Johann Strauss I (1804-1849) et Johann Strauss II (1825-1899)
En 1933, Maurice Lehmann, directeur du Châtelet, préside également aux destinées du théâtre de la Porte Saint-Martin où il vient de subir un échec avec La Dubarry de Théo Mackeben, malgré la présence d’une distribution de premier ordre emmenée par la ravissante et bien chantante Fanély Revoil. Il raconte dans ses mémoires (1) son choix entre plusieurs livrets :
« À Londres, on donnait une opérette viennoise qui arrivait tout droit de Broadway, et qui remportait un très grand succès. L’ouvrage s’appelait Wiener Waltz et la musique en était de Johann Strauss. Je fus très déçu en la voyant ; la grâce, le charme des valses de Strauss avaient été complètement déformés par la mise en scène américaine, beaucoup trop importante ; il ne restait rien de l’histoire naïve et charmante de la rivalité du père et du fils Strauss.
Je rentrai assez décontenancé à Paris, lorsque l’idée me vint qu’il serait peut-être intéressant de retrouver le livret original duquel avait été tiré le grand show américain. Dès que j’ en eu pris connaissance, j’appelais Mouézy-Eon et, avec Marietti, nous nous mîmes au travail pour faire une adaptation française de ces Valses de Vienne… »
Le spectacle fut un grand succès à la création, succès qui se confirma au cours des décennies suivantes :
« Cette opérette était réussie, scéniquement et musicalement. La pièce était amusante et la partition réunissait les jolies valses viennoises des deux Strauss, valses qui garderont toujours une élasticité, une séduction particulières, mousseuses comme un champagne bien frappé… André Baugé était naturellement le héros, Johann Strauss fils et Pierre Magnier, excellent comédien, jouait le rôle de Johann Strauss père… Mademoiselle Lucienne Trajin… chantait le rôle de Rési, tandis que Fanély Revoil incarnait la Comtesse avec tout l’abattage et le charme qui devaient faire d’elle la vedette incontestée de l’opérette… La somptueuse mise en scène de Maurice Lehmann devait beaucoup aux décors de Messieurs Deshays et Bertin et aux costumes dessinés avec art par Marie Laurencin… » (2)
Une grande réussite donc à la Porte Saint-Martin, mais c’est sur la scène incomparable du théâtre du Châtelet, où Maurice Lehmann l’introduira dès 1941, que Valses de Vienne donnera toute sa mesure. On ne compte pas moins de 6 reprises sur cette scène, la dernière ayant eu lieu en 1974. Mogador accueillera Valses de Vienne en 1975 et 1977.
Après André Baugé, Maurice Vidal, Henri Gui et Jean-Claude Darcey furent les Strauss junior parisiens. Rési fut chantée par Lillie Granval, Madeleine Vernon, Janine Ervil, Huguette Boulangeot, Margaret Latour et Brigitte Krafft. Dans le rôle de la Comtesse se succédèrent Jane Montange, Colette Riedinger, Line May, Nicky Nancel et Nadine Capri. Enfin, André Baugé, en 1958, 25 ans après la création de l’ouvrage, interpréta au Châtelet Johann Strauss père.
Si Paris a aujourd’hui (provisoirement ?) abandonné Valses de Vienne, l’ouvrage est toujours au répertoire des théâtres de province et enchante encore chaque année des milliers de spectateurs. Par contre, cette opérette « fabriquée », créée à Vienne en 1931 est aujourd’hui totalement oubliée tant en Autriche qu’en Allemagne.
Jean-Claude Fournier
(1) Trompe l’Œil, par Maurice Lehmann (La Pensée moderne, 1871)
(2) Histoire de l’Opérette en France, par Florian Bruyas (Emmanuel Vitte, 1974)
— L’argument
Acte I
À Vienne en 1845, Johann Strauss père est à l’apogée de sa gloire. Son fils Johann rêve de devenir également un « roi de la valse ». Mais le vieux compositeur, par jalousie sans doute, ne lui reconnaît aucun talent et contrarie sa vocation. Junior en est donc réduit à composer en cachette tout en donnant des leçons de musique pour vivre. Les rêves de réussite ne l’empêchent pas de tomber amoureux de Rési, son élève favorite, la fille d’Ebeseder, le plus fameux pâtissier de Vienne. Mais celui-ci a décidé que sa fille épouserait ce benêt de Léopold, le fils de son ami Wessely.
Dernier personnage important du drame qui se noue : la Comtesse Olga, grande dame bien vite séduite par le charme romantique de Johann. Au grand dépit de Rési, elle lui promet de l’aider à devenir célèbre.
Acte II
Ce soir-là, Strauss père donne un concert au Casino d’Hietzing. La Comtesse s’arrange pour le faire convoquer au dernier moment à l’ambassade de Russie… Pendant ce temps, son fils retrouve Rési. Mélancolique, il doute de lui, de son talent. Profitant de ses états d’âme, la jeune fille lui fait promettre d’abandonner la musique et de devenir… pâtissier ! Strauss père se fait attendre et le public s’impatiente. Le directeur convainc Junior de le remplacer au pied levé. Johann dirige l’une de ses œuvres lorsque son père paraît. Le vieux compositeur fait un esclandre et s’en va en déclarant à son fils que tout est fini entre eux. Comme un malheur n’arrive jamais seul, Rési reproche au jeune homme d’avoir failli à sa promesse. Elle décide d’épouser Léopold… Triste mais résolu, Johann remonte au pupitre et dirige sa nouvelle valse : « Le Beau Danube Bleu ».
