Depuis plusieurs années maintenant, les “jukebox musicals », (inspirés par des œuvres plus suggestives pour attirer les plus jeunes générations et fréquemment illustrés par des chansons de souche rock ou pop), ont tenu l’affiche à Broadway. Ils consistent généralement en un livret relatant la carrière d’un ou de plusieurs chanteurs populaires et des chansons qu’ils ont créées ou conçues, à seule fin d’utiliser des chansons bien connues au hit-parade. Ces spectacles restent rarement longtemps à l’affiche, mais il y a bien sûr des exceptions, comme le rock-opéra des Who, Tommy, écrit par Pete Townshend.
Présenté initialement en 1969 sous la forme d’un enregistrement sur deux disques, Tommy (l’histoire d’un gamin de 4 ans traumatisé par un meurtre commis par son père), resta 128 semaines sur les chartes et atteignit la quatrième position. En 1975, on en fit un film avec, en vedettes, des stars comme Ann-Margret, Eric Clapton, Elton John et Tina Turner qui fit forte impression dans le rôle d’une sorcière, The Acid Queen (La Reine du poison).
Il n’en fallait pas plus pour que le scénario soit adapté pour la scène avec Townshend associé au metteur en scène Des McAnuff dans la réalisation d’une version théâtrale qui fit ses débuts à Broadway le 22 avril 1993 et resta à l’affiche pendant 899 représentations. Le sujet de la pièce avait tous les éléments requis pour justifier ce succès.
– L’action se passe en Angleterre et débute en 1941
Le Capitaine Walker et sa jeune femme attendent un enfant. C’est Tommy, leur fils. Mais la guerre fait rage en Europe et Walker doit rejoindre ses troupes pour faire face aux forces allemandes. Parachuté au-dessus d’une zone de combat, il est fait prisonnier par les Nazis. Quelques semaines plus tard, sa femme est informée de sa disparition et du fait qu’il a dû être tué. Le temps passe et Tommy a maintenant quatre ans. Sa mère a depuis fait la connaissance d’un autre homme qui est devenu son amant. Mais son mari, qui a été libéré par les forces alliées, fait soudainement irruption dans sa vie et découvre qu’elle ne vit plus seule. Une dispute divise les deux hommes et Walker, se sentant menacé, tue son rival. Tommy a assisté à la scène dans le reflet que lui en donne un grand miroir. Choqué, il reste muet, sourd et selon toutes apparences aveugle au monde autour de lui, se retirant dans un mutisme complet.
Pendant des années, toujours traumatisé, rien ne semble modifier son attitude. Quand ses parents sortent, ils le confient à l’oncle Ernie, qui se livre à des actes sexuels sur le gamin, ou à son cousin Kevin, un dévergondé qui l’entraîne dans des clubs pop. C’est là que Tommy découvre les « pinball machines » (les flippers) ; elles éveillent en lui ses premières réactions et lui permettent de gagner fréquemment les jeux qui lui sont proposés.
Mais son attitude demeure inchangée et, désespérés, ses parents font appel à qui sera en mesure de le guérir car les médecins s’avèrent inopérants. Un « requin » des rues et son copain, joueur d’harmonica, leur suggèrent d’aller voir l’Acid Queen, une prostituée qui se dit sorcière et qui lui fournira des élixirs pour le remettre en état. Mais quand cette dernière insiste pour qu’il reste plusieurs jours avec elle, le père s’oppose à cette suggestion.
Devenu adolescent, Tommy est maintenant reconnu comme étant un champion des « pinball machines ». Il est toujours aussi tendu et son attitude n’a pas changé, jusqu’au jour où sa mère, lasse de le voir toujours planté devant le miroir, brise celui-ci. Aussitôt, Tommy se retrouve dans la réalité du monde, en pleine possession de ses moyens et non plus prisonnier des traumas auxquels il avait été exposé.
– Le spectacle
Cette reprise, longtemps attendue et également mise en scène par Des McAnuff, bénéficie d’atouts majeurs et notamment de la vision qu’il en a eue. Ce qui la distingue, ce sont des projections visuelles, entrelacées avec des éclairs électroniques et une imagerie en noir et blanc, qui servent de décor dans la plupart des scènes, leur donnant un reflet d’angoisse et de conflits mentaux.
Le tout est puissamment relevé par des chansons au palmarès des hits, comme « See Me, Feel Me », « Pinball Wizard » et « I’m Free », parmi bien d’autres, interprétées avec un maximum de décibels possibles. Les numéros de danse, réglés par Lorin Latarro, aux mouvements déhanchées et savamment synchronisées, ajoutent un attrait supplémentaire, complété par une large distribution dominée par Ali Louis Bourzgui faisant ses débuts à Broadway dans le rôle de Tommy. Il est entouré par Alison Luff et Adam Jacobs, ses parents, John Ambrosino en oncle Ernie, Bobby Conte en cousin Kevin, et surtout Christina Sajous, l’Acid Queen, rôle de courte durée mais qui lui permet de montrer tout son talent de comédienne et de chanteuse.
La pièce est ainsi garantie de rester à l’affiche pendant quelques temps et attirera les fans des Who et de Pete Tonwshend. Sur le plan purement théâtral, on ne peut qu’être enthousiasmé par cette production et l’énergie musicale et chorégraphique qui en émane.
– Distribution :
Ali Louis Bourzgui, Alison Luff, Adam Jacobs, John Ambrosino, Bobby Conte, Christina Sajous, et Olive Rose Kline, Cecilia Ann Popp, Quinten Kusheba, Reese Levine.
Didier C. Deutsch
28 mars 2024