Antoine-Louis Clapisson (1808-1866)

Antoine-Louis Clapisson (1808-1866)

La musique française du XIXe siècle voit la prédominance écrasante du répertoire lyrique sur toutes les autres formes de musiques. Si l’opéra y tient une grande place, l’opéra-comique, particulièrement prisé du public, y abonde également. De la multitude de ces ouvrages plus légers, dus à la plume de nombreux compositeurs, il reste peu de choses. Cependant, de temps à autres, quelques titres émergent et nous rappellent que ce genre musical, éminemment français, avait beaucoup de charme. Parmi les titres ressuscités ces dernières années, on peut citer Manon Lescaut et La Sirène d’Auber, Le Toréador et Le Postillon de Lonjumeau d’Adam, Mignon de Thomas ou Le Voyage en Chine de Bazin.
Un autre de ces titres oubliés, Le Code noir, de Louis Clapisson (1842), a été exhumé en 2020 par l’Opéra de Massy. Non seulement sa partition est tout à fait charmante mais son intrigue rejoint nos préoccupations actuelles liées au racisme.
Découvrons qui était son compositeur.

Enfants ny touchez pas Un talent précoce

C’est en Italie, à Naples où son père occupe les postes de professeur au conservatoire et de cor solo au Teatro San Carlo, que naît, le 15 septembre l808, Antoine-Louis Clapisson. Ses parents ont suivi le prince Murat, l’époux de Caroline Bonaparte, lorsqu’il est devenu roi de Naples en 1808. Après la défaite française et l’installation de la Restauration italienne, Murat, en tentant de reconquérir son royaume, est fusillé par les napolitains en 1815.
La famille Clapisson revient en France et s’installe à Bordeaux. Dès l’âge de huit ans, sous la conduite du célèbre violoncelliste et directeur du Grand Théâtre de Bordeaux Pierre-Louis Hus-Desforges (1773-1838) le petit Louis apprend le violon et parcourt le midi de la France où il étonne par son habileté précoce, apposant lui-même sur les murs, les affiches du concert qu’il donne le soir même avec son protecteur. Après avoir reçu des leçons d’harmonie du compositeur Hippolyte Sonnet, il intègre pendant quelque temps l’orchestre du Grand Théâtre de Bordeaux, puis, à vingt et un ans, sûr que la gloire l’attend à Paris, il gagne la capitale avec un minimum d’argent en poche. Ayant remarqué une affiche annonçant un concours pour une place de violon au théâtre Comte, il remporte le prix, ce qui lui assure un salaire de 600 francs par an.
Admis au Conservatoire en 1830 il y suit les cours de violon d’Habeneck et d’harmonie, de contre-point et de composition de Reicha, remportant en 1833, un second prix de violon. Remarqué pour son talent de compositeur, il est nommé professeur et remplace Reicha. Engagé comme premier violon au Théâtre Italien et second violon à l’Opéra, il commence à publier les premières des nombreuses romances, (l’une des plus célèbres étant « Enfants n’y touchez pas ») ainsi que les petites scènes, duos et chœurs pour orphéons auxquels son nom sera d’abord attaché, produisant à partir de 1839, un album de ces petits ouvrages chaque année.

Un début très remarqué

En 1838, son premier ouvrage est donné à l’Opéra Comique et, pour un coup d’essai s’avère être un coup de maître.

La Figurante, (5a composés sur un livret de Scribe et Dupin au texte médiocre déjà refusé par deux autres musiciens). Confié par défaut à Clapisson, il lui permet de prouver qu’il est un excellent musicien et ce, malgré le délai de deux mois imposé pour écrire sa partition.
L’intrigue, complexe, met en scène Arthur de Villefranche, jeune homme rêvant d’être militaire ; pour échapper à son oncle, un cardinal exigeant qu’il se fasse tonsurer, il s’affiche avec une figurante de l’Opéra, Judith, apparemment issue d’un milieu très modeste, mais dont il est épris. En fait elle est la fille d’un noble espagnol disgracié, le duc de Lemos, qu’un escroc a placée enfant chez une portière de Paris. S’en suivront de nombreuses péripéties : enlèvement de Judith, trahisons, condamnation à mort du jeune homme, retour en grâce du grand d’Espagne, pour se terminer à Madrid par le mariage des deux amoureux.
De nombreux bravos récompensent pendant 46 représentations, à la fois la partition, jugée d’un style très élégant et d’une habile instrumentation, et sa remarquable créatrice, la charmante dugazon Jenny Colon.
La porte de l’Opéra Comique lui étant désormais grande ouverte, Clapisson abandonne le métier de violoniste pour se consacrer à la composition. Il s’y produit d’abord avec deux un-actes couronnés de succès :

