L’Opéra de Limoges reprend La Vie parisienne exhumée et reconstruite, montée en coproduction par le Palazzetto Bru Zane et plusieurs théâtres. On ne reviendra pas sur cette version rétablie d’après le livret de censure et présentée dans nos compte-rendus à propos du spectacle à Tours et au TCE.
La mise en scène, les décors et les costumes sont signés du couturier Christian Lacroix (mise en scène réalisée à Limoges par Romain Gilbert). Le spectacle respire le XIXe siècle sans cesser de concerner le public d’aujourd’hui. La scénographie se résume à des structures métalliques, des praticables et un ascenseur qui permettent de fluidifier la circulation des personnages. Des aplats de couleurs vives apportent une sorte de féerie au décor souvent déconstruit. Au fil des actes des éléments de décoration, d’ameublement, sont actionnés à vue ; les artifices circassiens sous la forme d’un podium permettront à plusieurs numéros d’être l’objet d’un spectacle proposé comme tel. Cette scénarisation est accentuée par les maquillages clownesques et les costumes, certains imités de ceux de la création, d’autres oniriques, faisant comprendre que chez Offenbach on est dans une musique et ici plus particulièrement dans une intrigue du déguisement. La chorégraphie de Glyslein Lefever participe de cette théâtralité. Les huit danseurs et danseuses, outre leur intégration au spectacle, se livrent à des « entourages » diversifiés à certains moments clefs de l’ouvrage, pour illustrer, par exemple, les couplets de Gabrielle à l’acte II, l’air de la parisienne « On va courir » (avec des travestis en talons aiguilles), la chanson de la Balayeuse ou la pastourelle. Dans sa première occurrence le galop « Feu partout » prend la forme inhabituelle d’un traitement inventif et leste de corps accouplés. Cette vision transgressive pertinente rappelle la comédie musicale et dote le spectacle d’un rythme qui ne se relâche jamais.
Norma Nahoun interprète de rôle de Gabrielle qui, à la création, était dévolu à Zulma Bouffar, alors la seule chanteuse authentique de la distribution. Avec une parfaite musicalité et une réelle agilité vocale, Norma Nahoun trouve le style juste et la couleur particulière de chaque numéro.
Par l’ampleur de sa voix, l’éclat de son timbre, ses emplois dans le grand répertoire Héloïse Mas est une Métella de luxe. Sa lettre est nimbée de nostalgie sans effacer la goujaterie d’un Frascata qui donne l’adresse d’une hétaïre au baron ; son rondeau du dernier acte qui révèle l’inanité de la fête est chanté avec un sens raffiné de la déclamation.
Marion Grange est une baronne à la voix bien articulée dont on apprécie l’élocution gouleyante et le timbre flatteur aussi bien dans les phrases du trio d’entrée que dans le ravissant Fabliau fort bien détaillé de l’acte IV.
Elena Galitskaya chante élégamment le duo de Pauline avec le baron, mais anime aussi de sa verve communicative le quatuor « Jean le cocher ? ».
Marie Gautrot est une comédienne endiablée dans le rôle de Madame de Quimper-Karadec, accompagnée de Caroline Meng qui ne lui est pas en reste dans le rôle de sa nièce ; les deux interprètes sont inénarrables dans leur scène de vaudeville et font montre d’une solide vocalité. Louise Pingeot (Clara) et Marie Kalinine (Bertha), le plus souvent distribuées en opéra, complètent avec beaucoup de relief le casting féminin.
Franck Leguérinel n’a pas de mal à défendre un baron vocal ; comédien d’exception il incarne toutes les facettes du personnage ; son air « Je veux m’en fourrer jusque là » est un modèle du genre. Autre air emblématique de cet opéra bouffe, celui du brésilien chanté dans son intégralité par Pierre Derhet ; la précision, le souffle, la couleur font ressortir l’intérêt de cet aria mythique ; qualités que l’on retrouve également pour les rôles de Frick, du Major et de Gontran.
Rodolphe Briand très, à l’aise en Gardefeu, possède une voix bien projetée. Quant à Laurent Deleuil, doté d’une voix de baryton Martin au timbre riche et porteur, il a plu en Bobinet très enlevé.
Les rôles de domestiques ne sont pas moins bien tenus. Philippe Estèphe, qui s’illustre tout autant en opéra qu’en opérette, chante avec éloquence l’air d’Urbain et intervient non moins à propos dans le « Trio militaire » ; il sera un Alfred mordant et à ce titre plus baryton que trial. À ses côtés on retrouve dans Prosper l’excellent Carl Ghazarossian, à la voix percutante.
Le Chœur de l’Opéra de Limoges entre dans un jeu scénique et une dimension vocale salués par le public. À la tête de l’Orchestre symphonique de l’Opéra de Limoges Nouvelle Aquitaine Romain Dumas maîtrise le style, les tempi et la langue musicale d’Offenbach, autant d’atouts mis au service d’un authentique théâtre musical.
Le public a ovationné le spectacle.
Didier Roumilhac
9 novembre 2023