Lorsqu’un auteur de théâtre ou un compositeur lyrique se met à écrire, il est très rare qu’il ignore quel sera l’interprète principal(e) de son travail, ce qui lui permet d’ajuster au plus près répliques ou tessiture aux qualités de cet(te) interprète. Il en va bien sûr de même pour les opérettes, au sens large, dont la vedette principale, au XIXe siècle, est pratiquement toujours une chanteuse. On peut ainsi citer Hortense Schneider, mais aussi Louise Théo, Jeanne Granier et bien sûr Anna Judic.
C’est à Semur-en-Auxois, petite commune de Côte-d’Or que naît, le 18 juillet 1849, Anne-Marie-Louise Damien, fille de François Damien, marchand, et de Marie-Pierrette Renard. Après de brillants débuts au music hall, elle devient l’une des reines de l’opérette grâce à Vasseur et Offenbach puis à d’Hervé dont elle sera l’égérie.
─ Le tremplin de l’Eldorado
Après un an d’étude au Conservatoire de Paris, Anne-Marie Damien entre en 1867 au Gymnase dont le directeur, Montigny, est son grand oncle. Ce petit théâtre, situé boulevard Bonne-Nouvelle (dans le 10 e arrondissement), servait initialement de lieu d’entraînement aux élève du Conservatoire, avant de s’ouvrir à un répertoire plus large. Grâce à sa parfaite élocution elle y débute comme diseuse et paraît dans une comédie de Gondinet, Les Grandes Demoiselles. C’est à cette époque, elle n’a pas dix sept ans, qu’ elle épouse un nommé Israël qui se fait appeler Judic, acteur comique, chanteur et musicien, dont elle prend le nom de scène et devient Anna Judic.
Lorsqu’elle est engagée en 1869 à l’Eldorado, l’un des plus célèbres cafés-concerts de Paris, boulevard de Strasbourg, le directeur est à ce point satisfait qu’il n’hésite pas à embaucher son mari comme régisseur du théâtre. Anna se fait rapidement remarquer dans un répertoire de chansons aux sous-entendus légers ou même grivois auxquels une apparente candeur donne tout son sel. Un journaliste écrit « L’ingénue Judic est une véritable croqueuse de pommes ; avec son bon rire d’enfant, elle nous jette au visage les pépins du fruit défendu ». Un autre ajoute plus prosaïquement qu’elle sait « jouer de la feuille de vigne comme d’un éventail». La jeune femme se défend avec cette maxime : «Tout peut se dire, seulement… il y a la manière ».
Parmi ses chansons citons, de divers compositeurs, « L’amour au galop », « Par le trou de la serrure », « Les ballons rouges », « La cueillette, » ainsi que celles du jeune Robert Planquette : « Rentrons bras d’sus, bras d’sous », « C’est si fragile », « Je suis discrète », « Les jeunes filles »… Après les récitals de l’après-midi, les artistes de l’Eldorado se retrouvent en soirée pour jouer de petites opérettes en un acte. On peut ainsi l’applaudir dans : Paolo et Pietro, La Vénus infidèle, de Léon Roque ou Faust passementier de Hervé.
Cependant, le jour de la déclaration de la guerre à la Prusse, le 4 septembre 1870, l’Eldorado ferme ses portes. Les Judic en profitent pour se lancer dans une tournée des grandes villes de Belgique dans lesquelles ils sont partout acclamés, notamment à Bruxelles où Anna participe à une œuvre de bienfaisance. Au retour, il en va de même à Lille où elle prête son concours à un gala aux profits des blessés de guerre, ce qui lui vaut de recevoir une superbe médaille de la ville.
─ Des Folies Bergère à la Gaîté
En 1871 on la retrouve aux Folies Bergère où toute vedette importante se doit de paraître. Le music hall accueille surtout des numéros essentiellement visuels mais elle ne craint pas d’affronter un public turbulent qu’elle parvient toujours à captiver, comme diseuse ou comme chanteuse. On la surnomme « La Diva aux yeux de velours » mais aussi, sous forme de jeu de mots, « L’École des mimes. » Parmi ses nouveaux succès : « Ne m’chatouillez pas, éclat de rire en six couplets ».