La Symphonie ou Maître Albert (de Vernoy de Saint-Georges, 12 octobre 1839).
Un compositeur, Albert, faisant représenter une symphonie à la cour d’un duc, ne peut cacher les sentiments qu’il éprouve pour la fille de ce dernier. Jeté en prison, il devient fou mais retrouve la raison en entendant jouer sa symphonie. Par un retournement de situation, il finit par épouser la duchesse
.

La Perruche (Dumanoir et Dupin, 28 avril 1840).
Ce lever de rideau, grâce à son ton léger, puéril même, mais plein d’esprit, deviendra un spectacle à part entière donné pendant 164 représentations jusqu’en 1861.
Une baronne adore sa perruche mais celle-ci s’échappe à cause d’une maladresse de son fiancé, et tout est remis en cause. Les cris et les gémissements de la baronne importunent toute sa maisonnée jusqu’à ce qu’un porteur d’eau, le promis de la femme de chambre, retrouve le volatile.
Commentaire du Ménestrel du 3 mai 1840 : « La musique de M. Clapisson est remplie de qualités. C’est un mélange de science et d’inspiration qui satisfait tout à la fois le cœur et la tête, l’imagination et le raisonnement. »

Une production régulière au rythme d’une œuvre par an

Passons sur Le Pendu (Courcy et Carmouche, 25 mars1841), à l’intrigue de mauvais goût (13 représentations)1 Un soldat, condamné à être pendu, obtient la facétieuse permission de se chercher un remplaçant. Le soldat le trouve dans la personne d’un pauvre amoureux renonçant à la vie par désespoir d’amour. Bien sûr, le dénouement épargne le tableau d’une pendaison.

Frère et mari (Polak et Humbert, 7 juillet 1841) connaît un meilleur accueil (60 représentations) malgré une intrigue immorale. Un peintre marié engage sa femme à passer pour sa sœur afin de garder les bonnes grâce d’une comtesse qui doit lui procurer une place de conservateur de musée.
Cet ouvrage contient deux vers curieux pour leur valeur documentaire. La comtesse, afin de montrer le degré d’amour qu’elle a inspiré au peintre, s’écrie fièrement :
« Avec d’autres femmes il danse / Mais il ne valse qu’avec moi ! » Si la différence aujourd’hui nous parait peu sensible, elle prouve l’idée que l’on se faisait alors de la valse. Elle était encore la danse capricieuse, libre d’allure qu’on interdisait aux jeunes filles et dont l’aspect corrupteur se trouvait dénoncé dans cette romance longtemps célèbre de Bazin :
« Ah! ne valse pas, car la valse inspire / Un aveu, souvent, au cœur incertain. »
ainsi que ces vers de Victor Hugo, tirés de « Feuilles d’automne » :
« Si vous n’avez jamais vu d’un œil de colère / La valse impure, au vol lascif et circulaire / Effeuiller en courant les femmes et les fleurs… »

La production de Louis Clapisson se poursuit à l’Opéra Comique avec Le Code noir, l’un des seuls ouvrages, avec Paul et Virginie de Victor Massé (1876), à évoquer sur scène l’esclavage pratiqué dans nos colonies au XIXe siècle, question alors préoccupante dans la société française des années 1840 où le courant abolitionniste prenait de l’ampleur. (L’esclavage, aboli à la Révolution Française, avait été rétabli par Napoléon 1er  ; le décret du 27 avril 1848 l’abolira définitivement.)

le code noir

Le Code noir (3a, Scribe, 9 juin 1842)
Pour construire son livret (adapté d’un roman de l’époque), Scribe étudie attentivement le Code colonial (Édit royal de Colbert promulgué en 1685 pour régir l’esclavage) dont il s’appuie sur plusieurs articles. Cependant, pour se conformer aux habitudes de l’Opéra Comique, le livret accorde une large place aux intrigues amoureuses, aux scènes enjouées, ce qui atténue quelque peu la portée de la dénonciation de l’esclavage.
La scène se passe à la Martinique, les deux premiers actes dans la demeure du gouverneur, le troisième dans la ville de Saint-Pierre.

