EDMOND AUDRAN – Sa vie, son œuvre.
Aux mascottes il faut croire !
Biographie de Bernard Crétel – Éditions Delatour France. (Mai 2025)
Dans une période où les productions lyriques se raréfient toujours davantage, Bernard Crétel, s’il le déplore et s’en inquiète, en prend ici le contre-pied avec un éclat à même de redonner l’espoir en l’avenir et nous autorise à espérer de belles heures pour tout un répertoire musical dans lequel le compositeur de La Mascotte ne tient pas une moindre place.
Directeur de rédaction de la revue puis du site Théâtre Musical Opérette, auteur, depuis près de 30 ans, d’articles de référence sur les opéras-comiques et opéras-bouffes du XIXème siècle, leurs compositeurs et leurs interprètes, Bernard Crétel nous offre, avec son premier livre, une biographie érudite et captivante d’Edmond Audran, richement illustrée d’affiches, de caricatures et de photographies d’époque.
Aussi passionné qu’expert de son sujet, l’auteur ne se contente pas de retracer avec précision le parcours du compositeur et de ses œuvres pour la plupart aujourd’hui méconnues. Il réalise le tour de force, en 230 pages, de nous faire revivre le contexte culturel et artistique dans lequel Audran a évolué et trouvé sa place ; de dresser le portrait de ses principaux interprètes ; et de mettre en perspective son influence et sa postérité jusqu’à nos jours. On apprécie particulièrement l’analyse approfondie des livrets et des partitions d’Audran, qui, en mettant en lumière l’originalité de son approche mélodique, révèle son rôle de premier plan dans le triomphe de l’opéra-comique léger français. Nietzsche saluera la « vraie science des finesses du goût et des effets » des compositeurs tels qu’Audran, dont il reprendra la définition de l’opérette : « le paradis de toutes choses délicates et raffinées y compris les sublimes douceurs ».
Edmond Audran naît à Lyon, en 1840, au sein d’une famille de musiciens accomplis. Son père, Marius, chante au Grand Théâtre avant de faire une belle carrière à l’Opéra-Comique de Paris. Son frère, Alfred, deviendra ténor léger. Le jeune Edmond étudiera la pratique instrumentale et la composition à Paris, au conservatoire fondé en 1853 par Louis Niedermeyer dans le but initial de former des organistes dont Léon Vasseur, Camille Saint-Saëns, André Messager… À dix-neuf ans, il en remportera le prix de composition.
Il a vingt-et-un ans lorsque la famille Audran déménage à Marseille ou son père va poursuivre sa carrière, et c’est tout naturellement qu’Edmond y devient organiste de l’église Saint-Joseph. Ses compositions religieuses rencontreront un certain succès, notamment une marche funèbre écrite en hommage à Meyerbeer, et une messe pour chœur et orchestre qui sera reprise à Paris, en l’église Saint-Eustache. Mais son heure n’est pas encore venue et La Sulamite, l’oratorio qu’il donnera à Marseille puis à Paris, ne suffira pas à lui apporter la reconnaissance escomptée.
Le goût et le tempérament d’Audran le poussent, depuis sa sortie du conservatoire, à composer par ailleurs de la musique légère : d’abord des chansons dont certaines en dialecte provençal, puis quelques pièces lyriques. Son premier un-acte donné à la scène sera L’Ours et le Pacha, en 1862, l’année suivant sa nomination d’organiste. Mais c’est seulement en 1877 que Le Grand Mogol, sur un livret d’Alfred Duru et Henri Chivot, apportera le succès à Audran. À trente-sept ans, l’enthousiasme qu’il rencontre enfin à Marseille, lui permet de croire en l’avenir et de quitter son poste d’organiste pour tenter sa chance à Paris, comme compositeur d’œuvres lyriques.
Mais les théâtres parisiens ne sont pas les théâtres de province, et Audran devra encore patienter deux longues années avant que les Bouffes-Parisiens acceptent de donner Les Noces d’Olivette. Il rencontrera enfin un succès qui ne se démentira pas, puisque suivront, entre autres, La Mascotte, Gillette de Narbonne, Le Grand Mogol (version de Paris), La Cigale et la Fourmi sur des livrets des mêmes Duru et Chivot, puis Miss Helyett, L’Oncle Célestin, L’Enlèvement de la Toledad, La Poupée… durant une vingtaine d’années. Ses œuvres, adaptées en anglais, traverseront les océans. Il composera d’ailleurs Indiana pour le public londonien, sur un livret de Henry Brougham Farnie.
Sa consécration tardive, que laissait pressentir l’accueil de sa comédie lyrique Photis, sera malheureusement interrompue précocement. Audran se retirera dans sa campagne à soixante-et-un ans, pour s’y éteindre « surmené, un peu aigri, le moral ayant eu raison de la matière » indiquera Delilia qui précisera : « Pauvre Audran ! un bon, très bon garçon, doux, serviable, généreux ».
Bernard Crétel nous propose cette toute première biographie d’Edmond Audran, plus d’un siècle après sa mort. Il présente au lecteur un homme et un musicien honnête, infatigable travailleur, auteur de partitions gaies, légères et d’une grande élégance, à qui il restitue légitimement une place au premier plan parmi les compositeurs français de la fin du XIXème siècle. Ses sources extrêmement variées, depuis la presse de l’époque jusqu’aux commentaires d’artistes, nous plongent de plein-pied dans la vie quotidienne d’Audran, au rythme de ses espoirs, de ses succès ou de ses quelques déceptions. Si ses commentaires et analyses sont approfondis, son écriture est agréable et fluide. La richesse des illustrations reproduites permet d’apprécier plus intimement encore les créations d’Audran, rendant ce beau livre accessible aussi bien aux néophytes qu’aux mélomanes avertis.
Audran avait synthétisé la quintessence de son art :à l’instar de Bernard Crétel, soyez-en convaincus, en Audran il faut croire !
Dominique Ghesquière