Offenbach ne tarde pas à remarquer ses dons exceptionnels et l’engage pour tenir le rôle de la fantasque Princesse Cunégonde du Roi Carotte, une féerie créée à la Gaîté au début de 1872. Pour Anna Judic, c’est son premier grand rôle mais peu à l’aise dans ce personnage, elle n’hésite pas à l’abandonner, en plein succès, pour une opérette de Léon Vasseur dont le sujet lui plaît davantage. Offenbach, qui ne lui en veut pas, l’engagera à nouveau par la suite pour plusieurs créations dont elle sera cette fois l’interprète principale.
─ Le triomphe aux Bouffes-Parisiens
C’est là qu’est créée, le 9 avril 1872, La Timbale d’argent, pratiquement le premier ouvrage de Léon Vasseur. Le succès est immédiat, énorme, au point d’inquiéter un temps Offenbach. Si certains critiques dénoncent une partition parfois banale et surtout un livret racoleur, c’est que ce dernier est rempli de sous-entendus grivois que la jeune Anna Judic, dont c’est la spécialité, sait, mine de rien, mettre parfaitement en valeur. Noël et Stoullig la dépeignent ainsi :
« …dans le rôle de Molda, elle fut couverte de bravos. Pleine à la fois de grâce naïve et de coquetterie rusée, de malice et d’enfantillage, elle débitait les chansons les plus égrillardes, celles à double entente, avec des airs de sainte-n’y-touche… et elle détaillait le couplet avec une finesse, un esprit, un mordant qui n’appartenait qu’à elle. »1
La pièce, qui sera le plus grand succès de Vasseur, atteint sans mal les trois cents représentations. En 1874, Judic interprétera, dans le même théâtre et du même compositeur, La Petite Reine et Les Parisiennes, mais sans succès.
C’est toujours aux Bouffes Parisiens, qu’elle crée, le 23 janvier 1874, La Branche cassée de Gaston Serpette alors à ses débuts de compositeur. Aux côtés de Mme Peschard dans un rôle travesti, Anna Judic campe une servante de ferme hollandaise, Margotte, vouée à un brillant avenir. La pièce est donnée une quarantaine de fois.
─ Un portrait
Plutôt petite et boulotte, mais sans l’embonpoint qui l’envahira trop tôt, Anna Judic est alors, à 22 ans, dans toute sa fraîcheur. Elle conquiert Paris par son entrain et son répertoire faussement naïf. Paulus la décrit ainsi : « Elle avait tout pour elle : talent, jeunesse, charme, beauté. Des yeux à damner tous les saints, y compris le récalcitrant Saint-Antoine… » Il est difficile de se faire une opinion sur sa voix, mais il semble que celle-ci n’est pas très étendue mais des plus charmantes. Anna Judic a le cœur sur la main, toujours prête à donner un gala au profit d’une œuvre. Cependant, comme un certain nombre de comiques, et l’on peut citer Jacqueline Maillan à une époque beaucoup plus proche de la nôtre, elle est aussi discrète dans la vie quotidienne qu’extravertie à la scène. En 1873, elle rencontre Albert Millaud, qui sera le co-librettiste de ses plus grands succès, et mène un ménage à trois avec son mari qui lui est devenu indifférent depuis longtemps ; un enfant naît en 1875. Après la mort de son mari, vers 1881, elle épouse Albert Millaud, qui décédera en 1892.