Le marquis de Feuqière, gouverneur de l’île, homme désagréable et violent, a redoré sa fortune en épousant Gabrielle, nièce de Parquet Denambuc, un riche négociant de la Grenade. La jeune femme a été confortablement dotée d’immeubles et de “meubles”, ces derniers comprenant divers esclaves dont le mulâtre Palème et la mulâtresse Zoé, l’amie d’enfance de Gabrielle. Les deux femmes sont très attirées par un charmant jeune homme, Donatien, un enseigne de vaisseau en escale à La Martinique. Autre personnage important, la métis Zamba, exerçant le commerce de bimbeloterie et de bonne aventure. Nous apprenons bientôt que cette dernière, esclave et maîtresse de Denambuc, s’était enfuie, vingt ans plus tôt après avoir blessé son maître par jalousie, emmenant le fils né de leur liaison ; pour le sauver de l’esclavage, elle l’avait envoyé en France. Ayant découvert que Donatien est en fait le fils de cette esclave, le gouverneur, par jalousie, le fait arrêter pour le rendre à sa condition première. Afin de le sauver une nouvelle fois, Zamba s’offre au gouverneur mais seule l’arrivée de Denambuc, leur premier propriétaire, qui a pardonné, permettra l’émancipation de Donatien et de sa mère, et autorisera le jeune homme à épouser Zoé.
L’histoire multiplie diverses intrigues secondaires : Zamba, voulant racheter son fils, doit renchérir contre Palème qui aime lui aussi Zoé, alors que celle-ci, dans un premier temps, accepte d’épouser Denambuc s’il rachète et libère Donatien.

Pour séduire le public, Clapisson a atténué lui aussi le tragique de cette intrigue en dotant sa partition de plusieurs morceaux légers. Après une ouverture agréable et sautillante, et quelques airs joyeux : « C’est un tyran, c’est un méchant », l’orchestration prend des tonalités plus sombres pour souligner la violence des coups de fouet par les percutions, les angoisses suscitées par un orage, les fuites éperdues, mais sait aussi évoquer la magie de certains paysages. De nombreux soli de hautbois, basson, cor, clarinette traduisent les états d’âme des personnages, accompagnant parfaitement les airs. Citons celui de Donatien : « Ô jour de bonheur et d’ivresse », alliant élans passionnés, tendresse et élégance, ou sa romance « Adieu, toi ma pauvre mère », la touchante prière de Zamba ainsi que le trio féminin des lignes de la main (préfigurant le Trio des cartes de Carmen). Ajoutons également le duo final au premier acte ou l’aubade originale donnée par les Noirs.
Créé le 9 juin 1842 à l’Opéra Comique, Le Code noir, le sixième de la vingtaine d’ouvrages de Clapisson, connaît un franc succès.

Les Bergers trumeaux (1a. Dupeuty et de Courcy, 10 février 1844)
Un grand seigneur du temps de Louis XV veut faire jouer une comédie dans son château, et fait tirer les rôles au sort par des comédiens de qualité. Il en résulte des situations comiques et même grotesques. Cette intrigue permet au compositeur de présenter une parodie ingénieuse des formules musicales des anciens maîtres.
L’opéra comique suivant, des mieux venus, conforte la réputation de Clapisson :

Gibby la cornemuse (3a. Brunswick et de Leuven, 19 novembre 1846).
Un berger écossais superstitieux, musicien de cornemuse allant d’un lieu à un autre, se trouve mêlé à diverses situations. Il déjoue un complot de conspirateurs anglais visant le roi Jacques VI d’Écosse, fils de Marie Stuart, et le charme par ses ballades nationales. Il est récompensé en obtenant la main de la gentille Mary Pattison, la fille d’un aubergiste.

