Dans le genre comédie musicale, A Wonderful World, qui vient de faire sa première à Broadway, se classe comme un spectacle autant remarquable qu’inédit. On pourrait le classifier comme un “jukebox musical”, pour emprunter une expression trop commune dans ce domaine, mais c’est en fait un tribut à la gloire et à la mémoire d’un des plus grands artistes de jazz.
Louis Armstrong est certainement l’un des personnages les plus iconiques qui soit, et l’un des rares exemples d’un musicien qui ait franchi la limite entre le jazz qu’il exploitait depuis son enfance et la chanson populaire la plus prisée. Fait rare dans le domaine musical, beaucoup de ses chansons sont devenues des airs à succès, comme « Black and Blue », « Basin Street Blues », « St. James Infirmary », « You Rascal You », « Tiger Rag « , « Kiss of Fire », « When You’re Smiling », When the Saints Go Marching In », « Avalon », et bien sûr « Hello, Dolly ! » et « What a Wonderful World », toutes entendues dans cette œuvre théâtrale, y compris la dernière qui lui a donné son titre.
Il est également rare qu’un personnage aussi iconique puisse être interprété à la scène comme à l’écran avec un tel réalisme qu’on se sente pris au jeu. Mais tel est le cas avec l’interprétation que donne de lui James Monroe Iglehart, déjà bien connu à Broadway pour avoir joué sur scène le Génie dans Aladdin de Walt Disney ou le roi Arthur dans la reprise récente de Spamelot de Monty Python, deux œuvres clés pour lesquelles il a reçu le Tony de la meilleure interprétation masculine. Il faut reconnaître qu’il ressemble ici de façon saisissante à son modèle, tant dans ses dialogues avec sa voix puissante et ses accents rauques, son humour frappant notamment quand il s’adresse à la salle dans des impromptus, et sa façon de jouer de la trompette dans les moments musicaux. Rien que cela donne au spectacle un cachet très spécial.
Le spectacle lui-même, conçu par Andrew Delaplaine et Christopher Renshaw et avec un livret d’Aurin Squire, suit de près la carrière d’Armstrong, de ses débuts de musicien précoce à la Nouvelle Orléans, où il était né en 1901, à sa participation dans la Creole Jazz Band de King Oliver, son mentor dans les années 1920, puis aux rôles qu’il a tenus dans de nombreux films à Hollywood, et à son existence à New York, où il allait vivre jusqu’à sa disparition en 1971.
Le trajet fait également état de ses rencontres personnelles et des quatre mariages qui allaient illustrer ces quatre périodes essentielles de sa vie, avec Daisy Parker, une prostituée, Lil Hardin, la pianiste de King Oliver, Alpha Smith, qu’il avait rencontrée lors d’une tournée dans les années 20, et Lucille Wilson, une chanteuse au Cotton Club de New York, qu’il épousa en 1942 et avec qui il resta jusqu’à la fin de sa vie. Dionne Figgins, Jennie Harvey-Fleming, Kim Exum et Darlesia Cearcy, les quatre actrices chargées d’incarner ses femmes, sont également excellentes dans leurs rôles respectifs, même si leurs expressions vocales et leurs inflexions harmonieuses reflètent un style moderne contemporain qui n’a aucun rapport avec celui, plus simple et réaliste, des chanteuses de l’époque comme Ella Fitzgerald, Sarah Vaughan ou Billie Holiday.
Le spectacle lui-même est rehaussé par de nombreux moments musicaux, dont des danses qui permettent à toute une équipe spécialisée de faire des numéros de claquettes, réglées par Rickey Tripp, assisté par Dewitt Fleming Jr., pour le plus grand plaisir de la salle. L’orchestre, conduit par Daryl Waters remet en valeur les quelque 30 chansons utilisées pendant la durée du spectacle, orchestrées et arrangées par Brandford Marsalis, l’un des maîtres de la renaissance du jazz à New York.
A tous les points de vue, A Wonderful World – The Louis Armstrong Musical est une réussite totale et devrait satisfaire les spectateurs attirés par un spectacle musical de première qualité sur un musicien exceptionnel.
Didier C. Deutsch
11 novembre 2024
A Wonderful World, The Louis Armstrong Musical
Mise en scène : Christopher Renshaw – Livret: Aurin Squire – Chorégraphie: Rickey Tripp – Orchestrations & arrangements: Branford Marsalis
Distribution :
James Monroe Iglehart, Darlesia Ceary, Kim Exum, Dionne Figgins, Jennie Harney-Fleming, Trista Dollison, Dewitt Fleming Jr., Jason Forbach, Gavin Gregory, James T. Lane, Jimmy Smagula
Première le 11 novembre 2024 au Studio 54, 254 West 54th Street, New York