Acte III
Johann est maintenant célèbre. La Comtesse tente en vain de le décider à partir quelques jours avec elle. Toujours amoureux de Rési il se débarrasse de la grande dame en lui déclarant qu’en réalité toutes ses inspirations lui viennent de son père. Quelque temps plus tard, Olga donne une soirée en l’honneur de Strauss père, radieux de constater qu’il a conservé toute sa popularité…. La réconciliation générale est proche : Strauss père comprend que l’amour que lui porte son fils va jusqu’au sacrifice, Rési se rend compte de l’amour de Johann pour elle… Junior pourra donc aimer, être aimé, et vivre au gré de son inspiration.
— La partition
Acte I : Prélude et chœur ; « En amour, c’est plus gentil » (Rési, Léopold) ; « Demain, c’est peut-être l’amour » (Strauss fils) ; « Désir de rire, plaisir d’aimer » (Rési, Strauss fils, trois jeunes filles) ; « Un petit baiser » (Strauss fils, Rési) ; « Une fée a passé » (Strauss fils, la comtesse) ; Chœur des étudiants et final 1
Acte II : « Ah çà, Monsieur » (Pépi, Léopold) ; « Quand l’amour nous ensorcelle » (la comtesse) ; Marche-octette ; « Tout est soleil, tout est printemps » (Rési) ; « Adieu, musique » (Rési, Strauss fils) ; « La valse improvisée » (Strauss fils) ; Chanson à boire (Ebeseder, trois jeunes filles) ; Final II « Le beau Danube bleu »
Acte III: « La gloire au fond, qu’est-ce vraiment ? » (Strauss fils) ; « Je ne suis plus de votre rang » (Rési) ; « J’aime vos petits airs » (la comtesse) ; Final III
— Fiche technique
Valses de Vienne
Opérette en 3 actes de Alfred-Maria Wilner, Heinz Reichert, Ernst et Hubert Marischka, « fabriquée » à partir de musiques de Johann Strauss I et II. Arrangements musicaux de Eric Korngold et Julius Bittner.
Création à Vienne, théâtre An der Wien, le 18 mai 1931.
Livret français : André Mouézy-Eon et Jean Marietti ; couplets de Max Eddy. Arrangements musicaux de Eugène Cools, Erich Wolfgang et Julius Bittner.
Création française, Paris, théâtre de la Porte Saint-Martin, le 21 décembre 1933. Avec
André Baugé (Johann Strauss fils), Pierre Magnier (Strauss père), André Noël (Léopold), Lucienne Trajin (Rési), Fanély Revoil (la comtesse), Simone Lencret (Pépi).
Editions Max Eschig
— Discographie
Intégrale
Mady Mesplé, Christiane Stutzmann, Bernard Sinclair, Philippe Gaudin. Orchestre direction Jean Doussard
EMI C 191 12 001/2 (2 disques) – Album 2CD 574103.2
Sélections
Janine Tavernier, Nicole Broissin, Henri Gui, Willy Fratellini. Orchestre direction Félix Nuvolone
Philips 84 21 11(la collection de sélections d’opérettes Philips a été reprise en CD)
Thérèse Schmidt, Lina Dachary, Aimé Doniat, Jean-Louis Simon, Rosine Brédy. Orchestre direction Jean-Claude. Hartemann
Universal Accord 4428112 (+ Rêve de Valse) (2CD) & Vega 16 061 A (1 V)
Margaret Latour, Nicky Nancel, Jean-Claude Darcey, Lucien Huberty. Orchestre direction Paul Bonneau
Carrère 67030
Mado Robin, Vivette Barthélémy, Michel Dens, Michel Sénéchal. Orchestre direction Jules Gressier
EMI C 057 10 354
Janine Ervil, Colette Riedinger, Gabriel Bacquier, Bernard Alvi. Orchestre direction Félix Nuvolone
RCA 53 00 10
Paulette Merval, Marcel Merkès. Orchestre direction Caravelli
CBS 63 905
4 airs chantés par Rudy Hirigoyen et Liliane Lanson. Orchestre direction Serge Bessière
25cms 1 face : Disque Odéon FOC 1017 (au dos 4 airs du Pays du Sourire )
Mady Mesplé, Christiane Stutzmann, Bernard Sinclair, Philippe Gaudin. Orch. Jean Doussard
Sélection du Reader’s Digest CD 3159.1 (extraits de l’intégrale EMI) (3 CD) (+ Sang Viennois + Une Nuit à Venise + [O.Straus ] Trois Valses + Rêve de Valse)
— Références
Vous retrouverez Valses de Vienne dans « Opérette » n° 88, 165, 181, 182, 187, 190, 191 & 202. Si l’un de ces articles vous intéresse, vous pouvez le consulter en allant sur notre page « Revue “Opérette” »
Dernière modification: 11/03/2024