Gibby
“Gibby la cornemuse” estampe par Jules Rigo

La partition renferme quelques morceaux franchement inspirés ; citons la Romance du sommeil : « Rêvons qu’un plus beau jour… » 2, quelques chœurs sautillants, de jolis duos et des ensembles vigoureusement écrits qui auraient mieux leur place dans un opéra que dans un ouvrage aux situations souvent bouffonnes. Mais Clapisson a parfaitement dépeint chaque situation, comique ou sérieuse, avec exactement la couleur qui lui est propre. L’œuvre, conçue pour faire ressortir les ressources du magnifique talent du ténor Gustave Roger dans le rôle principal, connaît un succès énorme et suscite l’admiration de Berlioz, classant son auteur à une place éminente parmi les jeunes compositeurs. (Il sera fait Chevalier de la Légion d’honneur en 1847).
Cette réussite l’ayant incité à viser plus haut, trop haut sans doute pour ses moyens, Clapisson se lance dans la composition d’un grand opéra de style meyerbeerien.

Jeanne la folle, (5a. Scribe, 6 novembre l848 à l’Opéra)
l’intrigue met en scène les dernières années de la reine d’Espagne Jeanne, qui devint folle après le décès de son mari, Phlippe le Beau, dont elle promena pendant plusieurs années la cercueil, de couvent en couvent, avant d’être internée par son fils Charles Quint.
Dans son importante partition, comportant un grand ballet, le compositeur utilise toutes les ficelles du genre, écrit avec fermeté, prouve sa maîtrise de l’orchestre mais, par inexpérience dans ce genre, il lui manquent encore l’art des nuances et la gradation des effets. L’insuccès de cet opéra (9 représentations), aggravé par une interprétation peu satisfaisante, l’incite à revenir au format plus modeste de l’opéra-comique.

Passons sur deux ouvrages peu réussis, La Statue équestre (1a. Scribe, 1850) et Les Mystères d’Udolphe (3a. Scribe et Delavigne, 4 novembre 1852) pour retrouver un véritable succès…

la promise

La Promise 3a. de Leuven et Brunswick, donnés au Théâtre Lyrique le 15 janvier 1854).
Marie, tendre fille d’un pauvre pêcheur, aime Petit-Pierre, un honnête garçon devenu marin. Les aléas du destin amènent Marie à accepter d’épouser un capitaine de vaisseau, M. Giromont, par reconnaissance, pour avoir soutenu son père ruiné. Petit-Pierre revient le jour du mariage et si les deux jeunes gens sont désemparés, ils ne disent rien de leurs sentiments. Une alerte guerrière ayant obligé le capitaine à rejoindre son vaisseau, il confie Marie à Petit-Pierre qu’il considère comme son fils. Tout l’art de Marie, pour autant des plus honnêtes, sera de persuader M. Giromont de renoncer à elle et de la laisser épouser l’élu de son cœur.
L’intrigue est toute en grâce et légèreté, avec des mélodies franches, claires et limpides, soutenues par une orchestration riche et variée. L’incontestable succès de La Promise (60 rep.) est également dû à son interprète principale, Marie Cabel, dont la technique lui permet de triompher avec éclat des vocalises les plus difficiles.

Le meilleur des hommes

Faisons une pose pour découvrir l’homme qui se dissimule derrière le compositeur. Pour cela, aidons-nous du portrait que fera de lui Louis Roger 3 lors de son éloge funèbre en 1866. Certes, dans ces cas-là les portraits sont toujours des plus édulcorés mais celui de notre compositeur se situe sans doute près de la vérité.
Je vois toujours cette physionomie fine aux yeux doux et chercheurs, cette belle tête à la bouche gauloise qui décochait le trait vif sans méchanceté, et spirituel à la façon de nos pères. Sensible plus que personne aux succès… il était d’une philosophie étonnante pour les épreuves des jours néfastes… Clapisson était un homme de cœur, un homme de bien dans toute l’acception du mot. Si on l’aimait pour ses productions… on avait pour lui, quand on l’approchait, cette affection profonde qui attache instinctivement aux natures franches et généreuses, et c’est le cœur sur la main que l’on serrait sa main où l’on sentait son cœur. Clapisson était un homme de bien dans toute l’acception du mot. »