─ Des Offenbach en demi-teinte
Madame l’Archiduc
Offenbach ne l’a pas perdue de vue et, en 1874, il lui donne le premier rôle de cet opéra-bouffe, créée le 31 octobre aux Bouffes Parisiens. Anna Judic y est Marietta, une servante d’auberge abandonnant son tablier pour succéder à un archiduc de haute fantaisie. Si la musique est une des meilleures du compositeur, le livret a le tort de rappeler celui de La Branche cassée donnée précédemment. Aussi, après un bon début, la pièce se traîne devant des salles à peu près vides avant de retrouver un bon rythme de croisière qui la mènera au delà des cent représentations. Judic y est bien sûr exquise et triomphe avec les airs du « P’tit bonhomme » et de « Pas ça ! »
La Créole
donnée le 3 novembre de l’année suivante, La Créole, n’est qu’un demi succès en ne dépassant pas la soixantaine de représentations. Une particularité, Judic ne fait son entrée qu’au deuxième acte et malgré un accoutrement disgracieux – elle s’est bruni la peau avec du jus de réglisse et porte un costume de couleur jaune horriblement criard – elle n’en demeure pas moins excellente. Un article du Ménestrel nous indique : « Elle a été tour à tour touchante, émue, fine, spirituelle ; elle s’est montrée comédienne et plus charmante cantatrice que jamais. » Paradoxalement, conseillée par Millaud, elle joue son rôle en ardente Mexicaine et non en indolente créole.
Le Docteur Ox
Offenbach fait encore appel à Judic pour Le Docteur Ox, « une opérette scientifique » tirée d’une nouvelle de Jules Verne et créée le 26 janvier 1877, cette fois au théâtre des Variétés où Anna Judic a été engagée en 1876. Elle y joue le rôle de Prascovia, une princesse transcaucasienne qui essaie de s’emparer de son fiancé, le Docteur Ox. Ce personnage a été ajouté au livret pour donner un rôle à Anna Judic qui doit assurer le succès de l’œuvre. Offenbach, qui lui a d’ailleurs dédié la partition, a particulièrement soigné ses airs ; l’un des mieux venus est la marche bohémienne « Pour l’enfant de bohème ». Bien que fastueusement montée et bénéficiant d’un bon début, les recettes tombent rapidement et la pièce doit être retirée au bout de 39 représentations.
Judic est aussitôt affichée dans une reprise de La Périchole qui est bien accueillie, sans pour autant dépasser les 23 représentations. Elle s’était déjà, avec La Belle Hélène en 1876, confrontée au répertoire d’Hortense Schneider ; sans l’égaler et surtout sans l’imiter, elle ne démérite pas. Par la suite, en 1887, elle reprendra également La Grande Duchesse de Gérolstein : « Mme Judic… a approprié le rôle à son talent de diseuse et à son filet de voix sympathique, et le charme a opéré tout seul ! » (Noël et Stoullig).
Revenons à 1876 ; dans un concert privé, elle crée une petite opérette à un seul personnage, On demande une femme de chambre, de Robert Planquette, l’ouvrage précédant directement la création des Cloches de Corneville.
Désormais devenue la vedette des Variétés, elle y restera une vingtaine d’années ; elle apparaît également dans des lever de rideaux comme La Chanteuse par amour de Paul Henrion, Les Charbonniers, de Costé, les reprises de Mariée depuis midi, de Victor Jacobi et Bagatelle d’Offenbach.
Contacté pour écrire la partition de Niniche un vaudeville-opérette, Offenbach refuse de prêter son concours à une œuvrette jugée indigne de lui et c’est Marius Boulard, le chef d’orchestre des Variétés qui s’y attelle en dernière minute, mêlant airs nouveaux et chansons connues. Créée le 15 février 1878, Niniche obtient, contre toute attente, un grand succès qui lui permet de tenir toute la saison avec 275 représentations. C’est un nouveau triomphe pour Judic qui, aux côtés de Dupuis, Baron, Lassouche… tient le rôle de la comtesse Corniska, une cocotte ayant renoncé à la galanterie pour épouser un diplomate polonais. Le fait de paraître en maillot de bain au premier acte joue certainement dans ce succès mais pas seulement comme l’écrit Bruyas : « La belle artiste détailla merveilleusement les couplets qui lui avaient été confiés et que son talent éprouvé contribua autant que son costume à séduire les foules compactes qui se pressèrent dans la salle pendant neuf mois. » Finalement la pièce est arrêtée en plein succès par le départ d’Anna Judic tenue de respecter d’autres engagements à l’étranger, mais elle sera reprise plusieurs fois par la suite.
