Toujours soucieuse de ne pas réduire la saison lyrique aux seules représentations ou concerts traditionnels, l’équipe de Clermont-Auvergne-Opéra, sous la direction de Ève Coquart, n’hésite pas à sortir de la routine. C’est le cas pour ces deux représentations du Cendrillon de Pauline Viardot, données au foyer du théâtre de Clermont-Ferrand par quelques élèves de la classe de chant d’Alice Ungerer au conservatoire Emmanuel Chabrier.
Pauline Viardot est une des figures marquantes de la vie culturelle du dix-neuvième siècle . On renverra pour sa biographie aux ouvrages qui lui ont été consacrés. Elle est la plupart du temps présentée comme « la sœur de la Malibran » (mais on ne présente jamais la Malibran comme la sœur de Pauline Viardot et on n’appelle pas cette dernière «la Viardot »). Malibran jouit du triste avantage d’une dramatique mort précoce qui en fit un personnage romantique pour ne pas dire « romanesque ». On résume souvent la biographie de Pauline au drame de la dégradation assez précoce d’une voix exceptionnellement étendue mais utilisée sans retenue et sans ménagement. C’est très réducteur. Ce fut une artiste très complète, tombée dans la marmite avant même sa naissance et qui sut nouer des amitiés fortes avec nombre de figures de premier plan, comme sa grande amie George Sand qui s’en inspira pour Consuelo, Tourgeniev, ou Saint-Saëns qui lui dédia son Samson et Dalila, pour ne retenir que ces trois là. Son salon fut une des lieux incontournables de l’élite parisienne. À côté de ses multiples talents elle déploya celui de compositrice avec une affection particulière pour la mélodie dont elle compose un très grand nombre en plusieurs langues. Elle composa également quelques ouvrages lyriques dont cette Cendrillon, « opérette de salon » en trois actes, probablement composée vers 1883 mais qui ne fut créée qu’en 1904, justement dans le salon Viardot. La compositrice était alors âgée de 83 ans. (Elle mourut en 1910).
Comme on peut s’en douter l’ouvrage est inspiré du conte de Perrault avec toutefois quelques modifications dont celle, non négligeable, de l’absence de marâtre et de la présence d’un père, ancien épicier quelque peu filou devenu baron de Pictordu (Sujet très balzacien) et qui ne présente aucune empathie pour l’héroïne, sa fille. La pièce suit le déroulé du conte, avec le fameux bal au deuxième acte, où la fée marraine se mêle ici aux invités et participe incognito à la fête.
Le très beau foyer de l’opéra de Clermont, restauré à l’identique il y a quelques années est l’endroit le mieux indiqué pour cette opérette de salon. Le dispositif scénique, sommaire et assez bricolé avec les moyens du bord, correspond assez à ce que devait être la réalité de ce genre de divertissement mondain. Avantage de poids : en ce mois de novembre il n’y eut du moins aucune difficulté à se procurer la fameuse citrouille. Par ailleurs, il n’y a pas de mal à muer la tout aussi fameuse pantoufle de vair (c’est à dire de fourrure d’écureuil, et non de verre) en des pantoufles animalières du plus beau rose. Bricolés pour les hommes, les costumes féminins, en particulier pour la scène du bal, mais aussi pour la fée marraine, sont d’une somptuosité qui devait correspondre assez à ce qu’endossaient ces dames quand elle s’exhibaient dans une scène de bal.
Pauline Viardot, ses biographes sont unanimes sur ce point, ne considérait pas ses compositions autrement que comme une sorte de jardin, non secret, mais assez personnel. Elle, qui au moment de la composition de Cendrillon avait connu la musique de Berlioz et celle de Wagner, demeure dans le romantisme lyrique de ses débuts. On reconnaît dans la partition l’influence nette de cette école, avec une touche bien personnelle. Il ne faut pas chercher à y voir autre chose que ce à quoi elle était destinée. Elle respecte les règles du genre, plutôt d’ailleurs en direction de l’opéra-comique de la première moitié du siècle que de l’opérette offenbachienne ou post-offenbachienne, avec ses ouverture, airs, duos, ensembles, épisode chorégraphique, le tout avec accompagnement de piano plutôt finement écrit. On se doute bien qu’elle savait écrire pour la voix.