Les insuccès succédant à La Promise entachent cependant quelque peu son moral. Ils concernent Dans les vignes (1a. tableau villageois, d’Arthur de Beauplan et Brunswick, 31 décembre 1854 au Théâtre Lyrique, 19 rep.), Les Coffres de Saint Dominique (1a.opéra de salon d’Emile Deschamps, 25 février 1855 salle Herz et publié dans le Magasin des Demoiselles) et Les Amoureux de Perrette (1a. donné au Théâtre de Bade par Marie Cabel et ses deux beaux-frères).

Musee des instruments 1

Pour compenser les moments de.mélancolie liés à ces échecs, notre compositeur s’adonne à son autre passion qui l’anima toute sa vie, celle de collectionneur. D’abord intéressé par tous les objets du passé, dont les faïences anciennes, il se spécialise ensuite sur les instruments de musique, essentiellement ceux du Moyen-âge et de la Renaissance, épinettes, vielles, serpents, théorbes, trompettes marines… complétés par quelques raretés telles qu’un violon de Stradivarius, un piano de Marie-Antoinette et un autre de Grétry, un piano de voyage de Beethoven, un portrait de Mozart enfant.
Il réunit ainsi une collection magnifique d’instruments anciens qu’il cédera en l86l à l’État, moyennant une somme de 30 000 francs, une pension de 3 000 francs, puis le titre de conservateur du Musée inauguré le 17 novembre 1864. La collection Clapisson est devenue par la suite le fonds du Musée instrumental du Conservatoire, aujourd’hui Musée de la Musique, l’un des plus riches au monde avec plus de 7000 instruments et œuvres d’art.

Le retour du succès

Si les échecs précédents ont quelque peu éteint la verve de Clapisson, sa nomination (élu avec 21 voix contre 4 pour Berlioz) le 26 août 1854 comme membre de l’Académie des Beaux-Arts, (en successeur d’Halévy devenu le secrétaire perpétuel), lui rend confiance et se manifeste par une inspiration rajeunie. Elle lui permettra de connaître le plus grand et du plus durable de ses succès…

La Fanchonnette 2La Fanchonnette (3a. Vernoy de Saint-Georges et de Leuven, 1er mars 1856 au Théâtre Lyrique).
L’intrigue de cet opéra-comique se déroule à Paris pendant la Régence et reprend l’histoire de Fanchon la vielleuse. 4
Fanchonnette est une marchande de chansons à qui le prince de Listenay a légué son immense fortune en déshéritant son jeune neveu Gaston. La légataire, sans se faire connaître, protège la victime, lui fait parvenir chaque mois mille pistoles, puis obtient pour lui le brevet de colonel. Elle s’engage ensuite à lui faire épouser la nièce de M. Boisjoly, un riche financier. Touché de tant de bienfaits qu’il attribue à la tendresse d’une vieille tante, le jeune homme est enfin admis en présence de Fanchonnette mais, grâce à un travestissement qui lui donne quatre-vingts ans, la jeune femme peut ainsi lui laisser ses illusions.

La donnée semble irréaliste mais le livret est des plus agréables avec son tableau amusant et pittoresque du premier acte, ses scènes pleine d’entrain et d’une couleur franche, aux dialogues semés de mots heureux, et surtout vivifiés par une musique des plus heureuses dont un critique de l’époque fait ce compte-rendu : « Le style mélodique de M.Clapisson est devenu plus clair, son harmonie est moins recherchée, son instrumentation n’est plus chargée de ces ornements parasites qui étouffent la pensée principale. »
Tous les morceaux sont appréciés : l’ouverture, le duos des deux clarinettes, une trouvaille musicale, la romance de Listenay : « La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a », le ballet, le Noël, le boléro, la délicieuse romance : « Près du fauteuil où la souffrance », et les duos, jusqu’à la chanson qui sert de finale : « la Fanchonnette vous chansonnera. »
Créé sous la direction de Carvalho, cet opéra-comique, dès le premier soir, remporte une réussite au-delà de toute espérance. De plus, la pièce bénéficie de la présence remarquable de Mme Miolan-Carvalho, la femme du directeur, alors dans la fleur de son jeune talent. Les qualités de La Fanchonnette lui permettront d’être reprise jusqu’au début du XXe siècle (192 représentations).