─ L’égérie d’Hervé
Le nouveau genre du vaudeville-opérette, avec numéros musicaux et distributions réduits, séduit Hervé dont les opéras bouffes, dans les années 1870 ne font plus recette. Il se lance alors dans une nouvelle carrière exploitant ce genre qui lui apportera de nouveaux grands succès et dont Judic, pour laquelle il est tenu d’écrire dans chacune de ses partitions une chanson spéciale au triomphe assuré, sera la vedette. Elle en créera cinq.
La Femme à papa.
Un jeune homme des plus rangés, Aristide, désirant faire un beau mariage, décide de marier son père, le baron de la Boucanière, connu pour ses excentricités galantes, à une petite pensionnaire belge, la naïve Anna. Cependant, par suite d’un embrouillamini dans les papiers, c’est le fils qui se retrouve marié à la future femme à papa. C’est Judic qui incarne cette Anna et si certaines scènes sont délicates pour la morale, la comédienne sauve par son esprit et sa réserve les situations équivoques. De plus elle connaît un gros succès en interprétant « Si ma mère me voyait », les couplets des « Inséparables » et surtout, avec beaucoup de cran, « la chanson du colonel ». Particularité de la pièce, José Dupuis joue à la fois le rôle du père et celui du fils. Créée le 3 décembre 1879, la pièce connaît un gros succès avec 204 représentations.
La Roussotte
C’est l’histoire d’une jeune fille, enfant illégitime d’un baron souhaitant la reconnaître, et qui connaît bien des emplois avant de pouvoir se marier. La partition est de Hervé et de Boulard, et comprend, outre une chanson de Dupuis, quelques couplets de Lecocq, compositeur initialement prévu. Judic y prodigue à nouveau son talent et y triomphe dans la chanson du « Pilouittt ! » qu’elle chante parfois jusqu’à sept fois de suite pour complaire à son public. Créée le 26 janvier 1881, La Roussotte connaît plus de cent représentations.
Lili
L’histoire se déroule à trois époques différentes. Anna Judic y incarne d’abord une jeune fille noble, Lili, éprise d’un simple clairon nommé Antonin qui lui préfère une cuisinière. Dix ans après, sous le grade de lieutenant, il retrouve Lili mariée et devenue baronne ; vingt ans plus tard, le général Antonin retrouve Lili devenue grand’ mère. D’un inoubliable moment d’abandon, elle a eu une fille de son premier amour. Une intrigue assez menue mais qui, délicatement développée, séduit le public. Judic y est comme toujours délicieuse et Hervé lui a concocté une « chanson provençale », qu’il lui faut souvent bisser ou trisser, sans compter le duo de la reconnaissance « Je n’joue plus de la trompette » sur une réminiscence de l’air célèbre « La casquette de père Bugeaud. » Là encore, créée le 10 février 1882, Lili dépasse largement les deux cents représentations.
Mam’zelle Nitouche
<C’est le plus célèbre des vaudevilles-opérettes d’Hervé et a été longtemps la seule œuvre encore jouée du compositeur. Tous les amateurs du genre en connaissent l’intrigue qui, en Célestin–Floridor, évoque la double carrière d’Hervé à ses débuts, mais qui rend également hommage au talent d’Anna Judic dans le personnage plein de malice de Denise, surnommée Mam’zelle Nitouche. Ce rôle apporte à la chanteuse, « malgré une corpulence qui jurait un peu avec son personnage, » (Bruyas) un nouveau triomphe, sans doute le plus grand de sa carrière. C’est que Hervé lui a écrit des airs particulièrement réussis : « La princesse et le grenadier », « l’Alleluia » que Judic chante en s’accompagnant elle-même à la harpe, et enfin les deux grands succès de la pièce : la chanson de « Babet et Cadet » et celle de « La Grosse Caisse » qui sont systématiquement bissées ou plus chaque soir. Notons que Judic, habillée en pioupiou, apparaît également à cheval dans l’acte de la caserne. Créée le 19 janvier 1883, elle est donnée 212 fois pour la première série.