C’est d’ailleurs une bonne raison pour faire de cette opérette un exercice pratique pour des apprentis chanteurs et les mettre en condition réelle de représentation avec la nécessité d’affronter le trac, l’alternance parlé-chanté, les contraintes du jeu, de costume, les objets malicieux : une coiffe qui ne veut pas quitter une tête, un fauteuil qui se dérobe sous un faux-cul…
Il convient naturellement de prendre les choses à leur niveau, c’est à dire celui d’apprentis à l’expérience et aux talents inégaux, ayant évidemment encore à apprendre. Il faut s’attendre à globalement remarquer les maladresses propres à ce stade : une tendance à la fixation sur l’intensité plutôt que sur la nuance, une dureté souvent dans les aigus, un manque d’assurance sur la justesse parfois, une articulation parfois bien négligée, une crispation sur les notes au dépens du phrasé, un vibrato instable ou inexistant… Le public n’est pas là pour distribuer des notes mais pour entrer dans le jeu.
Lisa Atenza en Cendrillon échappe assez généralement à ces travers. Sa voix et sa technique sont en adéquation avec le rôle. Elle emporte la conviction dès son air d’entrée « Il était jadis un prince » interprété avec délicatesse et sentiment. Son jeu de comédienne est sans affectation. Elle est dans le ton et on y croit. Tout aussi convaincantes dans le rôle des deux méchantes sœurs Carole Gerbal et Clotilde Lao, compensent assez habilement par leur jeu, les imperfections vocales. On remarque le beau moelleux des graves de la première et la belle articulation de la seconde. Contrairement au travers noté plus haut Lily Teysseyre sait user d’assez beaux piani dans les aigus et d’un joli phrasé. C’est clairement un caractère. Sa jeunesse fait du personnage presque un double nocturne, amical et enjoué de l’héroïne, accentué par son superbe costume à la sombreur scintillante et vaporeuse. La partie masculine semble un peu moins à l’aise. Il est vrai que le vieillissement artificiel, entre autre, n’aide pas beaucoup. On est surpris, lors de l’interprétation de Barigoule par Elie Guillen de retrouver, involontairement sans doute, des restes de baroquisme dans l’écriture. Pauline Viardot a interprété Gluck et ne l’a pas oublié. Le comédien n’hésite pas à payer de sa personne. Augustin Matjasec parvient à donner au baron de Pictordu une allure assez convaincante et dramatiquement intéressante de père je-m’en-foutiste tandis que Samuel Chochina est un Prince Charmant plein de déférence, la sincérité de son interprétation vocale est appréciable et laisse des perspectives. Les ensembles vocaux sont bien en place, équilibrés et musicalement efficaces, il en va de même pour les chœurs, dirigés depuis le public par Alice Ungerer qui a en outre réglé la mise en espace.
L’accompagnement était assuré avec le professionnalisme qu’on lui connaît par Pierre Courthiade, incontournable dans ce genre de d’exercice.
Expérience à renouveler.
Gérard Loubinoux
20 novembre 2024
1ère séance
Cendrillon (Pauline Viardot)
Atelier Lyrique de CRRR de Clermont-Ferrand – Professeur de chant et mise en espace : Alice Ungerer – Piano : Pierre Courthiade – Costumes : Pauline de Almeda Maugue et Isabelle Croizet
Avec :
Lisa Atenza (Cendrillon) – Carole Gerbal (Amelinde de Pictordu) – Clotilde Lao (Maguelone de Pictordu) – Lily Teysseyre (La Bonne Fée)
Samuel Chochina (Le Prince Charmant) – Elie Guillen (Le Comte Barigoule) – Augustin Matjasec (Le Baron de Pictordu)