Lorsque ses revenus diminueront à causes du succès moindre des ouvrages suivant, Clapisson n’hésite pas à s’engager dans de nouveaux emplois pour assurer le bien-être de son épouse Marie Catherine Bréard et de ses deux fils pour lesquels il éprouve une profonde affection.
Ses dernières créations n’ajouteront rien à sa réputation et seront ici évoqués plus rapidement. Le Sylphe (2a. Vernoy de Saint-Georges, 27 novembre 1856 à l’Opéra Comique)
Le marquis de Valbreuse, marin peu sentimental, guérit sa jeune épouse Angèle de ses phantasmes peuplés de gnomes et de sylphes en se faisant passer pour l’un d’eux. Les agréables coquetteries de l’orchestration ne permettront pas de dépasser les 23 représentations.
Margot (3a. Vernoy de Saint-Georges et Leuven, 5 novembre 1857 au Théâtre Lyrique)
Ouvrage au succès réduit, 30 représentations, malgré la présence de Mme Carvalho,
Les Trois Nicolas (3a. Bernard Lopez, Scribe, Gabriel de Lurieu, 16 décembre 1858 à l’Opéra Comique)
Trois personnages, portant le même prénom de Nicolas, se rencontrent à un rendez-vous, travestis et masqués. Intrigue prétexte pour évoquer une aventure de la jeunesse de Dalayrac. Partition habile, agréable et sachant restituer Le caractère tendre et sentimental de la musique de Dalayrac (43 représentations).

En 1859, Clapisson reçoit de Scribe et Henry Boisseaux un nouveau livret en 3a. Le Sultan Barkouf, destiné à être chanté par Delphine Ugalde au Théâtre Lyrique. La cantatrice étant rappelée à l’Opéra Comique, le projet est annulé. Le livret est alors confié à Jacques Offenbach. Cet ouvrage, renommé Barkouf, sera l’échec le plus cuisant du compositeur. Sachant que cette chute est surtout due au seul nom d’Offenbach, alors moins que désiré sur la scène de la salle Favart. Qu’en aurait-il été si Clapisson était allé au bout de ce projet ?

Madame Grégoire (3a. Scribe, Henri Boisseaux, 8 février 1861 au Théâtre Lyrique)
Un lieutenant de police chargé de découvrir l’auteur d’une satire contre Mme de Pompadour, le trouve dans le cabaret de Mme Grégoire, elle même compromise. Une partition très surchargée pour compenser une intrigue compliquée mais sans intérêt.
Un dernier ouvrage, La Poularde de Caux (opérette 1a. de Leuven et V. Prilleux, 17 mai 1861 au Théâtre du Palais Royal) ne présente qu’une « chansonnette » de Clapisson puisque la partition est co-écrite par Bazille, Gauthier, Gevaert, Jonas, Mangeant et Poise.

– Les dernières années

À partir de cette date, Clapisson renonce au théâtre et termine sa carrière en enseignant l’harmonie au Conservatoire, menant une existence familiale heureuse même si l’indifférence de ses contemporains et l’oubli des directeurs l’affectent visiblement.

Il meurt à Paris le 19 mars 1866, victime d’une congestion cérébrale. Ses obsèques sont célébrées dans l’église Saint-Eugène où tous les membres de l’Institut, tous les professeurs et tous les élèves du Conservatoire assistent à la cérémonie. La musique de la Garde Nationale accompagne le corps jusqu’au cimetière Montmartre où trois discours sont prononcés, dernier honneur à cet homme honnête et laborieux, appartenant au groupe des musiciens populaires, dans le bon sens du terme.