La Cosaque
Judic y interprète une jeune princesse russe, Anna, à qui on veut imposer un mariage qu’elle refuse. Elle fuit, déguisée en paysanne, avec Jules Primitif, un commis parisien venus présenter ses dentelles. À Paris, on la retrouve comme vendeuse dans un grand magasin où elle prétend faire la loi. Sa richesse lui permet d’acheter le magasin mais un ukase du tzar l’obligeant à prendre époux, elle jette son dévolu sur Jules. Après bien des vociférations, celui-ci finit par accepter quand il apprend qu’il est le fils d’un oncle d’Anna. Judic est applaudie pour « La chanson russe » du premier acte ainsi que pour un rondeau dans lequel elle imite une cantatrice de l’époque. Cependant, créée le 1er février 1884, La Cosaque, qui se joue devant des salles de plus en plus vides, est retirée après 76 représentations. Le public commence à se lasser de ces opérettes toutes taillées dans le même moule et la partition d’Hervé, hormis le premier acte, n’est pas des meilleures.
Citons Bruyas. « La véritable raison du demi-succès de La Cosaque devait être trouvée dans la lassitude des « clients » qui, depuis plusieurs années, étaient appelés à déguster, servi dans des verres de couleurs différentes, le même vins émoustillant, présenté par la même servante toujours avenante et aguichante, changeant de costume fréquemment, mais conservant toujours les mêmes gestes, les mêmes intonations, les mêmes tics. En un mot : l’engouement du public pour sa vedette préférée avait baissé subitement. Judic, la grande Judic, à trente quatre ans, ne transportait plus les foules ! »
Bertrand, le directeur des Variétés, essaye alors de retrouver son public avec des reprises de Mam’zelle Nitouche et de Lili mais ses espérances ne sont pas récompensées.
─ L’Hôtel Judic
En 1883, à l’apogée de sa carrière, Anna Judic, qui a gagné une véritable fortune, plus d’un million de francs de l’époque, se fait construire un superbe hôtel particulier, 12 rue Nouvelle (actuellement impasse du Cardinal Mercier). Si elle émet quelques idées personnelles quant à son agencement, elle en confie les travaux à un architecte et à un sculpteur de talent. L’appartement proprement dit, situé au premier étage comprend : un salon dont elle a fait peindre au plafond les héroïnes de ses grandes créations, une vaste salle au plafond gothique, ornée d’une cheminée sculptée monumentale ; elle est éclairée par une grande fenêtre munie d’un vitrail représentant la rencontre d’Antoine et de Cléopâtre ; face à la fenêtre, un escalier spirale mène à une tribune dont la porte donne accès à son appartement personnel. Quittant son précédent hôtel de la rue de Boulogne (actuellement rue Ballu), elle y emménage en 1884.2
En 1883, elle fait également l’acquisition d’une belle villa à Chatou, au 3 de l’avenue d’Epremesnil, là aussi décorée avec beaucoup de goût, et y reçoit de nombreuses personnalités du théâtre, de la littérature et des arts. Par la suite, cette villa sera rachetée par l’actrice de cinéma muet Jeanne Falconetti.
─ Une reconversion progressive
Après le semi-échec de La Cosaque, Anna Judic quitte les Variétés où elle est remplacée par Jeanne Granier, plus jeune et plus svelte. Elle se produit alors comme chanteuse ou comme comédienne dans divers théâtres mais on la voit également souvent à l’étranger.
