Hommage à Benoît Duteurtre
mardi 23 juillet 2024

Hommage à Benoît Duteurtre

C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de notre ami, et ponctuellement collaborateur à la revue Opérette, Benoît Duteurtre, survenu le mardi 16 juillet. La plupart de nos collaborateurs le connaissaient personnellement pour avoir été invités dans son émission de France Musique, Étonnez-moi Benoît, et appréciaient sa gentillesse et sa grande culture musicale. Nous ne pouvions que lui rendre hommage ému dont Dominique Ghesquière, qui fut souvent son invité, se fait ici l’interprète

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Une grande Maison d’opéra, une prestigieuse salle de concerts, un cabaret montmartrois,
un music-hall parisien, et un brillant salon littéraire, viennent ensemble de fermer pour toujours…

Benoît Duteurtre est parti


Ceux qui ont eu le plaisir de connaître ou de côtoyer Benoît Duteurte, ne parviennent pas encore à se résigner à son départ si brutal, ce 16 juillet au Valtin, dans sa maison des Vosges, son refuge favori… Endroit retiré et calme où son imagination, sa sensibilité, son sens aigu de l’observation, sa plume habile, nostalgique ou incisive, se retrouvaient et donnaient libre cours, loin du bouillonnement de la capitale, à ses meilleures inspirations littéraires. Plus de vingt romans ont ainsi vu le jour depuis Sommeil perdu, en 1985, jusqu’au Grand rafraîchissement, que Gallimard venait de publier en février dernier, à quelques semaines de son soixante-quatrième anniversaire… sans parler de son ultime roman en cours qu’il consacrait à son père.

Benoît naît à Sainte-Adresse, en Seine Maritime, le 20 mars 1960, et grandit au Havre où réside également Armand Salacrou. Le jeune lycéen de quinze ans soumettra ses premiers essais de plume au célèbre auteur dramatique qui l’encouragera alors à s’orienter vers la littérature. Ayant appris le piano, l’adolescent, attiré par la musique, commence parallèlement des études musicologiques au Conservatoire de Rouen. Sa passion l’amène à rencontrer Yannis Xenakis puis à étudier plusieurs mois avec Gyorgy Ligeti. Benoît n’a pas vingt ans, lorsque toujours poussé par son goût de l’écriture, il adresse à Samuel Beckett plusieurs de ses textes que celui-ci fera publier dans la revue Minuit. Le jeune Havrais, devenu Parisien joue maintenant du piano dans divers spectacles de la capitale, se faisant aussi vendeur dans un grand magasin, ou chroniqueur pour plusieurs journaux, lorsqu’en 1985, il publie son premier roman. Et les titres vont s’enchaîner, lui apportant un succès affirmé, parfois d’ailleurs accompagné de quelques remous, comme avec son Requiem pour une avant-garde (1995) où, nostalgique de la Belle Époque, il cible la musique contemporaine. Fort de sa passion musicale bien ancrée, Benoît collabore avec le compositeur et chef d’orchestre Manuel Rosenthal, avec Jean-Claude Casadesus, ainsi qu’avec Marcel Landowski. Conjuguant ses passions de la musique et de la plume, il signe le livret de la comédie musicale de Jérôme Savary : Vive l’Opéra-comique, créée Salle Favart en 2004 ; et actualise respectueusement celui de Véronique pour la reprise du chef-d’œuvre d’André Messager au Théâtre du Châtelet, en 2008. Entretemps, Benoît était devenu directeur de la Collection Solfège aux Éditions du Seuil.

