux les traditions locales1. Bien sûr, le texte a été réadapté aux réalités du jour, comme il se doit dans la tradition des mises en scène d’opérette, il est farci d’expressions bavaroises, et des dialogues ont été insérés pour célébrer ce pays qui s’étend du Karwendel à la Rhön. Comme cela se doit, la bière coule à flots continus dans les chopes de grès de la brasserie de Bayrischzell.

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Julia Sturzlbaum (© Marie-Laure Briane)

Et tout cela n’est que valses et chansons

Le rôle-titre du marchand d’oiseaux Adam a été confié à Matteo Ivan Rašić, un tyrolien autrichien de souche, un chanteur solaire dont le ténor énergique aux brillantes clartés sonores domine sans effort le plateau. Christel, la blonde postière, est chantée par Julia Sturzlbaum, dont le chant d’entrée “Ich bin Christel von der Post” a comme il se doit suscité des applaudissements nourris. Une mention spéciale revient à deux rôles secondaires superbement mis en scène et chorégraphiés, ceux des professeurs Süffle et Würmchen, deux fonctionnaires corrompus jusqu’à la moelle qui attendent promotions et décorations pour prix de de leur soumission.

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Lukas Enoch Lemcke et Juan Carlos Falcón  (© Marie-Laure Briane)

La composition qu’en donnent Juan Carlos Falcón et Lukas Enoch Lemcke est absolument hilarante et constitue un grand moment scénique avec une superbe coordination de mouvements physiques exagérés jusqu’à l’absurde et un chant à l’avenant. Regina Schörg donne avec beaucoup d’humour dans l’art du grotesque avec son Adélaïde, une vieille baronne immensément riche et prête à céder sa fortune pour trouver enfin chaussure à son pied. La basse Alexander Grassauer compose admirablement le côté bouffon du très désargenté baron Weps qui finit par épouser Adelaïde après avoir en vain essayé de lui fourguer son neveu endetté. Enfin Sophie Brommer séduit dans le rôle de la princesse électrice Marie, d’abord déguisée en paysanne. Michael Brandstätter imprime à l’orchestre un tempo et un rythme captivants.

Une production des plus réussies promise à un très bel avenir.

Luc-Henri ROGER
31 janvier 2024

Mise en scène : Bernd Mottl, Chorégraphie  : Karl Alfred Schreiner, Décors : Friedrich Eggert, Costumes : Alfred Mayerhofer, Lumières : Kai Luczak, Dramaturgie : Michael Alexander Rinz

Distribution : 

Adam : Matteo Ivan Rašić, Christel : Julia Sturzlbaum, Électrice : Marie Sophia Brommer, Baronne Adélaïde : Regina Schörg, Baron Weps : Alexander Grassauer, Comte Stanislaus : Alexandros Tsilogiannis, Professeur Süffle : Juan Carlos Falcón, Professeur Würmchen : Lukas Enoch Lemcke, Schneck : Caspar Krieger, Mme Nebel : Angelika Sedlmeier, Jette : Sushila Sara Mai, Quendel : Frank Berg, D’Schwuhplattler,

Chœur et figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Prochaines représentations les 2,7,11 et 13 février, 2 et 16 mars 2024.

1Voir notre article consacré à cet extraordinaire groupe de danseurs queer https://luc-henri-roger.blogspot.com/2024/01/schuhplattler-et-schwuhplattler.html

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