Les voyages
Parmi les nombreuses prestations d’Anna Judic à l’étranger, citons : ses représentations à Saint-Petersbourg en 1875 ; la pièce de théâtre Divorçons, de Sardou et Najac, jouée à New York en 1880 ; La Grande Duchesse, Mam’zelle Nitouche et Lili dans lesquelles elle est très applaudie en 1885 au Chicago Opera House. De mai à septembre 1890, elle assure une grande tournée en Amérique Latine. En janvier 1891 on la retrouve à Istanbul où elle est décorée par le Sultan ; même honneur en 1891 à Belgrade, avec la décoration de l’Ordre de l’Aigle blanc qui lui est remise par le roi de Serbie.
De l’opérette au théâtre
Après son départ des Variétés, Judic est engagée comme comédienne au Palais-Royal pour deux ouvrages, Elle et Lui, d’Émile de Najac, et Bijou et Bouvreuil, de Najac et Millaud, qui sont des échecs. Un accord entre les deux directeurs de théâtre lui permet, pendant quelques mois, de reprendre avec succès aux Variétés, Niniche et ses triomphes d’ Hervé avant son départ en Amérique. On l’applaudit également dans une reprise du Grand Casimir, de Lecocq, en décembre 1887. Puis elle se produit dans divers théâtres ou music-halls de la capitale : les Menus Plaisirs, L’Alcazar d’été, L’Eldorado, et l’Eden où, en 1888, dans le personnage de Lange et aux côtés de Jeanne Granier, elle participe à la célèbre reprise de La Fille de Madame Angot de Lecocq. Elle revient ensuite aux Variétés où elle fait encore quelques créations : La Japonaise de Varney, 1888 (15 représentations !), La Rieuse, et La Noce à Nini, en 1889, dans laquelle « Judic chante d’un air effarouché des grivoiseries à faire rougir un nègre » (La semaine théâtrale), mais elle reprend surtout son ancien répertoire sans toutefois retrouver le succès des créations. Ainsi, en 1894, Bruyas note « les reprises de Mam’zelle Nitouche et de Lili, avec la grosse Judic et le vieillissant Dupuis. »
En fait, malgré ses échecs au Palais-Royal, le théâtre parlé la tente de plus en plus et elle crée diverses comédies, jouant « des rôles de mère auxquels elle apporte une tendresse, une douceur et une bonhomie touchante. » Parmi les plus célèbres : L’âge difficile, de Jules Lemaître en 1895, et Le secret de Polichinelle, de Pierre Wolff en 1903, toutes deux au théâtre du Gymnase, La Massière puis Bertrade, de Jules Lemaître à La Renaissance en 1905, ou encore, Le Bourgeon de Georges Feydeau, en 1906 au Vaudeville, et Beethoven de René Fauchois à l’Odéon en 1909.
─ Dernier acte
Les succès moindres d’Anna Judic l’obligent à restreindre son train de vie. En 1990, elle doit se séparer d’une partie des objets qu’elle possède dans son bel hôtel particulier puis, en 1894, elle est obligé de le vendre pour un prix dérisoire. Elle s’installe alors dans sa villa de Chatou. En 1900, elle fait ses adieux de chanteuse, aux Folies Bergère, pour se concentrer uniquement au théâtre. Par la suite, elle se retire dans sa bourgogne natale mais c’est lors d’un séjour à Golfe Juan, où alitée depuis trois mois, elle s’éteint le 14 avril 1911, à l’âge de 62 ans.
Ses restes reposent dans sa chapelle mortuaire du cimetière de Montmartre, dans la 25e division.
Ultime notoriété, son nom a été donné au Lycée polyvalent de Semur-en-Auxois.
La petite fille d’Anna Judic, Simone Louise Fernande Loisel (1890 –1964), connue sous le nom de Simone Judic, fera une petite carrière au cinéma entre les deux guerres.
Bernard Crétel
(1) Voir article sur Léon Vasseur, Opérette n° 168.
(2) Pour plus de détails sur cet hôtel, classé au titre des monuments historiques, voir l’article L’Hôtel Judic sur Wikipédia