À partir de 1999 il produit son émission qui deviendra fétiche :Étonnez-moi Benoît. France Musique lui ouvre ses ondes sur lesquelles il va nager avec bonheur, révélant et détaillant à l’antenne ses passions profondes ; les chansons de toutes sortes, refrains de la rue, couplets d’autrefois, airs de cabarets, tout en invitant ou en présentant en détail leurs interprètes. Il offre alors une large place à cet Art Lyrique qu’il adore, nous relatant depuis son origine jusqu’à maintenant, chaque détail de ces partitions connues ou rares, depuis l’opérette en un acte née sous le Second Empire jusqu’aux spectacles contemporains à vaste mise en scène. Il convie à son micro les têtes d’affiches de nos grandes maisons d’opéra : barytons, sopranos ou ténors, metteurs en scènes, instrumentistes, ou chefs d’orchestre, toujours soucieux d’apporter à ses auditeurs, dont le nombre s’accroît bien vite, la précision conjuguée à la rareté vocale ou musicale. Il puise, pour se faire, dans les trésors d’archives de cette grande Maison Ronde dont il aime à rappeler, avec sa simplicité légendaire et son sourire sympathique, que la première pierre a été posée, en 1954, par son arrière-grand-père maternel, le Président de la République d’alors : René Coty.

Combien d’artistes exceptionnels, de comédiens et comédiennes, de chanteurs et chanteuses, d’écrivains et de gens de théâtre, sont venus répondre aux questions bienveillantes de Benoît, soucieux de confier son micro tant aux célébrités qu’aux connaisseurs chevronnés, aux personnalités plus effacées, moins connues, précisément afin de les mettre en lumière. Car c’était cela aussi Benoît ! Sa gentillesse, son tact, sa générosité imprégnaient le studio. Sitôt l’entrée franchie, la délicate et rassurante Annick Haumier, sa fidèle collaboratrice, vous proposait un petit café pour dissiper le trac que la perspective de passer à l’antenne faisait inévitablement surgir. Puis l’on prenait place dans le studio, autour de la table où Benoît vous accueillait courtoisement. Écouteurs aux oreilles, il lançait alors, tel un chef d’orchestre, un signe à la technique de l’autre côté de la grande vitre… La pendule décomptait… La lumière rouge s’allumait… Retentissait ensuite cet indicatif si caractéristique composé de quelques notes des rythmes gitans sortis de l’accordéon de Jo Privat, air que les fidèles de l’émission ne sont pas près d’oublier. Puis, l’on entendait la voix posée et apaisante de Benoît : c’était parti pour une heure de questions et de réponses, d’extraits musicaux, de mots drôles ou teintés d’émotion, une heure que l’entrain et le professionnalisme de votre hôte semblait, comme par magie, réduire à quelques minutes.

Cette voix de Benoît, désormais tue pour toujours, chacun la connaissait pour l’entendre une fois par an, lorsque, le premier janvier, sur France 2, elle résonnait depuis les colonnes dorées du Musikverein de Vienne magnifiquement fleuri, pour présenter et commenter dans une traduction parfaite, les valses et les galops de la Famille Strauss et autres grands compositeurs de musique de danse. Vienne et le Danube, Benoît adorait… Tout comme New York qu’il avait découvert avec engouement en 1990… et dont il rêvait déjà, gamin, en voyant sortir les Transatlantiques du port du Havre où travaillait alors son père… Et évidemment, citadin dans l’âme à l’esprit pétillant, Benoît aimait Paris – le Paris d’avant – et la Seine, au milieu de laquelle, sur l’île de la Cité, il avait élu domicile depuis des lustres.

Radio France préserve et met à disposition de tous son patrimoine sonore, notamment les 538 épisodes d’Étonnez-moi Benoît, ainsi que sa Grande Histoire de l’Opérette qu’il avait concentrée en sept épisodes prochainement diffusés à l’antenne. Pour les écouter, il suffit de se rendre sur le site de France Musique afin de retrouver, en podcast, toutes les facettes artistiques de la personnalité exceptionnelle de Benoît Duteurtre, érudit, passionné et inconditionnel de musique et de livres. Ce romancier habile, se trompait donc, ô combien, en signant, en 2003, Tout doit disparaître, puisque son souvenir, lui, fera exception et ne disparaîtra pas de sitôt de nos mémoires…

Dominique Ghesquière

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