Bernard Crétel

(1) On avait commandé cette partition au compositeur à condition qu’elle fut terminée en 15 jours. Clapisson avait une facilité qui lui permettait de tenir parole. L’œuvre fut montée mais vécu à peu près autant de jours qu’on avait mis à l’écrire.
(2) Cet air a été récemment gravé par Cyrille Dublois dans son album publié par le Palazzetto Bru Zane : So romantique !, ainsi que la romance « Adieu, toi ma pauvre mère » du Code noir.
(3) Louis Roger dans La semaine musicale du 5 avril 1866)
(4) Cette personnalité des foires du XVIIIe siècle inspira de nombreux vaudevilles et comédies, la dernière étant La Fille de Fanchon la Vielleuse, de Louis Varney, 1891.

Œuvres lyriques

Légende : opé = opérette, oc = opéra-comique, ob = opéra-bouffon, sc mus = scène musicale
Le chiffre indique le nombre d’actes.

Création Titre Auteurs Nature Lieu de la création
1838
24 août
Figurante (La), ou L’amour de la danse Scribe (Eugène), Dupin (Jean Henri) oc 5 Paris, Opéra-Comique (Nouveautés)
1839
12 oct
Symphonie (La), ou Maître Albert Saint-Georges (Jules Vernoy de) oc 1 Paris, Opéra-Comique (Nouveautés)
1840
28 avr
Perruche (La) Dupin (Jean Henri), Dumanoir (Philippe Pinel) oc 1 Paris, Opéra-Comique (Nouveautés)
1841
25 mars
Pendu (Le) Courcy (Frédéric de), Carmouche (Pierre) oc 1 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1841
7 juil
Frère et mari Polak (Théodore), Humbert (Henri) oc 1 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1842
9 juin
Code noir (Le) Scribe (Eugène) oc 3 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1845
10 fév
Bergers Trumeaux (Les) Dupeuty (Charles), Courcy (Frédéric de) ob 1 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1846
19 nov
Gibby la cornemuse Leuven (Adolphe de), Lhérie (Léon) oc 3 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1847
11 déc
Don Quichotte et Sancho Pança Duvert (Félix Auguste) sc mus 1 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1848
5 nov
Jeanne la folle Scribe (Eugène) grand opéra 5 Paris, Opéra
1850 Statue équestre (La) Scribe (Eugène) oc 3 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1852
4 nov
Mystères d’Udolphe (Les) Scribe (Eugène), Delavigne (Germain) oc 3 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1854
17 mars
Promise (La) Leuven (Adolphe de), Brunswick (Léon) (=Lhérie) [2] Paris, Th. Lyrique (Bd du Temple)
1854
31 déc
Dans les vignes Brunswick (Léon) [= Lhérie (Léon)], Beauplan (Arthur de) [3] Paris, Th. Lyrique (Bd du Temple)
1855
25 fév
Coffret de Saint-Domingue (Le) Deschamps (Emile) o de salon 1 Paris, Herz (salle Henri)
1855
mi août
Amoureux de Perrette (Les) Boisseaux (Henri) oc 1 Allemagne, Baden-Baden
1856
1° mars
Fanchonnette (La) Saint-Georges (Jules Vernoy de), Leuven (Adolphe de) oc 3 Paris, Th. Lyrique (Bd du Temple)
1856
11 août
Sylphe (Le) Saint-Georges (Jules Vernoy de) oc 2 Baden-Baden [4]
1857
5 nov
Margot Saint-Georges (Jules Vernoy de), Leuven (Adolphe de) oc 3 Paris, Th. Lyrique (Bd du Temple)
1858
16 déc
Trois Nicolas (Les) Scribe (Eugène), Lopez (Bernard), Gabriel de Lurieu (Jules Joseph) oc 3 Paris, Opéra-Comique (Favart)
1861
8 fév
Madame Grégoire, ou la Nuit du mardi-gras Scribe (Eugène), Boisseau (Henri) oc 3 Paris, Th. Lyrique (Bd du Temple)
1861
17 mai
Poularde de Caux (La) [1] Leuven (Adolphe de), Prilleux (Victor) opé 1 Paris, Palais-Royal

[1] avec Gevaert (François), Poise (Ferdinand), Gautier (Eugène), Bazille (Auguste), Mangeant (Sylvain)
[2] “historiette provençale” en 3 actes
[3] “tableau villageois” en 1 acte
[4] Paris, Opéra-Comique (Favart), 27 oct 1856

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